Le réveil de l’internet mobile ou la course à la 3G
Presque inexistant jusque-là, notamment au sud du Sahara, l’internet mobile haut débit (3G) est parti à la conquête du continent. Même si cette technologie requiert de gros investissements pour les opérateurs, elle constitue la promesse de nouveaux relais de croissance.
Télécoms : la course à la 3G
Deux ans en arrière, surfer à partir de son téléphone n’avait rien d’une sinécure. L’arrivée de l’iPhone et du BlackBerry à Abidjan et à Dakar faisait sourire les sceptiques, qui raillaient le décalage entre le continent et les dernières innovations sorties de la Silicon Valley en matière d’internet. Limités par le débit, les utilisateurs mettaient, il est vrai, de longs moments à charger leurs mails ou à consulter la moindre page web.
À court terme, disait en substance Marc Rennard, patron d’Orange pour l’Afrique, la convergence entre internet et le mobile était loin d’être une évidence. Seule l’Afrique du Sud et quelques pays en pointe en ce domaine comme l’Égypte, le Kenya ou Maurice avaient jusque-là montré le chemin. Mais comme souvent dans les télécoms, les choses vont vite, très vite même. Et les avis des meilleurs spécialistes peuvent être rapidement frappés d’obsolescence. Désormais, il n’y a pas un opérateur qui ne souhaite sauter dans le train de la 3G. Même les compagnies comme Millicom, qui ont fait des bas revenus leur fonds de commerce, se rallient à la cause.
À raison, car c’est sans l’ombre d’un doute, pour le secteur des télécoms, la route toute tracée vers de nouveaux usages comme le téléchargement de films, de musiques, la visioconférence ou la télévision via internet. Et qui dit évolution des modes de consommation et démocratisation du web dit aussi nouveaux revenus et relais de croissance pour les opérateurs.
Mais si certains utilisateurs profitent maintenant de ces services, « encore plus de 95 % du chiffre d’affaires des compagnies est réalisé grâce aux communications classiques, et les SMS représentent une grande partie des échanges de données », précise Guillaume Touchard, du cabinet AfricaNext.
Néanmoins, la montée en puissance des nouveaux usages devrait s’accélérer, car l’appétit pour les nouvelles technologies est là. À preuve, le comportement des jeunes des quartiers El-Menzah et Enasseur, à Tunis : quand ils n’ont pas accès à la 3G, ils vont dans les salons de thé profiter des connexions wifi offertes et s’afficher sur Facebook ou Twitter. Au-delà des adolescents, ce sont toutes les générations qui succombent aux réseaux sociaux puisque, selon une étude citée par l’Union internationale des télécommunications (UIT), leur usage concernait 47 % des internautes dans le monde fin 2009, et les Africains ne font pas exception à la règle. Ainsi, la percée de la 3G ne fait aucun doute pour l’industrie, qui prévoit des retours sur investissements dans trois ou cinq ans.
Encore chère
Bien sûr, le haut débit mobile, habituellement limité par les opérateurs autour de 3 mégabits par seconde, est loin d’être devenu la norme en Afrique. D’ailleurs, l’UIT estime que seulement 3,2 % des utilisateurs 3G dans le monde résident dans les pays émergents. Beaucoup d’États, à l’image du Niger, de la République centrafricaine, du Tchad ou du Togo, ne goûteront pas tout de suite à cette révolution. Le taux de pénétration du portable y est encore trop bas, et le potentiel des services de base trop important pour inciter les opérateurs à investir dans l’immédiat. L’instabilité politique et l’incertitude qui entoure le monde des affaires dans certaines régions d’Afrique expliquent aussi ces retards.
Et même dans les endroits où la 3G est disponible, elle reste encore chère et ne concerne pas le gros des utilisateurs de téléphone : seulement 3,6 % des abonnés en 2010, selon l’UIT. En Tunisie, l’iPhone proposé par Orange au printemps dernier coûte pas moins de 609 dinars (310 euros) pour un engagement de deux ans, auxquels il faut ajouter 300 dinars pour les six premiers mois d’abonnement. Une fortune pour le commun des mortels au pays du Jasmin. Et pourtant, le « must have » d’Apple s’est écoulé en quelques semaines à plusieurs milliers d’exemplaires. Au Maroc, la coquetterie est également loin d’être à la portée de toutes les bourses. Comptez 250 dirhams (22 euros) par mois chez Inwi pour l’abonnement internet illimité et 2 290 dirhams pour l’achat du BlackBerry d’entrée de gamme.
Réguler correctement
Mais l’arrivée de plusieurs câbles sous-marins près des côtes ouest-africaines dans les prochains mois devrait faire évoluer cette situation dans les pays francophones, qui, de Dakar à Kinshasa, accusent un certain retard sur leurs voisins anglophones de l’est et du sud du continent. Une amélioration de la connectivité internationale que le Sénégal a par exemple anticipée en accordant une licence 3G à l’opérateur Expresso, filiale de Sudatel, au mois de juin. D’autres pays comme le Gabon, le Burkina Faso ou la Côte d’Ivoire ont quant à eux entamé leur processus d’attribution des autorisations.
