Kamel Mennour
Galeriste spécialisé dans l’art contemporain, il expose à Paris des artistes de renommée internationale. Tout en soutenant les jeunes pousses des pays émergents.
« J’ai oublié la clé à l’intérieur, il va falloir attendre que l’intendant vienne nous ouvrir. Je n’ai vraiment pas de tête. » Boule à zéro et gueule glamour encadrée par de fines lunettes rondes, Kamel Mennour accueille malicieusement le visiteur dans la cour intérieure sur laquelle ouvre sa galerie. Pas de tête ? À voir : l’ex-« outsider de la rive gauche » n’est-il pas devenu le « Zidane de l’art contemporain », comme disent les journaux ?
Quelques instants plus tard, l’intendant fait son apparition et ouvre la porte de la galerie Mennour*, troisième du nom. Celle de la consécration. Celle que l’artiste Daniel Buren, auteur des célèbres colonnes du Palais-Royal, a choisie pour faire sa réapparition. « Son travail n’avait pas été montré depuis 2001. C’est un vrai cadeau qu’il nous a fait », lance, non sans fierté, le maître des lieux.
Inaugurée en septembre dernier, la galerie est un vaste espace de 380 m2, au rez-de-chaussée d’un hôtel particulier du XVIIe siècle, au cÂur de Saint-Germain-des-Prés, à Paris. Tout en miroirs, verres colorés translucides et caissons en saillie, l’installation épouse magistralement le volume des pièces.
Dans l’arrière-salle, les deux premiers visiteurs de la journée déambulent en commentant les multiples jeux de lumière créés par les seuls éléments qui meublent la pièce : deux grands panneaux de plexiglas coloré, placés à trois mètres l’un de l’autre. « Je suis amoureux de cette pièce, elle est sublimissime de simplicité », s’enthousiasme le galeriste, qui part aussitôt s’enquérir, pour le plaisir, des impressions de ses hôtes.
La réussite de Kamel Mennour est à bien des égards singulière. D’origine modeste, il fait des études d’économie et obtient une maîtrise dont il ne sait trop que faire. Il rêve d’une carrière artistique, mais n’a ni formation ni réseau. Pourtant, il décide un beau jour que ses batteries chargées à bloc ne s’épuiseront pas en vain dans la quête de plus-values sonnantes et trébuchantesÂ
Arrivé en France à l’âge de 1 an après que ses parents eurent décidé de quitter leur Algérie natale pour s’installer à Montreuil, en banlieue parisienne, Kamel manifeste très tôt son audace et sa pugnacité. Des qualités qu’il tient à l’évidence de sa mèreÂ
À l’époque, son père est peintre en bâtiment et fait vivre la famille. Mais lorsque sa maman, alors femme au foyer, décide de quitter son mari et d’élever seule ses trois enfants en jonglant avec les petits boulots, Kamel prend très à cÂur son rôle de frère aîné.
Afin de la soulager, lui aussi multiplie les jobs sans intérêt qui lui permettent de financer ses études. L’un d’eux va changer le cours de sa vie. Un jour, un ami lui propose de faire du porte-à-porte pour vendre des lithographies pas vraiment du meilleur goût. Le gagne-pain est ingrat mais, cinq ans durant, il aiguise son appétit pour l’art. Le vrai. Alors, Kamel fonceÂ
Il force toutes les portes, prend conseil auprès de commissaires d’expositions, rencontre des artistes, dévore livres d’art et catalogues de ventes aux enchères En 1999, son destin bascule. Il trouve un local idéalement situé, rue Mazarine, au cÂur du Quartier latin. Le loyer est modeste, mais l’endroit guère plus grand qu’une boîte d’allumettes. Qu’importe, il ne laisse pas passer sa chance et ouvre sa première galerie.
Personne ne lui met le pied à l’étrier, mais le jeune homme ne manque pas de culot. Il se fait connaître en allant chercher des photographes internationalement reconnus, mais rarement exposés en France. Il est ainsi le premier à présenter le travail du Japonais Daido Moriyama. Dans ses bagages, il ramène également Nobuyoshi Araki, un autre Japonais, mais aussi l’Américain Larry Clark et le Tchèque Jan Saudek, des artistes à la réputation d’anticonformisme bien établie. Le succès est immédiat.
En 2003, Mennour ouvre une deuxième galerie, puis, dans la foulée, se lance dans d’autres disciplines artistiques : peinture, sculpture, vidéoÂ
Les artistes qu’il soutient ont un point commun : le mélange des moyens d’expression. Parmi ses « poulains » : le Français d’origine algérienne Kader Attia, qui explore les traumatismes de son enfance et questionne le déracinement, et le Franco-Algérien Adel Abdessemed, qui s’interroge sur l’identité et la sexualité. Est-ce à dire que les Arabes tiennent une place à part dans ses choix ?
« Ils ont une vitalité, ils veulent transgresser la culture, l’islam, être un peu plus tranchants, mais je ne les sélectionne pas en fonction de leur passeport. De manière générale, je suis attiré par les artistes non conventionnels, qui ont un vrai discours, qui s’interrogent sur l’avenir ou la géographie sociale et politique. J’aime les créateurs de ma génération. Sans eux, je n’aurais pas pu continuer. »
Celui que certains de ses confrères?qualifient peu aimablement de « galeriste people », parce qu’ils croient savoir qu’il organise des soirées branchées sans regarder à la dépense, est avant tout un bosseur. « L’envie », « l’enthousiasme », « la vérité » sont des mots qui reviennent constamment dans sa bouche, même s’il s’exprime avec prudence et ponctue son discours de silences réfléchis. Il juge ainsi « sublime » la dernière exposition de Claude Lévêque qu’il vient de présenter à la foire de Miami. Et « génial » le travail d’une autre de ses artistes, la jeune vidéaste égyptienne Doaa Aly. Son enthousiasme a parfois un côté un peu naïf et évoque l’univers de l’enfance.
À 42 ans, Kamel Mennour affirme pourtant avoir atteint sa « vitesse de croisière » et une « véritable reconnaissance » en France – il a été, l’an dernier, l’un des quatre experts de la commission de la Foire internationale d’art contemporain (Fiac), à Paris -, mais aussi à l’étranger, où il participe à d’innombrables foires, de Venise à Miami.
Loin de se reposer sur ses lauriers, le galeriste fourmille de projets. « L’Inde, l’Afrique, les Balkans De plus en plus, l’art viendra des pays émergents, raison pour laquelle nous devons faire l’effort de soutenir leurs artistes. En tout cas, c’est dans cette direction que je vais désormais me tourner », explique-t-il. Il s’arrête et ajoute, non sans fausse modestie tant le pari semble d’ores et déjà gagné : « J’espère que, dans quelques années, on pourra dire que Mennour a fait un travail de défricheur. »
Sa plus grande réussite ? « Mes enfants ! » lance-t-il pourtant sans hésiter. La réponse peut sembler convenue, mais, à voir Kamel Mennour farfouiller dans les tiroirs de son bureau à la recherche d’une photo de l’une de ses filles, un bâtonnet de glace à la main, on finit par croire à sa sincéritéÂ
* Galerie Mennour, 47, rue Saint-André-des-Arts, 75006 Paris.
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