Driss Guiga

Ancien ministre tunisien de la Santé, de l’Éducation et de l’Intérieur

Publié le 18 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

« J’ai servi mon pays pendant trente-cinq ans, à des époques différentes et des postes importants. J’ai eu une carrière très riche, où rien n’a manqué : ni les disgrâces, ni les traversées du désert, ni l’emprisonnement », confie Driss Guiga. À 80 ans, l’ancien ministre de l’Intérieur de Habib Bourguiba coule des jours tranquilles à Hammamet, station balnéaire située à 60 kilomètres de Tunis, dans une maison de style arabo-mauresque érigée au milieu d’un verger planté d’orangers et de citronniers. Pour occuper son temps, il fait son marché le matin et discute avec les gens. « On me parle plus librement que lorsque j’étais ministre », dit-il. Il fait aussi du jardinage. Et, surtout, lit beaucoup, « souvent deux livres à la fois : un en arabe et un en français ». Dernier ouvrage lu, l’essai de Youssef Seddik : On n’a jamais lu le Coran.
N’a-t-il pas pensé écrire ses mémoires ? Réponse : « J’ai déjà couché sur le papier beaucoup de souvenirs. Mais je l’ai fait pour moi, mes enfants et petits-enfants. Nullement pour l’Histoire, qui, elle, est l’affaire des historiens. » Et d’expliquer : « À vrai dire, je n’ai rien à révéler. Le système politique tunisien était très ouvert. Bourguiba parlait de tout et même, parfois, des questions les plus intimes. »
Né en 1924, à Testour, village du Nord-Ouest où son père était instituteur, Driss Guiga a intégré le mouvement national à l’âge de 14 ans. « J’étais élève au collège Sadiki de Tunis. Le 8 avril 1938, les autorités coloniales ont arrêté Ali Belhaouane, notre professeur, qui était responsable de la jeunesse du Néo-Destour, parti nationaliste fondé quatre ans plus tôt. Il s’ensuivit une grève générale, et le collège resta fermé pendant deux mois », raconte-t-il. Devenu membre d’une cellule clandestine du parti, l’élève ne tarde pas à faire la connaissance de Bourguiba et à devenir « bourguibiste ».

Après des études de droit et d’histoire à l’Université d’Alger (1944-1947) – c’est là qu’il fait connaissance avec sa future femme, Chacha, peintre de son état -, Driss Guiga s’inscrit à la faculté de droit de Paris où il obtient un diplôme de droit privé en 1949. De retour à Tunis, il intègre le cabinet de son oncle Bahri Guiga, avocat et homme politique, et prête son talent de journaliste à Mission, journal créé par feu Hédi Nouira. Arrêté en 1952, il passe sept mois en prison. « À l’époque, l’indépendance nous paraissait comme un objectif lointain. Mais la défaite de l’armée française à Dien Bien Phu, en 1954, a accéléré le processus de décolonisation », raconte-t-il.
Au lendemain de l’indépendance, en 1956, le jeune juriste est nommé successivement secrétaire général de l’Assemblée nationale, directeur de l’Administration régionale, puis directeur général de la Sécurité au ministère de l’Intérieur jusqu’au complot contre l’ex-président, en 1962, que ses services n’ont pas vu venir. Il dirige ensuite l’Office national du tourisme pendant sept ans avant d’être nommé ministre de la Santé en 1969, puis de l’Éducation nationale en 1973 – après la grève générale contre l’arabisation préconisée par Mohamed Mzali. En 1976, il est envoyé comme ambassadeur à Bonn. Ce qui n’a rien d’une promotion. En fait, son activisme en faveur de la décentralisation universitaire a déplu au Premier ministre de l’époque, feu Hédi Nouira.

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Driss Guiga doit attendre le départ de ce dernier, en 1980, pour signer son retour au gouvernement comme ministre de l’Intérieur. Les fameuses « émeutes du pain », fin décembre 1983-début janvier 1984, mettront fin à la carrière de cet homme à poigne. Bourguiba lui en veut d’avoir appelé à la démission du gouvernement. Traduit devant la Haute Cour de l’État pour « haute trahison » (pas moins), il est condamné par contumace à dix ans de prison. Exilé à Londres, il travaille comme conseiller de l’homme d’affaires saoudien Chamseddine el-Fassi, président d’une fondation pour… la promotion du soufisme (sic !).
Le 8 novembre 1987, soit vingt-quatre heures après la destitution de Bourguiba, Driss Guiga débarque à l’aéroport de Tunis-Carthage. A-t-il négocié son retour au pays ? « Absolument pas, répond-il. Je n’ai rien demandé au nouveau président, lequel ne m’a d’ailleurs rien promis. » L’ancien ministre de l’Intérieur passe treize jours à la prison civile de Tunis. Le 13 décembre 1987, il est condamné à cinq ans de prison… avec sursis. Et donc relâché.
« Je suis très reconnaissant à Ben Ali de n’être pas revenu sur les grands choix de Bourguiba, même s’il a dû se séparer des hommes qui ont collaboré avec ce dernier », explique Driss Guiga. Ne tient-il donc pas rigueur à l’ancien président ? « Sans rancune », répond-il, un brin philosophe.

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