Le surplus de bande passante apporté par les nouvelles infrastructures entraînera en effet, si le marché est correctement régulé, une baisse des prix de la connexion internet pour les opérateurs et donc pour leurs clients. Y compris dans les pays enclavés, grâce aux réseaux terrestres en fibre optique existants ou en cours de réalisation. « Ces projets représentent des investissements considérables [700 millions d’euros pour le câble Ace, qui, entre la France et l’Afrique du Sud, reliera 22 pays africains, NDLR] et prouvent que le secteur des télécoms croit au développement du web sur le continent », explique Michel Monzani, responsable de la zone Afrique du Nord et Moyen-Orient pour Orange.
Au Maghreb, le déploiement plus rapide de la 3G, avec les premières licences accordées en 2006 au Maroc, s’explique notamment par un pouvoir d’achat des consommateurs sensiblement plus important qu’en Afrique subsaharienne. Seule l’Algérie, après avoir plusieurs fois reporté le lancement du haut débit mobile, est restée un peu à la traîne. Un retard qui pourrait être comblé prochainement, selon les déclarations faites fin septembre par le ministre de la Poste et des TIC, Moussa Benhamadi, révélant l’arrivée probable de la 3G dans son pays début 2011.
Paradoxalement, les réseaux téléphoniques en cuivre, davantage étendus le long des rives de la Méditerranée qu’au sud du Sahara, n’ont donc pas été un obstacle à l’apparition des réseaux 3G. Une technologie qui permet aux opérateurs de proposer des offres internet haut débit pour la maison capables de rivaliser avec les connexions DSL (à partir des réseaux filaires) des opérateurs historiques.
Si l’avènement de la technologie 3G sur le continent est progressif, c’est également en grande partie parce que les États ont pris leur temps, cherchant à optimiser la vente des licences aux opérateurs. Une démarche qui a requis la création d’observatoires au sein des régulateurs afin de surveiller la maturation des marchés et ainsi déterminer le meilleur moment pour lancer un appel d’offres ou entrer en négociation directe avec une compagnie. Des prix de licence qui varient énormément d’un pays à l’autre, comme le montre une étude réalisée par le cabinet Balancing Act.
En Égypte, le montant payé par Mobinil (414 millions d’euros, soit 52 euros pour chacun de ses abonnés) aura été 37 fois supérieur à la somme demandée par le Kenya à ses opérateurs (1,40 euro par abonné). Des écarts qui existent aussi entre le prix payé au Nigeria (13 euros par abonné), au Maroc (5,30 euros par abonné) et en Tunisie (10 euros par abonné). Et qu’il est parfois difficile d’expliquer.
Contraintes financières
Car s’il est normal pour les États de souhaiter tirer parti des milliards générés par le secteur des télécoms, il convient de ne pas fixer la barre trop haut, au risque de dissuader les opérateurs, qui doivent ensuite consentir des investissements importants pour construire leurs réseaux. Au Maroc, Méditel annonçait par exemple plusieurs milliards de dirhams d’investissement afin de financer son infrastructure 3G, qui, pour offrir une bonne couverture, doit être plus dense que les réseaux 2G.
Des contraintes financières qui tendent néanmoins à diminuer en même temps que le prix des matériels. « Lorsqu’un équipementier veut entrer sur un nouveau marché, il peut consentir des tarifs plus attrayants. De fait, les montants nécessaires pour passer à la 3G ne sont pas forcément supérieurs à ceux mobilisés pour la 2G », indique Michel Monzani. Pour diminuer leurs charges, de plus en plus d’opérateurs optent aussi pour le partage d’infrastructures avec leurs concurrents sur certaines portions de territoires. La couverture se fait, elle, progressivement, en commençant par les zones urbaines à forte densité. Des réseaux qui restent dans tous les cas toujours compatibles 2G pour ne pas se couper d’une partie de la clientèle.
Des millions en publicité
Une stratégie qui comporte néanmoins le risque de présenter un réseau limité qui, à l’usage, décevra les abonnés. Un cas de figure rencontré par Orange en Tunisie, où, pendant les premiers mois, sa couverture était restreinte aux villes de Tunis, Sfax et Sousse. Une contre-publicité que la filiale du groupe français avait fin octobre encore des difficultés à effacer malgré l’amélioration continue de son réseau. Plus complexes à mettre en route, les téléphones 3G réclament aussi un service clients irréprochable et souvent un enjeu fort de fidélisation pour les opérateurs.
Mais en dépit de ces nombreuses contraintes, la 3G, à travers ses usages, fixe (box) et mobile (clé 3G, smartphones), aura dans les prochaines années sensiblement augmenté les revenus des opérateurs, avec des dépenses mensuelles moyennes qui pourront atteindre 20 euros et plus, contre moins de 10 euros pour les abonnés 2G.
Afin d’inciter de nouveaux clients à sauter le pas, les compagnies dépensent des dizaines de millions d’euros en publicité. Dans certains pays, elles font également des efforts pour développer la quantité et la qualité des contenus locaux disponibles. En Tunisie, Orange vient ainsi de créer un centre d’expertise pour aider les développeurs locaux à créer des applications made in Africa, destinées au magasin virtuel d’Apple (« l’App Store »). Car à Tunis comme dans tout le Maghreb, si on aime les pommes, on préfère la douceur des dattes.
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