Maroc : Sophia Charaï, artiste patchwork
Elle aurait dû être architecte, comme papa. La marocaine Sophia Charaï s’est finalement orientée vers la musique et le chant, tout en s’autorisant des détours par la haute couture.
Une rose rouge plantée dans sa chevelure ondulée, un foulard chatoyant autour du front, la chanteuse marocaine Sophia Charaï tient à sa note bohème autant qu’à son élégance bien citadine. Pour elle, le métissage est un mode de vie qui s’exprime de mille manières. Sur scène, à la terrasse d’un café parisien ou dans les rues de son pays natal, la diva arbore un look bigarré, nourri de tous ses voyages et de toutes ses expériences. « Le mélange est en lui-même politique », dit-elle avec une expression joyeusement frondeuse.
Aussi glamour que provocatrice, elle aime se décrire comme une « Catherine Ringer du Maroc » (la chanteuse des Rita Mitsouko). Tout en rires et danses endiablées, elle nous emporte vers un monde arc-en-ciel aux sonorités plurielles.
« Mêle ta langue à la mienne / Mélangée fais-la tienne / Nos bouches tour de Babel / Entre harem et bordel. » Le ton est donné : sans tabous ni langue de bois, les morceaux de Pichu, premier album studio de la chanteuse sorti en 2010, dessinent un univers dont le visage est fantasque et le corps chevillé au réel. On y croise Pichu, le compagnon imaginaire de Sophia sorti tout droit d’un film d’Almodóvar, mais aussi Khadija, « Khali, Hassan et Hlima / Et Houria ». Le tout constitue une galerie mosaïque inspirée d’une vie qui l’est tout autant. Un ami d’enfance marocain, un mari et compagnon de musique français ou encore un prodige du chant indien, tous influencent les vers de Sophia… Tantôt racontés en darija, l’arabe marocain, tantôt en français, ces petits héros composent à leur manière le parcours de Sophia, riche en rebondissements.
De l’architecture au chant, en passant par la haute couture et le théâtre, cette adepte du métissage a exploré bien des disciplines. Si la première lui fut imposée par un père lui-même architecte, les autres l’ont aidée à sortir du chemin tout tracé. Une libération facilitée par une expatriation à Paris, à l’âge de 17 ans, pour études. Vite lasse de rester assise à assembler d’interminables projets, la jeune fille « bosse à droite à gauche pour [se] payer des cours de chant ». Quand des camarades de fac lui font découvrir le jazz, elle s’enthousiasme et apprend auprès d’eux les bases de la musique.
« J’ai toujours eu un rapport très lointain avec la musique traditionnelle marocaine », confesse-t-elle. Trop austère et cloisonné à son goût, ce répertoire n’a pas bercé ses jeunes années. « Moi j’m’appelle Sophia pas Oum Kalsoum », chante-t-elle. La musique égyptienne n’a pas non plus gagné ses faveurs. Une hostilité qui n’est pas étrangère à un besoin d’indépendance précoce. Née dans la cage dorée de la frange bourgeoise du Maroc dans les années 1970, Sophia Charaï n’a pu assister que de loin à l’émancipation d’une population trop longtemps contrainte.
Loin du foyer, loin des interdits
Si la Sophia du Maroc aurait eu du mal à être chanteuse et créatrice de mode, la Sophia de France, elle, a l’embarras du choix. Et après une longue privation, pas question de trancher. Du moins pas trop tôt. La gitane en herbe papillonne d’un domaine à l’autre, abandonne l’archi pour Mathias Duplessis, producteur et compositeur d’une musique taillée sur mesure. Dans ses mélodies hybrides nées du frottement des cultures, la chanteuse trouve son nid. Croisement entre l’Orient et l’Occident, entre arabe classique et rythmes modernes avec des touches de jazz, de flamenco et de refrains tsiganes… Un premier album est créé, encore bien loin de Pichu, qui lui permettra d’envoyer valdinguer les codes traditionnels. Mais le mouvement est lancé, même s’il s’interrompt durant quelques années quand Sophia rencontre la broderie.
« Ma tante fait de la haute couture. Un jour, j’ai vu des femmes qui brodaient à la machine. C’était tellement bien réalisé ! » L’artiste lâche le micro, se munit de ciseaux, de fil et de tout le nécessaire pour se tailler un manteau. « Une fois le vêtement prêt, je me suis éclatée à dessiner des motifs, à suivre les palettes de couleurs… » Trois collections et trois défilés voient le jour, aboutissement d’une polychromie culturelle en germe depuis des années.
Orientales et asiatiques, parsemées de motifs traditionnels, les créations de l’autodidacte annoncent l’évolution musicale de Pichu et la tournée internationale de 2011. Immersions à Grenade dans le quartier des Gitans, concerts informels en Inde et escapades musicales vers le Brésil ont donné naissance à l’album. Rapportés de ces voyages, la guitare flamenca, le sarangui et le tabla accompagnent les virevoltes de la créature qui danse « pour les âmes perdues » en brillant « plus fort que la lune ». Et maintenant ? Pourquoi ne pas se faire un peu plus engagée, un peu plus provoc ? Tel est en tout cas l’évolution souhaitée par Sophia Charaï…
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