Fati Niang, au four et au volant

Fini la bonne vieille baraque à frites ! Avec son « food truck », l’entrepreneuse d’origine sénégalaise transporte la gastronomie africaine sur les routes d’Île-de-France.

Mafé, poulet yassa, tiep bou dien, alloco… la restauration rapide prend des couleurs. © Camille Millerand/J.A.

Mafé, poulet yassa, tiep bou dien, alloco… la restauration rapide prend des couleurs. © Camille Millerand/J.A.

Publié le 4 juillet 2014 Lecture : 4 minutes.

C’est une camionneuse d’un genre nouveau. D’un genre qui aime les talons aiguilles et qui peut, quand il le faut, se la jouer glamour. Comme en cette soirée du 19 juin, à l’Hôtel Marriott Champs-Élysées, à Paris, où elle reçoit le prix de l’entrepreneur africain de France 2014, catégorie femmes innovantes. Vêtue d’une robe toute de satin et de dentelle bleus, Fati Niang, 34 ans, semble plus que jamais dans son élément.

Difficile de croire à cet instant que, depuis quelques mois, la belle sillonne les routes d’Île-de-France avec Black Spoon, son food truck, autrement dit son camion de restauration rapide…

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Sa spécialité ? La gastronomie africaine. Mais ne cherchez pas d’ »innovation » dans les plats proposés, la jeune française d’origine sénégalaise se concentre sur ce qu’il y a de plus connu dans la cuisine ouest-africaine : mafé, poulet yassa, tiep bou dien, pastelles, brochettes d’alloco, etc. L’originalité est ailleurs : qualité des produits, rapidité du service et accessibilité. Les différents plats, à l’exception du riz nature, sont d’ailleurs concoctés chaque matin par son équipe dans un laboratoire de cuisine loué au mois.

À vrai dire, la cuisine ce n’est pas vraiment son « truc » à Fati… Bien sûr, elle a quelques bases, « ce que [lui] a appris [sa] mère dès l’âge de 12-13 ans », mais c’est tout. Non, « son truc » à elle, c’est plutôt la vente. Commerciale pendant dix ans, elle a tout plaqué en 2012, après la naissance de sa deuxième fille. « J’en ai eu marre de ces patrons qui ne comprenaient pas que lorsqu’on est une femme, avec des enfants, il faut parfois partir plus tôt », déclare-t-elle. Elle pense d’abord à ouvrir un restaurant, mais se rend compte qu’elle n’a pas assez d’expérience… culinairement parlant.

« Le food truck, c’était le parfait compromis ! » C’est aussi la très bonne idée du moment. Depuis près de deux ans, la capitale française – à l’instar des grandes villes américaines, qui connaissent le phénomène depuis des années – est envahie par ces camions ambulants sophistiqués dont les mets pourraient faire rougir bien des restaurants. « Le food truck, c’est particulier, explique la jeune femme. Ceux qui en ont un forment une sorte de communauté, au sein de laquelle il y a une charte de qualité et des normes à respecter. En gros, c’est une nouvelle génération qui a à coeur de proposer une cuisine de meilleure qualité et abordable. »

Contrairement à ses ancêtres, la baraque à frites et le camion de glaces, le food truck nécessite un travail poussé sur l’apparence… Blanc et noir verni, avec des pointes de fuchsia pour celui de Fati Niang, qui a compris dès le départ qu’en la matière l’image et la communication étaient déterminantes. Si bien qu’avant même de lancer Black Spoon elle avait préparé le terrain avec une agence de communication. En décembre 2013, le camion fait sa première sortie et… le buzz sur les réseaux sociaux. Les interviews s’enchaînent. « J’ai tout de même été assez surprise, dit-elle. Je n’aurais jamais imaginé être contactée par autant de médias et d’inconnus qui, sur Facebook notamment, me font part de leur avis et de leur expérience. »

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Mais, comme la plupart de ses compères, Fati Niang peine encore à obtenir une autorisation de stationnement auprès de la mairie de Paris et doit se contenter d’emplacements dans les communes avoisinantes. « Faire manger du mafé aux cols blancs du quartier d’affaires de la Défense (Hauts-de-Seine), ce n’était pas gagné d’avance ! » plaisante-t-elle. Au bout de trois mois seulement et malgré l’hiver, Black Spoon avait déjà servi plus de 1 500 clients. Aujourd’hui, il est de plus en plus sollicité pour des salons, des foires, des parcs d’attractions ou des événements privés.

Le chiffre d’affaires quotidien, lui – 300 euros les premières semaines -, augmente de jour en jour. Ce qui n’est pas pour déplaire à un personnage devenu essentiel dans la vie actuelle de Fati Niang : son banquier. Celui qu’elle a mis tant de mois à convaincre de lui accorder un prêt de 50 000 euros afin de se lancer l’année dernière – somme à laquelle se sont ajoutés un prêt d’État de 16 000 euros et un apport personnel de 10 000 euros.

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Au total Fati Niang, qui ne se verse toujours pas de salaire, aura mis un an et demi à monter son projet. Formation en création et gestion d’entreprise, élaboration du business plan, recherche de financements : « On ne devient pas entrepreneuse par un claquement de doigts, et puis nous sommes en France, il y a toujours des montagnes de papiers à remplir », sourit-elle. Élevée à Creil (Oise), dans une famille sénégalaise peule d’origine modeste (père ouvrier chez Renault et mère au foyer), cette aînée de sept enfants a pu aussi compter sur le soutien des siens.

« Ils y sont tous allés de leur petite contribution, de leurs encouragements. Ce qui crée une petite pression supplémentaire… Disons que, pour eux et mes enfants, je m’interdis l’échec. » Prochain objectif : acquérir un second camion, de nouveaux emplacements, augmenter son activité, recruter un(e) passionné(e) de cuisine qui la remplacerait en première ligne pour se « consacrer pleinement à la gestion de l’entreprise ». Définitivement plus entrepreneuse que cuisinière.

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