L’affaire Macky Sall

Évincé de son poste de numéro deux du parti au pouvoir, l’ex-Premier ministre, soudainement tombé en disgrâce, pourrait être contraint de quitter le perchoir de l’Assemblée nationale. Et connaître le même sort que son prédécesseur à la primature Idrissa S

Publié le 27 novembre 2007 Lecture : 6 minutes.

« Vous avez commis l’erreur politique d’avoir convoqué mon fils. C’est une erreur grave que vous allez payer. » Si ces quelques mots n’étaient pas ceux du chef de l’État s’adressant à son ex-Premier ministre devenu président de l’Assemblée nationale après avoir été son directeur de campagne, ils passeraient pour un simple effet de boubou dans une vie politique sénégalaise qui en a fait une spécialité. Lorsque Macky Sall, à sa demande, est reçu par Wade, le 16 novembre, c’est pour lui dire le fond de sa pensée. L’ancien chef du gouvernement voulait faire la lumière sur les attaques incessantes dont il était l’objet depuis plusieurs semaines. Notamment de la part des fédérations du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir) demandant en chur la suppression de son poste de numéro deux du parti, alors qu’une pétition signée par des députés de sa famille politique exigeait qu’il quitte la présidence de l’Assemblée nationale.
S’il assure ne pas être à l’origine de la pétition, Wade n’en précise pas moins qu’il ne fera rien pour l’arrêter. Il accède cependant à la demande de Macky – comme les Sénégalais appellent l’ancien locataire de la primature – de ne pas assister à la réunion du Comité directeur du PDS pour éviter une humiliation publique. Bien lui en a pris car le huis clos entérina sous la houlette du chef de l’État son limogeage du poste de secrétaire général adjoint du parti, et retient le principe de la réduction de cinq à un an du mandat du président de l’Assemblée nationale. On ne s’y prendrait pas autrement si on voulait voir l’intéressé quitter le perchoir.

L’homme à abattre
Celui que le chef de l’État couvrait il n’y a pas si longtemps de tant d’éloges est devenu l’homme à abattre. Mis en quarantaine au lendemain de son éviction de la primature le 19 juin, il subit pour la première fois les foudres du palais lorsqu’il convoque, le 4 octobre, Karim Wade, fils et conseiller du président, dans l’hémicycle. Macky souhaite que les députés l’entendent sur sa gestion des « chantiers de l’Agence nationale de l’Organisation de la conférence islamique [Anoci] », des travaux publics effectués en vue de la tenue du sommet de l’OCI en mars 2008, à Dakar.
« C’est un piège qui est en train d’être tendu à Karim, confie un député à Wade. Dans l’hémicycle, toutes les questions lui seront posées en wolof. On veut mettre à nu ses carences dans notre langue nationale, ce qui est rédhibitoire pour quelqu’un à qui on prête une ambition présidentielle. » Le chef de l’État se laisse convaincre et s’oppose à l’audition. Cette réaction à l’initiative des députés d’entendre un gestionnaire des deniers publics en surprend plus d’un. D’autant qu’une autre responsable d’agence, en l’occurrence Aminata Niane, directrice de l’Agence nationale pour la promotion des investissements et des grands travaux (Apix), proche parmi les proches du palais, s’est prêtée au même exercice quelques jours auparavant sans que personne n’y trouve à redire. Et que l’Assemblée nationale, majoritairement acquise au pouvoir, serait plus une tribune pour le fils du président qu’un tribunal.
Il n’empêche. Dans une lettre au ton délibérément inamical, Wade justifie sa décision en indiquant le 12 octobre au président de l’Assemblée nationale : « Votre convocation est prise en violation flagrante des textes. » S’il accepte de chuter dans l’appareil du parti sans broncher, Macky refuse de résilier son bail de locataire du perchoir. Et ce malgré la visite que lui rend à domicile son camarade Doudou Wade, président du groupe parlementaire PDS, qui lui annonce tout de go : « C’est le chef de l’État qui veut votre départ. Il usera de tous les moyens pour l’obtenir. Épargnez-vous une humiliation. »
Dès la matinée du 19 novembre, la gestion gouvernementale de Macky (qui fut ministre de l’Énergie, puis de l’Intérieur, avant de devenir Premier ministre), ainsi que son patrimoine font l’objet d’une enquête. Les limiers s’intéressent tout particulièrement à la gestion du Programme national de développement local (PNDL, un fonds de 100 milliards de F CFA confié à la primature), mais aussi à deux biens immobiliers de l’ancien chef du gouvernement situés l’un à Saly, une station balnéaire à une cinquantaine de kilomètres de Dakar, et l’autre à Atlanta, aux États-Unis. Les enquêteurs tentent d’établir un délit à la réglementation douanière – la maison de Saly aurait été construite avec du matériel importé non dédouané – mais également un fait d’enrichissement illicite, car la demeure d’Atlanta aurait été achetée avec des fonds dont la provenance reste mystérieuse.

