Cendrine Obadia, une passion des montures
Cette créatrice venue du Maroc dessine des montures de lunettes originales. Son succès doit beaucoup à la collection commandée par l’acteur français Jean Reno.
C’est à 25 km au nord-ouest de Montréal, à Blainville, que se situent les locaux de Zig Eyewear, une entreprise de création de lunettes. La porte de l’établissement ouvre sur une aire dégagée et décloisonnée où domine le rouge. Ce pourrait être une galerie d’art parisienne au design contemporain. De larges tableaux aux couleurs vives habillent les murs et cohabitent harmonieusement avec de grandes affiches publicitaires d’artistes québécois portant les montures Zig Eyewear.
Silhouette menue, visage fin et voix rauque, c’est avec un large sourire que la présidente Cendrine Obadia nous invite à rejoindre la salle de conférences qui jouxte son vaste bureau, pour mieux nous montrer ses créations : les collections Ziggy et Jean Reno par Cendrine O. Le passage de l’acteur français au Québec lors de la promotion de son dernier film, Immortel, en septembre dernier, a permis à la créatrice de revenir sur le devant de la scène médiatique. Reno n’a pas manqué de mentionner le nom de son amie créatrice. « Jean Reno est une grosse vedette au Japon, on lui a proposé de lancer une collection de lunettes pour le marché japonais. Jean est un ami d’enfance de mon frère Yves. Il s’est donc tourné vers moi », explique-t-elle.
La collection Jean Reno par Cendrine O. a vu le jour en 2001. « Au début, Jean voulait uniquement des montures rondes. Je l’ai convaincu de ne pas se limiter. Quand je lui ai proposé mes lunettes, ils les trouvaient beaucoup trop excentriques. » Le succès a été au rendez-vous. Aujourd’hui, les deux collections, Ziggy et Jean Reno, se vendent à plus de 75 000 exemplaires chaque année, dont la majorité en Europe. Zig Eyewear écoule ses montures en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Russie, au Japon et en République tchèque, mais beaucoup moins au Canada. La raison avancée ? « Le territoire à couvrir est beaucoup trop large pour mes vendeurs. »
En outre : « Ici, les opticiens osent moins. Je parle surtout de Montréal, car nous vendons beaucoup en région. À Montréal, ils ne prennent pas trop de risques et proposent des marques classiques, Ray-Ban, Hugo Boss… c’est moins compliqué qu’expliquer au client l’histoire de Ziggy. Je considère que ce n’est pas la marque qui fait vendre mais plutôt l’objet. L’important, c’est de reconnaître le produit. » D’ailleurs la créatrice n’appose pas sa signature à l’extérieur des branches, comme le font les grandes marques internationales, mais la dissimule à l’intérieur.
Cendrine Obadia naît à Casablanca, le 24 novembre 1965. Ses parents détiennent une usine de sous-vêtements de nuit, et déjà elle laisse aller sa créativité en confectionnant de petits sacs à porter en bandoulière… « J’ai toujours aimé créer, peindre, dessiner… » À 16 ans, jeune fille au caractère rebelle, elle décide de quitter la Ville Blanche pour la Ville Lumière, alors que ses parents optent pour Montréal. « Je suis partie sur un coup de tête », confie la designer. Après trois ans à Paris, l’artiste ne parvient pas à s’épanouir. « J’en garde un souvenir amer. Ce n’est pas une ville où l’on peut vivre. Les gens sont stressés. Ce n’était pas, selon moi, un environnement pour créer. »
À 19 ans, Cendrine décide finalement de rejoindre sa famille au Québec et se met à la recherche d’un travail dès son arrivée. Elle trouve un poste de secrétaire dans un magasin de la chaîne d’optométristes Greiche & Scaff. Rapidement, elle monte les échelons et se retrouve aux achats. Son travail consiste alors à commander les montures pour les 60 boutiques de la marque, ainsi qu’à rencontrer les fabricants dans les usines. Son côté créatif la démange, et, très vite, elle laisse libre court à son imagination. « Je m’amusais à demander aux fabricants des lunettes de Greiche & Scaff de remanier telle monture, de modifier les branches, les couleurs… Je déformais tout ! » se souvient la designer. Pendant trois ans, le volume d’achat gonfle et Cendrine Obadia se passionne pour les montures.
Un week-end de 1988, alors qu’elle se rend dans le village touristique de Saint-Sauveur, au nord de Montréal, elle a un coup de foudre. « Je suis tout de suite tombée amoureuse de la place, je me suis arrêtée devant un local à louer et j’ai décidé d’y ouvrir une boutique. Un vrai coup de folie. » Les débuts sont difficiles et la chef d’entreprise se limite aux lunettes de soleil. « Je n’avais pas les moyens. » Elle garde son travail chez Greiche & Scaff pendant la semaine et, le week-end, elle s’occupe de sa boutique Ziggy et commence à dessiner ses propres montures.
La loi du marché est sans pitié. Les fabricants de lunettes ne voulant pas produire en petite quantité, la créatrice leur propose des croquis qu’ils peuvent utiliser gratuitement… Au début, les boutiques achètent les créations de Cendrine Obadia pour décorer leurs vitrines. Des montures trop excentriques qui, selon eux, « ne se vendraient jamais ». En 1995, elle ouvre Zig Eyewear, toujours à Saint-Sauveur, et, en 2001, elle lance la collection Jean Reno, qui compte aujourd’hui une soixantaine de modèles « reflétant la personnalité de l’acteur ». « Ce sont des lunettes très structurées, mais qui demeurent accessibles. On reste dans le domaine de l’excentrique raisonnable. »
Du point de vue créatif, la designer doit se limiter à une gamme de couleurs, de prix et de styles pour respecter le mandat de la collection. C’est avec les lunettes Ziggy que la conceptrice se lâche. « Elles sont plus audacieuses, plus colorées. » Qui achète ? « Tout le monde ! C’est le premier pas qui est difficile, mais, après, les gens ne reviennent jamais vers les lunettes ordinaires. Pour les hommes, c’est souvent le seul accessoire qu’ils portent, et pour les femmes, c’est un bijou. C’est une nouvelle façon de se distinguer. » Le marché de la lunette de créateur est en croissance en Europe comme en Amérique du Nord. « On est passé de 5 %, quand j’ai commencé, à 20 % de part de marché aujourd’hui. »
L’avenir de Zig Eyewear : « Continuer à se développer, à découvrir des nouveautés. Nous en sortons deux fois par an. » Cendrine avoue pourtant qu’elle crée plus que nécessaire : « La prochaine collection est déjà prête. Je m’inspire d’une toile, d’un tissu, d’une ceinture, de n’importe quoi dans mon environnement… et je dessine, sur la table de la cuisine, dans mon bureau, dès que j’ai une idée. Je dessine à la main et j’envoie mes dessins aux usines pour savoir s’ils sont capables de les produire. Ensuite, un dessin technique est réalisé, qui donne naissance à un prototype. »
La chef d’entreprise cherche aujourd’hui d’autres distributeurs et parcourt les salons internationaux pour faire découvrir son travail : Paris, Las Vegas, New York, Hong Kong… Le Maroc de son enfance, elle en rêve parfois. « J’ai trois grandes filles, j’aimerais qu’elles connaissent mon pays et voient l’appartement de mon enfance. » Reste que sa vie est au Québec. Cendrine Obadia s’implique d’ailleurs dans la communauté puisque, depuis 2007, elle soutient, entre autres, la Fondation québécoise des maladies de l’œil. Pour la vente de chaque monture Jean Reno par Cendrine O., 10 dollars lui sont reversés.
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