Maryam Radjavi

La France ne devrait pas l’extrader. Mais, privée de son sanctuaire irakien, la figure de proue des Moudjahidine du peuple iranien n’a plus guère de cartes entre les mains.

Publié le 30 juin 2003 Lecture : 5 minutes.

Sans surprise, la présidente de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris a rejeté, le 25 juin, la demande de liberté provisoire déposée par Me Henri Leclerc, avocat de Maryam Radjavi, incarcérée depuis l’opération coup de poing lancée le 17 juin par la police française à Auvers-sur-Oise (voir pages 24 à 27). À l’appui de sa décision,
le magistrat a affirmé, selon Me Leclerc, que les faits reprochés à la figure de proue de l’Organisation des Moudjahidine du peuple iranien (OMPI) et « future présidente de l’Iran » (c’est son titre officiel) ont « troublé l’équilibre
géopolitique du monde ». La dirigeante « éclairée », comme l’appellent ses militants, voulait faire l’Histoire, voilà qu’elle la subit.
Qui est Maryam Radjavi, dont la seule arrestation a incité une dizaine d’hommes et de femmes, à Paris et ailleurs en Europe, à tenter de s’immoler par le feu pour montrer leur désespoir ? Issue de la petite bourgeoisie de Téhéran, elle voit le jour en 1953. Elle a 12 ans quand des intellectuels de gauche créent l’OMPI, une organisation marxiste. Objectif : s’opposer, par tous les moyens, à la politique pro-occidentale du chah, Mohamed Reza Pahlavi. Maryam Azdanlu, son nom de jeune fille, fréquente le plus grand campus de Téhéran où elle prépare un diplôme d’ingénieur en métallurgie. Sa biographie officielle affirme qu’elle entre en politique au lendemain de l’assassinat de sa soeur, activiste de l’OMPI, par la Savak, la police politique du chah. Elle se met alors au service de l’organisation et entre dans la clandestinité.
Massoud Radjavi est président de l’OMPI quand la Révolution islamique balaye, en 1979, avec le concours actif des Moudjahidine, le trône des Pahlavi. La mégalomanie de Radjavi, sa découverte tardive du Coran le poussent vers un cocktail idéologique détonnant : une fusion entre le matérialisme dialectique et une bondieuserie des plus douteuse. Le chef de
l’OMPI devient un Kim Il-sung et le centralisme démocratique se transforme en culte de la personnalité.
Quelques mois après la révolution des ayatollahs, on retrouve trace de Maryam Radjavi. Candidate aux élections législatives
dans une circonscription de Téhéran (les 250 000 suffrages qu’elle a réunis seront insuffisants), elle est désormais mariée à un cadre de l’OMPI, et mère d’une fille prénommée Achraf. Mais les Moudjahidine Khalq (« peuple » en persan), hier alliés du clergé révolutionnaire, tombent en disgrâce. Ils subissent une terrible répression des Pasdaran, les gardiens de la Révolution. En 1981, tous les dirigeants de l’OMPI fuient l’Iran, et c’est durant son exil français que Maryam connaît une ascension fulgurante.
En 1985, Massoud Radjavi décide de partager tous ses pouvoirs – et sa vie – avec l’épouse de son lieutenant. Il est vrai qu’elle a du charme. Pour faire avaler la pilule aux militants, on présente le mariage comme une nécessité mystique pouvant accomplir des miracles, guérir les Moudjahidine blessés lors d’opérations militaires et même provoquer la chute du régime des ayatollahs.
Devenue madame Radjavi, Maryam prend en main le commandement militaire de l’organisation. Son empreinte se fait immédiatement sentir. Les unités opérationnelles se féminisent. Les militantes constituent 30 % de la troupe, et plus de la moitié des officiers sont des femmes. Non content d’avoir transformé l’OMPI en secte, Massoud Radjavi s’allie à l’ennemi intime de l’Iran : Saddam Hussein. La générosité du maître de Bagdad permet à l’OMPI de renflouer ses caisses et de mettre sur pied une véritable petite armée. Une base de repli idéale est mise à la disposition du mouvement à quelques dizaines de kilomètres du territoire iranien. Au même moment, Saddam lance l’une des guerres les plus meurtrières qu’a connues l’Iran depuis… Gengis Khan.
Lorsque, après avoir été longtemps l’allié de l’Occident, Saddam devient l’ennemi à abattre, c’est à Maryam, le « Soleil de la révolution », qu’échoit la tâche de faire oublier cette encombrante alliance. En 1992, elle réinvestit le siège français de l’OMPI, s’affiche avec l’abbé Pierre, et son sourire séduit de nombreux parlementaires européens. En 1993, elle est élue « future présidente de la République d’Iran » par le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI, vitrine politique de l’OMPI). Si elle excelle en relations publiques, elle dirige d’une main de fer ses troupes. Que ce
soit en France ou en Irak, les rares témoignages sont accablants. Pour réglementer la vie sexuelle de leurs ouailles, les Radjavi séparent les couples mariés, privent les enfants de leurs parents et imposent aux militants une vie quasi monacale.
Massoud et Maryam vivent à Bagdad dans une luxueuse résidence du quartier chic du Karkh, sur les bords de l’Euphrate. Saddam leur offre un formidable outil de propagande : une chaîne de télévision dédiée à la gloire du couple. Mais les actions militaires que les Moudjahidine mènent en Iran ne font pas l’unanimité au sein de l’opposition. L’audience de l’OMPI décroît à l’intérieur du pays
C’est durant le dernier mandat de Bill Clinton que les soucis débutent. En 2000, le département d’État, dirigé alors par Madeleine Albright, classe l’OMPI parmi les organisations terroristes. Maryam mobilise ses sympathisants et ses lobbies. Un mois avant les attentats du 11 septembre 2001, une trentaine de sénateurs américains, démocrates et républicains, saisissent Colin Powell pour que l’OMPI ne figure plus sur cette liste. Après l’effondrement des tours du World Trade Center, ces parlementaires se feront plus discrets.
En janvier 2003, la guerre contre l’Irak est imminente. Maryam quitte précipitamment le pays de Saddam et retourne à Paris. Après la chute de Bagdad, de nombreux dirigeants de l’OMPI rejoignent le QG d’Auvers-sur-Oise, qui devient le centre névralgique de l’organisation, une sorte d’état-major de propagande politique. Beaucoup plus, selon la Direction de la surveillance du territoire (DST). Le service français de contre-espionnage estime que l’OMPI tente un redéploiement en France pour monter des opérations terroristes contre les intérêts iraniens en Europe, comme ce fut le cas en 1992, quand, après un raid de l’aviation iranienne contre leur base irakienne, les Moudjahidine prirent d’assaut les représentations diplomatiques de la République islamique dans une dizaine de pays occidentaux. L’OMPI s’apprêtait-elle à rééditer cet « exploit » une décennie plus tard ? « Peu probable, selon l’ancien président iranien Bani Sadr. Ils ont déjà perdu leur sanctuaire irakien, ils ne se hasarderaient pas à risquer de perdre le seul espace qui leur reste. »
Il y a peu de chances pour que la France accède à la demande d’extradition formulée par le président Mohamed Khatami, et l’on ignore encore combien de temps le Soleil de la révolution restera à l’ombre. Une certitude, en revanche : l’Europe ne palliera pas la perte du sanctuaire irakien.

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