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Réconciliations tous azimuts
Dans la foulée, un entrepreneur de BTP, proche parent de l’épouse du président de l’Assemblée nationale, est soupçonné d’être le porteur d’affaires de ce dernier. Une méthode qui n’est pas sans rappeler celle utilisée dans un passé tout récent contre Idrissa Seck, le prédécesseur de Macky Sall à la primature, accusé de malversations, harcelé lui comme ses proches, emprisonné, avant d’être publiquement blanchi par Wade. Autre point commun : l’ombre du fils du président. Alerté – sûrement par des contacts qu’il a gardés depuis son passage à l’Intérieur -, Macky peaufine sa stratégie de défense et se prépare au pire. Aux dires de ses proches, il est d’autant plus serein qu’il a bâti sa résidence de Saly en recourant aux services d’un entrepreneur qui s’est chargé d’acquérir tout le matériel nécessaire. Et que la propriété d’Atlanta a été acquise à crédit – les mensualités s’élèvent à 600 dollars -, après un apport de 4 000 dollars.
Macky est dans le viseur depuis qu’il a perdu son principal protecteur : Karim Wade. Autrefois très proches, les deux hommes ont été éloignés par les vicissitudes de la vie politique. Le choc de leurs ambitions présidentielles occupe le landernau politico-médiatique sénégalais depuis le lendemain des législatives du 3 juin. Et les multiples tentatives de réconciliation à l’initiative de leurs amis communs échouent les unes après les autres. Y compris la dernière, discrètement menée courant octobre par Abdoulaye Bamba Diallo et Mamadou Oumar Ndiaye, deux ténors de la presse locale. À ces go-between, Karim Wade a fait savoir : « Il faut d’abord que Macky Sall se débarrasse de ses conseillers de presse Abou Abel Thiam, Racine Talla et Alioune Fall, qui passent leur temps à me faire insulter dans les journaux. » Réponse du président de l’Assemblée nationale : « Ce n’est pas à Karim Wade de me choisir mes amis. »
Mais le fils du président n’est pas le seul à avoir l’ex-Premier ministre dans le collimateur. Hassan Bâ, un conseiller du chef de l’État aussi discret qu’influent, a, lui aussi, joué sa partition. Il a d’ailleurs été le premier à ouvrir les hostilités. Le 2 janvier 2007, alors que Macky était chef du gouvernement et directeur de campagne de Wade, Bâ s’est ouvertement attaqué à lui, sous les yeux de Karim Wade. Objet de cet échange vif qui s’est déroulé lors d’une réunion à la primature : la stratégie de campagne pour la présidentielle du 25 février. Il y a également Pape Diop, maire de Dakar et président du Sénat, aussi écouté de Wade que de sa famille. Ce personnage discret a failli un jour avoir la tête du directeur de la télévision nationale. La faute de ce dernier ? Avoir, « dans le mépris de la préséance », fait passer au journal télévisé un sujet sur l’Assemblée nationale avant celui sur le Sénat.
En dépit de ces adversités, Macky entend résister. Le 17 novembre, un de ses proches, Moustapha Cissé Lô, a menacé de constituer un nouveau groupe parlementaire. Et lancé une pétition contre Doudou Wade. Au risque de créer une scission au sein de la formation présidentielle.
La crise préoccupe tous ceux attachés à la démocratie sénégalaise. Et qui n’en peuvent plus de voir les chicaneries au sein d’un parti, fût-il au pouvoir, dicter le calendrier judiciaire et la vie des institutions du pays. L’idée de réduire le mandat du président de l’Assemblée nationale à une peau de chagrin en rebute plus d’un à Dakar. À l’instar de Moustapha Niasse, chef de file de l’Alliance des forces de progrès, qui estime qu’« aucun parti n’a le droit de traduire ses problèmes internes en lois et règlements ».

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