Non, Gbagbo n’est pas seul !
« Si quelqu’un croit avoir de bonnes raisons de défendre Gbagbo de façon calme et argumentée, les colonnes de ce journal lui sont ouvertes », écrivait BBY la semaine dernière. La romancière française d’origine camerounaise Calixthe Beyala a saisi la balle au bond. Voici son opinion.
D’aussi loin que me porte ma mémoire, il me semble qu’une seule et unique fois je fus en désaccord avec vous, très cher Béchir Ben Yahmed. Et je vous le fis savoir.
C’était il y a fort longtemps, mais lorsque passe trop de temps, ce dernier ne revêt plus aucune importance ; je l’avoue humblement, je n’ai nullement le sens du temps. C’était au sujet du nom du journal Jeune Afrique. Il me souvient que vous lui attribuiez alors le titre de L’Intelligent. Mes yeux fulminaient de colère lorsque je vous en parlai. Aujourd’hui encore, je ne puis oublier votre sourire ; et cette manière très pétillante de me rétorquer que j’aurais dû vous écrire pour vous dire mon sentiment. Depuis ces temps si lointains, aucune particule, aucune ride ne s’est posée sur le respect et l’amitié qui nous lient… Du moins, c’est CE QUE JE CROIS.
Voilà que pour la deuxième fois un sujet nous oppose : l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire.
Je ne crois pas que M. Alassane Ouattara soit le président élu de la Côte d’Ivoire car, pour cela, il eût fallu que sa victoire fût reconnue par le Conseil constitutionnel de son pays ; il me semble que ce n’est point le cas, me tromperais-je ? Aucune commission électorale, aussi noble soit-elle, ne saurait proclamer le vainqueur d’une élection, d’autant que, dans le cas de la Côte d’Ivoire, cette commission électorale était constituée aux deux tiers par les membres de l’opposition.
Vous me rétorquerez que le président du Conseil constitutionnel ivoirien est un homme du président Gbagbo. Oui, sans aucun doute. Mais n’est-ce point le cas dans tous les pays du monde, et même en France ? On se souvient tous du cas des États-Unis où s’opposaient Al Gore et George W. Bush. La Cour suprême trancha en faveur de ce dernier alors qu’il bénéficiait de moins de voix que son adversaire. Il me semble n’avoir pas entendu des cris d’orfraie des démocrates du monde entier, me tromperais-je ? Il me semble que l’ONU ne battit pas un cil pour condamner cette « usurpation de pouvoir ».
Je ne crois pas que le président français Nicolas Sarkozy aime tant l’Afrique et ses habitants qu’il veille à la démocratisation du continent, voire au bien-être de ses peuples. Je n’ai pas oublié le discours de Dakar. Je n’ai pas oublié les élections au Gabon. Ne fut-il pas le premier à féliciter Bongo fils ? Pourquoi ne fustigea-t-il pas ce dernier ? Pourquoi le félicita-t-il, alors que l’opposition contestait, preuves à l’appui, le résultat des urnes ? Il me semble avoir raté – ce qui m’étonne – votre édito lapidaire sur ce hold-up électoral. Et j’ajoute que le récent documentaire télévisé sur la Françafrique a clairement démontré les impostures, les magouilles et les mille manigances de mon pays, la France, pour placer et maintenir au pouvoir quelques despotes dévoués corps et âme à notre mère patrie.
Je ne crois pas en l’ONU, ce minuscule club d’États riches, où aucun pays d’Afrique ne siège au Conseil de sécurité (L’Afrique du Sud siège au Conseil de sécurité de l’ONU depuis peu, NDLR); je ne crois pas que l’Union africaine soit libre de ses propos, d’autant que, malheureusement pour les Africains, celle-ci est financée par l’Union européenne.
Je ne crois pas que les dirigeants africains soutiennent activement Alassane Ouattara ; il me semble n’avoir vu aucunes félicitations émanant d’un chef d’État du continent adressées au président désigné par la communauté internationale. Mais qui se cache derrière cette nébuleuse ? Seraient-ce les mêmes qui croisent les bras pendant qu’on bombarde l’Irak ou l’Afghanistan ?
Je ne crois pas à ce souci d’alternance démocratique dont ils veulent nous abreuver. Combien de chefs d’État ont changé la Constitution de leur pays pour pouvoir être élu pour la énième fois ? Combien occupent le poste de président depuis vingt, voire trente ans ? Pourquoi la soi-disant communauté internationale ne les condamne-t-elle pas ? Et la France, qu’en dit-elle ? Rien. Silence ! On exploite !
Je crois, et permettez-moi de reprendre vos propos, « la légende selon laquelle Gbagbo serait le grand défenseur de la souveraineté nationale et que ses positions tranchées lui ont valu l’hostilité de la France ». Il s’agit d’une réalité, vérifiée et palpable. Avez-vous oublié les implications de la France dans le coup d’État contre Gbagbo en 2002, ainsi que les multiples complots qui s’ensuivirent ?
Je crois que tous les panafricanistes croient au complot contre la Côte d’Ivoire. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les deux manifestations organisées à Paris pour le soutien à la souveraineté de la Côte d’Ivoire et qui ont réuni près de cinq mille personnes, battant le macadam dans le froid hivernal. Gbagbo n’est pas seul. Il a le peuple africain à ses côtés.
Je crois qu’autrefois la France et ses acolytes organisaient des coups d’État armés pour déloger les chefs d’État africains qui ne correspondaient pas à leurs critères de sélection. Je crois que la forme de renversement des pouvoirs indésirables a évolué ; elle est plus subtile. Me permettez-vous d’introduire la notion de « coup d’État électoral » ? Et si le président Gbagbo en était une des dignes victimes ? Y aviez-vous songé ?
Je crois que la stratégie géopolitique voudrait que le golfe de Guinée soit totalement sous contrôle occidental. L’épuisement des puits de pétrole dans le golfe Persique et la résistance armée dans ces régions justifient que l’Europe se tourne vers l’Afrique. Pour son pétrole. Pour ses matières premières. Pour ses innombrables richesses. Et aussi – il ne s’agit pas d’un argument moindre – pour sa capacité de soumission bas-ventrale…
Je crois que tous les pays du golfe de Guinée connaîtront le même sort que la Côte d’Ivoire dans un avenir plus ou moins proche.
Je crois tout simplement qu’Alassane Ouattara est, pour les Occidentaux, l’homme de confiance et que pour atteindre leurs objectifs, à savoir lui faire revêtir le costume de président de la Côte d’Ivoire, ils sont prêts à tout.
Je crois enfin que Gbagbo ainsi que le peuple ivoirien se battront jusqu’au bout pour ne point se faire dépouiller. En témoigne le peu d’enthousiasme qu’a suscité l’appel à la mobilisation d’Alassane Ouattara.
Je ne sais pas s’ils y réussiront.
Voilà, cher Béchir Ben Yahmed, ce en quoi je crois. Ou pas.
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