Le spectre du mariage
On ne devrait jamais épouser un fantôme : c’est la leçon qui se dégage de l’histoire aussi triste qu’hilarante (si l’on ose dire…) de l’ami Abdelmoula. Il y a près d’une décennie, cet alors jeune habitant de La Haye décide d’aller à la mairie annoncer son mariage. En fait, il n’est pas plus marié que le bossu de Notre-Dame, mais il se dit qu’il y a des avantages dans le conjungo, à commencer par une réduction de l’impôt, l’attribution d’un logement, des allocations, etc. Pourquoi ne pas profiter de l’aubaine ?
À l’époque, les services de la municipalité étaient d’une naïveté confondante. Il suffisait d’agiter devant eux un papier ressemblant à un acte de naissance, de fournir une photo floue datant de Nadar et de payer de modiques droits d’enregistrement : hop, Abdelmoula se trouva, sur les tablettes de la mairie, marié avec une certaine Hana qui présentait l’immense avantage de n’exister point.
Heureux mariage qui jamais ne fut terni par la moindre dispute ni le plus petit désaccord ! Les deux tourtereaux s’entendaient à merveille, le réel et le virtuel s’accordant sur un point : chacun fichait une paix royale à l’autre… L’un continua à mener sa vie de garçon, rentrant à pas d’heure, l’autre frayait en silence avec les ectoplasmes et les zombies. Tant et si bien qu’Abdelmoula finit par oublier l’évanescente Hana. Il l’oublia même au point d’épouser l’an dernier une dénommée Malika. Au pays, du côté de Tanger, on fit une noce d’enfer pour célébrer les épousailles. Malika, elle, existait vraiment : c’était une gaillarde bâtie à chaux et à sable, la langue bien pendue, genre Bobonne-les-poings-sur-les-hanches-"va-sortir-la-poubelle !". Abdelmoula s’en revint à La Haye et alla à la mairie demander qu’on l’autorise à faire venir sa moitié au titre du regroupement familial.
– Holà, lui objecta l’ordinateur, tu es déjà marié avec une certaine Hana. Ici, on ne reconnaît pas la polygamie. Si tu veux faire venir Malika, il faut d’abord divorcer de Hana.
– Eh bien, soit, s’écria l’impétueux bonhomme, je répudie la gredine !
Mais entre-temps, les autorités étaient devenues plus méfiantes. Pour toute transaction matrimoniale, il fallait maintenant des preuves légalisées et la présence effective des impétrants.
– Produisez Hana, le challengea-t-on, et qu’elle nous dise qu’elle consent au divorce.
– À supposer qu’elle n’ait jamais existé ? hasarda Abdelmoula.
– Dans ce cas, vous devrez rembourser tout ce que vous avez indûment touché au cours des dix dernières années ; et vous irez en prison pour fraude.
On en est là. Au pays, Malika s’impatiente. À La Haye, Abdelmoula, étendu sur son lit, les yeux au plafond, essaie de résoudre ce problème philosophique : comment peut-on divorcer de quelqu’un qui n’a jamais existé ? Si vous avez la solution, soyez gentil de me la soumettre, je transmettrai à l’arroseur arrosé…
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