Un gouffre financier

Si l’on combine coût budgétaire et coût économique, l’addition pour les États-Unis s’élèverait, d’ici à 2015, à plus de 2 000 milliards de dollars !

Publié le 15 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

On ne fait pas la guerre pour de l’argent, mais on ne la fait pas non plus sans argent. Le coût des guerres est un insaisissable concept, qu’on peut restreindre au coût budgétaire ou élargir au coût économique. Pour la guerre d’Irak, des évaluations très diverses, non dépourvues d’arrière-pensées, sont aujourd’hui présentées.
Le professeur Stiglitz, Prix Nobel d’économie, a publié une estimation du coût total de la guerre supérieure à 2 000 milliards de dollars jusqu’en 2015, soit 14 % du PIB américain de 2006, mais moins de 1 % du PIB sur la durée de la guerre. Et conclut son rapport ainsi : « Il y avait sans doute d’autres façons de dépenser une fraction de ce montant, qui aurait contribué davantage à améliorer la sécurité de l’Amérique, à gagner les curs et les esprits des peuples du Moyen-Orient et à promouvoir la démocratie. »
L’estimation du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld était à l’origine de 50 à 60 milliards de dollars. Au 31 décembre 2005, les dépenses budgétaires engagées sont estimées à 251 milliards de dollars, montant que le Congrès prévoit de doubler pour atteindre le coût final de 500 milliards de dollars en 2010. En termes budgétaires, la dépense cash est, au début de 2006, d’environ 200 millions de dollars par jour.
Stiglitz reproche au gouvernement d’avoir ignoré certaines dépenses qui se retrouveront fatalement dans les budgets à venir. Par exemple, les dépenses de santé des militaires (y compris les pensions d’invalidité) liées à des troubles psychiques et à des traumatismes divers : celles-ci doivent être estimées par rapport au nombre total de soldats qui, en 2010 ou 2015, auront servi en Irak, en tenant compte d’une rotation plus rapide des effectifs au fur et à mesure que la guerre se prolonge ; même remarque sur les coûts de recrutement, qui seront de plus en plus élevés. Stiglitz mentionne aussi la nécessité d’un renouvellement accéléré du matériel (100 milliards de dollars) et, dans la mesure où le budget est déficitaire, l’intérêt à payer sur les emprunts finançant le déficit supplémentaire (100 milliards de dollars également). C’est ainsi que son estimation budgétaire basse (rapatriement complet en 2010) s’établit à 750 milliards de dollars (contre 500 milliards pour le Congrès). Dans l’hypothèse haute où l’armée reste en Irak jusqu’en 2015, Stiglitz prévoit un coût budgétaire total de 1 270 milliards de dollars.
Mais, pour les économistes, cette estimation budgétaire ignore le véritable coût économique. Ainsi, comment doit-on mesurer les pertes en vies humaines (2 300 tués en trois ans) ? Le Congrès prend en compte les pensions et indemnités effectivement payées – montant récemment doublé pour atteindre environ 600 000 dollars par soldat tué ; Stiglitz porte ce chiffre à 6 millions de dollars, somme qu’accordent en moyenne les tribunaux pour compenser la mort d’un mâle actif adulte, et l’applique non seulement aux militaires mais aussi aux civils. Une différence comparable s’applique à la prise en compte des blessures (16 000 blessés depuis 2003).
Autre exemple d’un coût économique non budgétaire : la différence entre les soldes payées aux réservistes et personnels de la garde nationale (environ 40 % des effectifs déployés en Irak) et les salaires que ceux-ci auraient perçus dans leur vie civile. Certains économistes comme Stiglitz jugent les salaires civils supérieurs aux soldes militaires, ce qui majore le coût de la guerre. Ces ajustements rajoutent entre 200 et 300 milliards de dollars au total.
Franchissant un pas supplémentaire, Stiglitz inclut dans ses estimations le coût total macroéconomique imposé aux États-Unis. Par exemple, il attribue à la guerre une responsabilité partielle dans l’augmentation du prix du pétrole – de 5 à 10 dollars par baril, ce qui se traduit par un coût de 125 à 300 milliards de dollars – ou dans l’accroissement des dépenses de sécurité (notamment en matière de transport) ou dans l’évolution des taux d’intérêt ou de la Bourse. C’est ainsi qu’il arrive à un coût total de 1 026 à 2 239 milliards de dollars selon l’hypothèse de fin de conflit, estimation qui n’inclut aucune dépense pour les pertes humaines et matérielles en Irak même

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