Rwanda : Kibuye Power et le feu du lac Kivu
Au Rwanda, le lac Kivu regorge de méthane, dont l’extraction pourrait combler les besoins en électricité de la région. Un seul projet est entré en production, mais d’autres acteurs sont sur les rangs.
Rwanda : il a tout d’un grand
Depuis les collines du Rwanda, le bleu du lac Kivu s’étend à perte de vue. Difficile d’imaginer qu’une énergie à la fois fabuleuse et monstrueuse sommeille dans les profondeurs de cette immensité paisible. Sauf peut-être à Gisenyi, près de la frontière avec la République démocratique du Congo RDC. Depuis la rive, on s’interroge sur cette forme bleue et jaune qui émerge des flots. À mesure que le Zodiac s’en approche, une véritable usine à gaz se dessine. C’est la plateforme flottante Kibuye Power 1 (KP1) : deux imposants réservoirs, reliés entre eux par des pompes et tuyaux, sont surmontés d’une torchère et reliés par un gazoduc à la rive, où trois générateurs produisent de l’électricité.
Sous les pieds des techniciens, un tube s’enfonce pour pomper l’eau 300 m plus bas. Dioxyde de carbone (CO2), diazote, hydrogène sulfuré et, surtout, méthane : à cette profondeur, les eaux du lac sont chargées d’un cocktail de gaz piégé par les fortes pressions qui s’exercent. On y trouve aussi les bactéries, uniques au monde, à l’origine de ce trésor. Elles s’attaquent aux sédiments reposant au fond et accélèrent une réaction chimique qui produit du méthane à partir du CO2 issu de l’activité volcanique de la région. On estime que 300 milliards de m3 de CO2 et 60 milliards de m3 de méthane, remontés dans le lac Kivu par des cheminées volcaniques, s’y sont accumulés au fil des siècles.
Manne énergétique
Une manne pour le Rwanda, qui pourrait ainsi remédier à son déficit énergétique : seuls 8 % des Rwandais ont accès à l’électricité et le pays a aujourd’hui une capacité de 85 MW (un peu plus de la moitié de sa consommation). Il s’est donné jusqu’à 2017 pour porter ce chiffre à 1 000 MW.
Avec son projet pilote, dans lequel ont d’ores et déjà été investis plus de 15 millions d’euros, la compagnie nationale Kibuye Power Ltd produit actuellement 3,6 MWh. « Mais en exploitant les réserves, nous pourrions générer 700 MW pendant cinquante ans », calcule Alexis Kabuto, directeur général de la société. À ce rythme, le pays devrait parvenir à combler les besoins croissants de sa population et de son économie, et même exporter le surplus dans la sous-région.
L’exploitation du méthane est aussi une question de sécurité. Le Kivu est, avec les lacs camerounais Monoun et Nyos, l’un des trois « lacs explosifs » de la planète, les seuls à contenir une telle proportion de gaz… Et donc à présenter un risque d’éruption, comme celle qui, en 1986, avait causé la mort de plus de 1 700 habitants des berges du Nyos. Plus de 2 millions de personnes vivent au bord du Kivu : de quoi frémir.
Moins de risques
« Exploité, ce gaz est une richesse. Sinon, il devient une menace », résume Majuné Laurent, ingénieur électronicien sur KP1. La dangerosité du méthane pourrait donc accélérer les projets rwandais. Plusieurs investisseurs privés s’intéressent en effet au potentiel du Kivu. L’américain ContourGlobal a ainsi décroché une concession à Kibuye. Son projet Kivuwatt, d’un montant de 140 millions de dollars (96,5 millions d’euros), a été lancé le 25 août. À l’issue de la première phase, qui devrait être opérationnelle en 2012, l’entreprise prévoit de produire 25 MW.
Le français Data Environnement, qui dégaze déjà le Nyos et le Monoun dans un but sécuritaire, a conçu une seconde plateforme expérimentale à Gisenyi pour la société privée Rwanda Electricity Company (REC). L’usine se trouve sous l’eau et utilise la pression ambiante pour économiser sur le pompage.
Mais la production est à l’arrêt du fait d’un défaut de conception ; l’ossature, incapable de résister aux vagues du lac Kivu, doit être changée. Malgré ce contretemps, REC affirme que le procédé est au point. « La phase de recherche et développement est presque terminée et nous n’attendons plus que les investisseurs », indique Ivan Twagirishema, le directeur général de l’entreprise, qui cherche donc quelque 136 millions de dollars pour atteindre une capacité de 50 MW.
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