Moncer Rouissi

Nouvel ambassadeur de Tunisie en France

Publié le 21 octobre 2003 Lecture : 5 minutes.

C’est un homme connu, et reconnu, qui présentera ses lettres de créance au président Jacques Chirac au début du mois de novembre. Nommé ambassadeur de Tunisie en France le 29 septembre dernier, Moncer Rouissi est, selon ses pairs, l’un des cinq plus grands sociologues que le pays ait connus. Âgé de 63 ans, marié et père d’un enfant, il passe pour un être convivial, voire jovial, plutôt bon vivant et toujours prompt à raconter une anecdote. S’exprimant posément, manifestant un certain goût pour l’analyse, mais capable de se montrer passionné si le sujet lui tient à coeur, Moncer Rouissi arrive à Paris – et c’est bien là l’essentiel pour la fonction qui lui a été dévolue – avec une solide réputation de fin politique et de bon communicant. Pour ne rien gâter, il possède, selon un de ses proches, « des affinités intellectuelles et affectives assez fortes avec la France ».
Et pour cause : la France, il la connaît bien pour y avoir poursuivi
ses études universitaires. Quatre ans dans le Sud-Ouest, et six dans la capitale. À Toulouse, il décroche une licence en sociologie, lettres et sciences sociales. À Paris, un diplôme de démographie et
un doctorat en sociologie à l’université René-Descartes (Paris-V). Les différents cours et conférences auxquels il assiste lui donnent l’occasion de se confronter aux idées de grands noms de la pensée tels Alain Touraine, Pierre Bourdieu, Raymond Aron, Georges Gurvitch ou Jacques Berque. De retour à Tunis, en 1966, il intègre le Centre d’études et de recherches économiques et sociales (CERES). Il rédige de nombreux articles et études, contribue à plusieurs ouvrages collectifs et publie sous son nom, entre autres, Une oasis du Sud tunisien, le Jerid (1971), un essai d’histoire sociale, et Population et société au Maghreb (1977). En 1979, l’ONU sollicite son expertise et l’envoie pour une mission de treize mois en Syrie. Il renouvelle l’expérience au Maroc, entre 1980 et 1983.

« Le travail du sociologue, aime-t-il à répéter, c’est, à beaucoup d’égards, une manière d’interroger. » À commencer par soi-même. Moncer Rouissi est originaire de ces oasis du Jerid qu’il saura si bien mettre en mots. Les titres de gloire de son père et de son oncle, Youssef Rouissi, compagnons d’Habib Bourguiba pendant la lutte de libération nationale, auraient pu lui ouvrir grandes les portes du pouvoir. Imprégné du non-conformisme qui marque les années 1960-1980, Moncer préférera, comme on dit en sociologie, s’interroger et tracer son propre chemin. S’il est fortement politisé – famille oblige -, il ne veut s’engager dans aucune formation, qu’elle soit au pouvoir, tolérée ou clandestine. « Il n’a jamais appartenu à un parti politique, mais s’est toujours situé dans une mouvance de gauche, se souvient un de ses condisciples universitaires. Il était plus attiré par la sphère associative. »
De fait, Moncer Rouissi est un des cadres dirigeants de l’Union générale des étudiants de Tunisie (UGET) à Toulouse puis à Paris. Plus tard, à Tunis, il compte parmi les membres fondateurs du syndicat de l’enseignement supérieur, dont il devient secrétaire général. Au milieu des différentes sensibilités de l’époque – militants du parti unique au pouvoir, de la gauche progressiste, des droits de l’homme, membres du groupe Perspectives, socialistes arabes, syndicalistes -, il se forge une image d’homme du consensus, tisse des liens avec tous, prend soin de ne fermer aucune porte, se trouve au centre de la plupart des pétitions circulant, le plus souvent, sous le manteau. « Il jouait ce rôle de rassembleur parce qu’il était profondément démocrate, explique un ancien compagnon de route. Il avait en plus une fibre sociale. »

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Comment cet intellectuel si jaloux de son indépendance a-t-il pu se jeter à corps perdu dans la politique pure et dure, dès novembre 1987, pour soutenir le projet de changement et de démocratisation de Zine el-Abidine Ben Ali ? Une relation personnelle, avancent les uns. Des convictions, répondent les autres. Sûrement un peu des deux, même si Rouissi préfère ne parler que d’idées. En 1987, la sénilité d’Habib Bourguiba menace de plonger la Tunisie dans le chaos. Le sociologue est frappé par l’absence de débat quant à la transition qui s’annonce. « Nos
sociétés ne savent pas gérer la diversité des opinions », dit-il alors. Ben Ali se présente comme le sauveur. Dans sa déclaration du 7 novembre 1987, il évoque
le pluralisme politique, qui n’est plus considéré comme un mal. « Pour une fois, il y a une déclaration qui associe la diversité et la reconnaissance de la maturité du peuple tunisien », souligne Rouissi. Les deux hommes se sont rencontrés par hasard, quelques mois plus tôt, chez des amis communs. Une fois installé au palais de Carthage, Ben Ali appelle Rouissi pour en faire son conseiller. Il accepte.
L’intellectuel se trouvera, plus tard, d’autres idéaux en commun avec le chef de l’État : le maintien d’acquis comme la libération de la femme et la promotion de sa place dans la société, l’éducation pour tous. Son expérience de la société civile est mise à contribution pour asseoir le projet politique de Ben Ali sur un consensus fort, condition indispensable pour instaurer une démocratie stable. Les bases en sont jetées avec la conclusion, en 1988, d’un « pacte national » en vue de la construction d’une société plurielle et évolutive. L’étoile de Rouissi n’en finit pas de monter. Il accompagne le président pour sa première visite en France, en 1988, puis à l’ONU, en 1989. La même année, Ben Ali en fait son directeur de campagne pour la première élection présidentielle. Puis le nomme ministre des Affaires sociales (1989-1991) pour asseoir, cette fois-ci, la paix sociale à la tunisienne. Les portefeuilles se succèdent : ministre-conseiller à la présidence (1991-1992), ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle (1992-2002), ministre de l’Éducation et de la Formation (2002-2003). Il se distingue à ce dernier poste par son action modernisatrice.
Au cours de ces deux vies – le milieu associatif puis l’engagement politique -, au moins deux choses n’ont pas changé en Moncer Rouissi : l’art de la recherche du consensus et de la diplomatie sociale, et l’amour… de la poésie de Nizar Kabbani. Pour venir à Paris, il devra tout de même consentir un sacrifice : se priver de sa promenade dominicale au marché central de Tunis, où il aimait faire ses courses. Le poste d’ambassadeur qu’il vient d’accepter vaut bien ce léger désagrément. La France est aujourd’hui encore le premier partenaire économique de la Tunisie. Les relations entre les deux pays jouissent, il est vrai, de l’excellence des rapports entre les présidents Ben Ali et Chirac.

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