Réveil syndical
À l’approche de son prochain congrès, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) paraît sortir d’une longue et profonde léthargie.
« Après quinze ans de traversée du désert, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) va-t-elle retrouver le rôle qui a toujours été le sien dans le paysage politique tunisien, celui d’un précieux contre-pouvoir ? » Cette question, nous l’avions posée en février 2002, au lendemain du congrès extraordinaire de la centrale syndicale unique, dans l’île de Djerba (J.A. n° 2147). Elle reste d’actualité. Si l’organisation tarde à retrouver son prestige passé, quand feu Habib Achour, son secrétaire général, ne craignait pas de rejeter les décisions du gouvernement au nom de l’intérêt des travailleurs, les signes d’un réveil du syndicalisme tunisien n’en sont pas moins perceptibles.
« En 2004, le soutien de l’UGTT à la candidature de Ben Ali pour un quatrième mandat présidentiel a été âprement discuté au sein de la commission administrative, rappelle l’économiste Abdeljélil Bédoui, ancien responsable des études au sein de centrale ouvrière. La majorité a fini par accepter une motion de soutien présentée par le bureau exécutif, mais certaines structures régionales, plusieurs fédérations (enseignement supérieur, santé) et des syndicats nationaux y étaient hostiles. » L’UGTT a eu d’autres occasions de manifester ses velléités d’indépendance.
Ainsi, en juillet 2005, elle a refusé de présenter des candidats à la nouvelle Chambre des conseillers (Sénat), conformément à la procédure d’élection proposée par le pouvoir. Elle a par ailleurs critiqué l’invitation faite à l’ancien Premier ministre israélien Ariel Sharon de participer au sommet mondial sur la société de l’information (Tunis, novembre 2005), s’est élevée contre l’interdiction du congrès de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) et a contribué de façon déterminante à la création du Forum social tunisien (FST), dont l’assemblée constitutive s’est tenue fin avril à Tunis. Enfin, elle a publiquement exprimé son soutien au syndicat de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique ainsi qu’à diverses organisations de la société civile qui ont maille à partir avec le pouvoir : du syndicat des journalistes à l’association des magistrats, en passant par le conseil de l’Ordre des avocats. Même certaines catégories, où la syndicalisation est pour l’instant inexistante, comme les diplômés-chômeurs ou les retraités, ont droit à sa sollicitude.
À cela s’ajoute, bien sûr, les nombreuses grèves – modérément appréciées par le gouvernement – organisées dans l’enseignement, la santé publique et de nombreuses entreprises, publiques et privées. Sans parler des tensions provoquées par les négociations sociales, qui peinent à aboutir dans certains secteurs.
Le Bureau exécutif du syndicat unique ne cherche pas la confrontation directe avec les autorités, mais peut difficilement aller à l’encontre de la volonté des salariés, qui ont aujourd’hui de bonnes raisons de se rebiffer. Au premier rang de celles-ci, Abdeljélil Bédoui cite les résultats des négociations salariales, dans l’ensemble très en deçà des attentes des travailleurs. « Les augmentations ont été calculées sur la base de l’indice des prix officiel, qui ne représente pas la hausse réelle du coût de la vie, explique-t-il. L’augmentation des prix de l’énergie, l’affaiblissement du dinar, l’abandon des mécanismes de compensation et la marchandisation de certains services jadis gratuits, comme l’éducation et la santé, grèvent le budget des familles. Lesquelles doivent aussi, en l’absence d’indemnité de chômage, subvenir aux besoins de leurs enfants, souvent diplômés-chômeurs. » L’économiste admet cependant que la marge de manuvre du gouvernement est réduite. Depuis 2001, le pays a en effet dû encaisser toute une série de chocs : baisse des recettes touristiques, hausse des cours de l’énergie, démantèlement des accords multifibres (qui a fragilisé l’industrie textile) et démantèlements tarifaires imposés par l’accord d’association avec l’Union européenne.
Outre ces facteurs objectifs, le réveil syndical s’explique aussi par des facteurs subjectifs liés au renouvellement des structures de l’organisation, dans la perspective de son prochain congrès, en février 2007. « Malgré les tentatives du bureau exécutif de contrôler les élections, ce sont les éléments les plus combatifs qui ont souvent remporté l’adhésion de la base. Le gouvernement a du mal à imposer ses partisans », explique Abdelmajid Sahraoui, secrétaire général adjoint de l’Union des syndicats du Maghreb arabe, dont le siège est à Tunis.
Par ailleurs, la faiblesse et le manque de charisme d’Abdessalem Jerad, l’actuel secrétaire général, exacerbent les ambitions de ses collègues du bureau exécutif. Certains lui reprochent d’être trop consensuel : « Il veut être l’ami de tout le monde et ne refuse rien à personne. » D’autres, de « naviguer à vue entre les pressions contradictoires du gouvernement, de la base et des autres dirigeants syndicaux ». Bref, de ne pas « maîtriser la situation ». « Si son objectif est de se maintenir à son poste le plus longtemps possible, ses 70 ans passés et sa santé fragile (il a subi, en 2005, une opération à cur ouvert) sont loin d’être des atouts », ironise l’un de ses « camarades », sous le couvert de l’anonymat.
Qui pourrait lui succéder ? Trois autres membres du bureau exécutif sont souvent cités : Ali Romdhane, tenant d’une ligne plus indépendante à l’égard des autorités, Hédi Ghodbani, chargé du règlement intérieur, et Mohamed Chandoul. Aucun n’a encore annoncé sa candidature, mais tous y pensent et y travaillent. Et s’ils ne cherchent pas, pour le moment, à rompre le statu quo, c’est dans l’espoir de renforcer leurs positions respectives dans les structures de l’organisation, mais aussi vis-à-vis du pouvoir, dont l’influence sur les affaires de la centrale reste importante.
Reste à savoir si ce réveil sera durable ou seulement conjoncturel. Replongera-t-il après son congrès dans l’inertie des années 1990 (voir encadré) ? Des affrontements avec le pouvoir sont-ils aussi à craindre ? Difficile de répondre, même si la plupart des observateurs sont convaincus que l’UGTT, qui tarde à mettre en route le plan de restructuration lancé au congrès de Djerba, sera contrainte d’opérer de profonds changements pour s’adapter aux mutations en cours dans le monde du travail (poids grandissant du secteur privé, des services, des PME, des femmes). Au risque de voir apparaître d’autres syndicats, perspective souvent brandie comme une « menace » par des syndicalistes proches du gouvernement. Mais aussi par certains partis d’opposition, dont la présence volontairement feutrée n’en est pas moins active, notamment lors des réunions électives.
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