Transport aérien : une libéralisation à maîtriser
Même si elle n’est pas appliquée partout, en raison d’insuffisances réglementaires et de disparités administratives, la libre concurrence profite au développement des majors du secteur. Mais contribue à éliminer les petites compagnies nationales.
Transport aérien : l’Afrique, chantier à ciel ouvert
Bilan mitigé. Tel est le constat exposé, le 30 octobre dernier, aux ministres en charge de l’aviation civile des États de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest réunis à Yamoussoukro, par un comité d’experts sur la mise en œuvre de l’ouverture à la concurrence du transport aérien sur le continent.
Cet événement marquait ainsi, presque jour pour jour, sur le même lieu, les dix ans de la « décision de Yamoussoukro » – prise le 14 novembre 1999 – de libéraliser le ciel africain. « L’objectif au départ est de développer les trafics et de faire baisser les tarifs en faisant jouer la libre concurrence dans un espace unique sans frontières. En clair, cet accord donne le droit à toute compagnie éligible ressortissante d’un État africain de prendre du trafic passagers dans tout autre pays », rappelle Cheick Tidiane Camara, président du conseil de surveillance de la société Ectar, cabinet d’études et de conseils en transport aérien spécialisé sur l’Afrique. Les experts du comité de suivi ont délivré leurs conclusions, fondées sur les résultats d’une étude d’évaluation de la mise en place de la politique libérale aérienne en Afrique de l’Ouest. Ils ont noté quelques contraintes principales qui ont contribué à freiner la libéralisation du secteur.
D’abord, les guerres et l’instabilité politique dans certains États ont empêché ces derniers d’appliquer la libre concurrence en raison d’infrastructures et d’équipements aéroportuaires endommagés.
Autre problème : l’insuffisance d’un cadre juridique harmonieux instituant les règles de la concurrence et le règlement des litiges. « Au début, aucun organisme de contrôle réglementaire n’a été créé à cet effet. Et si, depuis 2007, la Commission africaine de l’aviation civile (Cafac) joue ce rôle, elle reste trop éloignée des problématiques régionales. Il aurait fallu instituer un organe de contrôle et de gestion du trafic dans chaque communauté économique régionale », regrette Cheick Tidiane Camara.
La disparité de compétences de l’aviation civile d’un pays à un autre a également contribué à entraver la libéralisation. « Certaines autorités de l’aviation civile, pas encore autonomes, n’ont pas les moyens de superviser la sécurité des vols et des appareils. Des États se servent de ce prétexte pour interdire leur espace aérien à des compagnies africaines étrangères », indique Cheick Tidiane Camara.
Tarifs en baisse
Malgré tout, « la libéralisation du transport aérien a été salutaire car elle a facilité la création d’une soixantaine de compagnies qui ont pu combler l’espace laissé dans la zone Cedeao par la défunte et monopolistique Air Afrique », estime Délia Bergonzi, directrice générale d’Ectar, auteure de l’étude d’évaluation de la mise en œuvre en Afrique de l’Ouest de la « décision de Yamoussoukro ». « Le bilan est néanmoins globalement positif lorsqu’on constate que, partout où il y a du trafic, les dessertes se sont multipliées et les tarifs ont baissé », relève Cheick Tidiane Camara. Autre motif de satisfaction : les progrès accomplis dans l’octroi des droits de trafic de « cinquième liberté ». Autrement dit, l’autorisation accordée par un État à une compagnie d’un autre pays de débarquer ou d’embarquer sur son territoire des passagers en provenance ou à destination d’un État tiers.
Mais cette ouverture à la concurrence a aussi son revers : « Les gros restent, les petits disparaissent », tempère, lapidaire, le président du cabinet Ectar. En effet, si les majors africaines comme Kenya Airways, Ethiopian Airlines ou South African Airways ont largement profité d’un espace aérien libéralisé pour développer leur trafic tous azimuts et optimiser ainsi leurs coûts, d’autres transporteurs de taille modeste, nés dans des élans nationalistes et dans l’euphorie de la libéralisation, ont dû replier leurs ailes, comme Nigeria Airways, Air Gabon, Ghana Airways… et, plus récemment, Air Sénégal International.
Engagées dans des aventures solitaires sur des marchés domestiques exigus, les petites compagnies ne peuvent perdurer. « Celles qui résistent aujourd’hui ne tiennent que par la volonté de leurs États », estime un observateur du secteur.
« Les transporteurs qui n’ont pas la taille critique pour supporter des coûts d’exploitation colossaux sont peu rentables et donc pas viables », ajoute Lamine Sow, ex-directeur de l’Agence nationale de l’aviation civile du Sénégal (Anacs). Face à ce constat, nombre d’experts plaident aujourd’hui pour la création de compagnies régionales, voire panafricaines, seul moyen de tenir le cap sur un marché où la concurrence internationale rafle à elle seule près de 80 % du trafic aérien du continent. « Si les sociétés africaines ont une belle carte à jouer, c’est bien au sein d’un marché régional ou sous-régional », souligne Délia Bergonzi.
C’est dans cette optique que deux projets principaux sont en cours de réalisation. Celui d’Air Cemac, voué à devenir la compagnie aérienne d’Afrique centrale avec pour partenaire stratégique South African Airlines. Et celui du futur transporteur d’Afrique de l’Ouest Asky, dont Ethiopian Airlines est actionnaire à hauteur de 20 % du capital et partenaire technique. Si Air Cemac a du mal à se concrétiser, « même si le projet avance », selon Cheick Tidiane Camara, Asky s’apprête à décoller. Ses promoteurs sont confiants pour un premier vol d’ici au début de 2010. La compagnie vient en effet d’acquérir deux Boeing 737.
Celestair, l’exemple à suivre
Pour tenir tête à la concurrence, les compagnies africaines ont également la possibilité de s’allier au sein de groupements grâce à des accords commerciaux permettant de développer des synergies et de coordonner certains services comme la maintenance, l’assistance aéroportuaire et la commercialisation de billets. Celestair, le groupe de trois compagnies nationales – Air Burkina, Air Ouganda et Air Mali –, chacune détenue en majorité par le Fonds Aga Khan, est un exemple à suivre. Ces trois sociétés parviennent à transporter 600 000 passagers par an pour un chiffre d’affaires global annuel de 90 milliards de F CFA ! « Celestair a l’avantage de réunir des compagnies qui appartiennent à un même actionnaire majoritaire.
Mais comment regrouper des sociétés aériennes à l’actionnariat différent et qui ont des stratégies et des intérêts divergents ? » s’interroge Cheick Tidiane Camara. « Difficile, aujourd’hui, de créer une compagnie qui tienne la route dans un marché aussi concurrentiel », conclut-il.
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