Mauritanie : la méthode Aziz
Comment fonctionne le chef de l’État mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz, et comment est-il perçu par la population et la classe politique ? Enquête.
Mauritanie : chronique d’une nation
À Nouakchott, des guirlandes de petits drapeaux vert et jaune pendent entre les réverbères. Le portrait du président, Mohamed Ould Abdelaziz, s’étale sur la façade de la Chinguitty Bank (libyenne), à côté de la photo d’un sémillant Mouammar Kadhafi. À quelques pâtés de maisons, une compagnie de télécoms a investi dans une affiche de 4 m par 3. Elle souhaite un bon anniversaire « à son Excellence le président de la République islamique de Mauritanie ». D’habitude austère, le visage de Nouakchott affiche un sourire officiel en cette mi-décembre. Mais les reliefs du cinquantenaire de l’indépendance ne doivent pas abuser.
La fête du 28 novembre fut sobre. Le défilé militaire n’a pas eu lieu. Il aurait dégarni les troupes, qui font face à une autre urgence : la surveillance du territoire, menacé par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Les chefs d’État du voisinage n’ont pas été invités. Il aurait alors fallu organiser une cérémonie en grande pompe, qu’« Aziz » a jugée trop dispendieuse. Le 27 novembre, il donnait le ton dans un discours ne versant pas exactement dans la complaisance : « L’absence d’une vision politique et économique claire, le manque d’ancrage de la notion d’intérêt général, le phénomène de la gabegie et de la mauvaise gestion » ont vite eu raison des premiers élans de l’indépendance, a-t-il accusé. Et de poursuivre : « Il est inconcevable, après un demi-siècle, que notre pays soit encore à un stade aussi faible de développement. » S’ensuit une énumération détaillée et chiffrée de « nombreux et importants projets de développement ».
La gabegie en héritage
Voici la méthode Aziz : fustiger le passé avec des accents de moraliste ; promettre, projets à l’appui, des lendemains meilleurs. Depuis son arrivée au pouvoir, par le coup d’État du 6 août 2008, l’ancien général dénonce sans jamais le nommer l’héritage de Maaouiya Ould Taya (renversé en 2005). Pendant vingt et un ans, ce colonel de l’Adrar a gouverné sans partage tandis qu’Aziz veillait à sa sécurité, comme directeur du Bataillon de la sécurité présidentielle. Un poste idéal pour observer le système de dépeçage de l’État qui s’installe alors. Il profite à une collusion aux relents tribaux entre politiques et hommes d’affaires. C’est la fameuse « gabegie », désormais bête noire et leitmotiv des discours présidentiels.
En décembre 2009, trois hommes d’affaires emblématiques de l’ère Ould Taya sont écroués. Mohamed Ould Noueigued, Chérif Ould Abdallahi et Abdou Maham sont suspectés d’avoir bénéficié de versements de la Banque centrale en 2001 et 2002. Lutte contre la corruption ou chasse aux sorcières ? La réponse appartient à la justice. Sauf que, moins d’un mois après son arrestation, le trio est libéré sans qu’elle intervienne. Un intermédiaire inattendu, l’imam radical Hacen Ould Dedew, a aidé à trouver un arrangement.
Quel projet de société ?
Une chose est sûre : pour Aziz, un sou est un sou. Tous ses proches rapportent son souci de contrôler les dépenses, y compris celles des ministères, dans les moindres détails. C’est la deuxième caractéristique d’Aziz : « Il est concret », témoigne un observateur. Inauguration d’une route, d’un hôpital, visite d’une école, première pierre et premier coup de pioche : il aime faire bâtir et descendre sur le terrain. Les chantiers sont aujourd’hui nombreux à Nouakchott et à l’intérieur du pays.
Son discours de l’indépendance le montre : ce chef de l’État ne verse pas dans l’abstraction. « Il a une approche empirique », dit un ancien directeur d’entreprise publique. Cependant, l’analyse sonne comme une critique. « Il y a des actions, mais elles n’entrent pas dans une vision prospective, dans un plan ; on ne sait pas où l’on va, poursuit-il. Avec Moktar Ould Daddah, il y avait des directions, l’émancipation de la femme, l’unité nationale. Avec Aziz, il manque un projet de société. »
Ce souci du détail a une autre conséquence : la concentration des pouvoirs à la présidence. « Peu de décisions sont prises à la primature », dit une source dans un ministère. Selon son témoignage, certains ministres n’osent pas défendre leurs projets en Conseil des ministres.
Bien entendu, la méthode Aziz divise. Ses proches soulignent son pragmatisme et lui savent gré d’avoir rompu avec l’immobilisme. L’opposition, elle, ne lui pardonne pas son péché originel : le renversement de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le premier président civil depuis Moktar Ould Daddah. Après avoir condamné le putsch, les alliés traditionnels de la Mauritanie, France et Espagne en tête, ont quant à eux fini par l’oublier. Aziz est devenu l’homme de Paris dans la lutte contre Aqmi. Une alliance dont il tire une légitimité, mais qui est aussi une faiblesse : elle fait de la Mauritanie une affidée des « mécréants occidentaux » et, donc, une cible.
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