Bénin : immersion dans le ventre de Cotonou

Plus de 1 million d’acheteurs de toute la région convergent chaque jour au marché de Dantokpa. Gros pourvoyeur de recettes pour l’État du Bénin, il pourrait rapporter beaucoup plus s’il était mieux géré.

Un marché à Cotonou. © Flick’r/CC/PhilippeFabry

Un marché à Cotonou. © Flick’r/CC/PhilippeFabry

Publié le 10 janvier 2012 Lecture : 5 minutes.

Bénin : Boni Yayi II ou l’éloge de la rigueur
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Il s’étend, à perte de vue, depuis le pont Martin-Luther-King qui relie l’ouest et l’est de Cotonou. Aussi loin que porte le regard, c’est un chevauchement hétéroclite de tôles rouillées par les intempéries et de bâches sombres qui battent au vent. Tout autour de la gigantesque ruche, des milliers de personnes s’affairent. Installé en bordure de la lagune qui joint le lac Nokoué au golfe de Guinée, le marché international de Dantokpa est sans doute le plus célèbre d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. Fierté béninoise pour les uns, honte absolue pour les autres, ce gigantesque centre commercial à ciel ouvert étonne, dégoûte, amuse, fascine. « Ce marché a grandi et s’est étendu dans la plus parfaite anarchie, maugrée un homme d’affaire béninois. On a l’impression que les autorités se satisfont de toute cette insalubrité. »

Chérifath, en revanche, s’y sent bien. Perchée sur une pile de pagnes, elle dit tenir cette boutique de sa mère, avant d’éclater de rire en cherchant à se rappeler depuis combien de temps : « Je ne m’en souviens plus ! Mon fils venait de naître, je crois… » Un fils de 32 ans, désormais, et qui tient d’ailleurs lui aussi commerce, de pièces détachées, à Dantokpa. « Le marché est grand, il y a souvent de nouvelles vendeuses, mais dans ce périmètre on se connaît toutes, dit Chérifath en désignant ses consœurs. Tout ça, c’est la famille ! »

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Labyrinthe

Avec ses 18 ha de superficie (l’équivalent de 25 terrains de football), le marché de Dantokpa est un véritable labyrinthe. Une succession de couloirs étroits, bordés d’échoppes colorées. Dans ses travées défoncées, on presse, on pousse, on cogne, on invective. On suffoque, abruti de chaleur, pris à la gorge par les vents saturés d’odeurs en provenance de la lagune. Et, surtout, on fait des affaires. Autour du marché, ruelles et trottoirs ont eux aussi été réquisitionnés par les commerçants, ambulants ou non, bien décidés à prendre part à ce festival de la dépense.

Ici, on trouve de tout. Du pagne en wax de qualité supérieure à ses pâles imitations made in China. Des produits cosmétiques américains à leurs contrefaçons nigérianes. Des bijoux « bling-bling » dignes des rappeurs américains aux somptueuses parures en or fin en provenance du Moyen-Orient. Vêtements, chaussures, électroménager, téléphones portables, produits vivriers… Dantokpa est un carrefour de l’Afrique consumériste et vorace, où se mêlent toutes les monnaies et nationalités de la sous-région. Les acheteurs viennent de l’intérieur du pays pour se ravitailler, mais aussi du Togo, du Ghana et de Côte d’Ivoire pour les pagnes et les alcools, du Nigeria et du Cameroun pour l’électroménager et les téléphones, du Niger et du Burkina Faso… pour tout.

S’il est impossible d’évaluer avec précision le nombre de visiteurs quotidiens, la Société de gestion des marchés (Sogema, entreprise publique dont dépend le marché de Dantokpa) estime qu’environ 1,5 million de personnes passent chaque jour à Dantokpa. Plus surprenant, il est tout aussi difficile de déterminer le nombre exact de commerçants qui y opèrent. « En 2007, lors d’un recensement global, on les avait estimés à environ 26 000 », explique Joseph Tamégnon, conseiller économique du président Thomas Boni Yayi et ancien directeur de la Sogema. Des chiffres qui, précise-t-il, ne tiennent évidemment pas compte des vendeurs ambulants, prompts à se glisser entre les mailles du filet pour ne s’acquitter d’aucune charge.

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Bras de fer

Dantokpa est depuis une dizaine d’années au cœur d’un bras de fer entre les pouvoirs publics et la commune de Cotonou. Bien que la loi de décentralisation dispose que la construction, l’équipement, l’entretien et la gestion des marchés reviennent aux mairies, Dantokpa, de par son statut de marché international, est géré par la Sogema, sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. « C’est une décision qui va à l’encontre même de la loi sur la décentralisation », s’indigne-t-on à la mairie de Cotonou, où l’on ne manque pas de critiquer au passage la « gestion calamiteuse du marché » par la Sogema et l’État. De leur côté, ces derniers ne donnent aucun signe laissant à penser qu’ils pourraient un jour céder le marché à la mairie, qui « a déjà fort à faire avec la gestion de la ville ».

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Outre la collecte de la redevance des loyers, la Sogema a la charge de l’assainissement du marché, de la construction de magasins et d’entrepôts et de leur attribution. Elle coordonne aussi le raccordement aux réseaux d’eau et d’électricité avec la Société béninoise d’énergie électrique (SBEE) et la Société nationale des eaux du Bénin (Soneb). Il y a cependant bien longtemps que des travaux de réhabilitation de ces réseaux n’ont pas eu lieu. Les commerçants établis dans les bâtiments n’ont pas de problèmes d’approvisionnement en électricité : il leur suffit d’appeler la Sogema s’il y a un raccordement ou une réparation à faire. Pour ceux qui sont aux abords, c’est en revanche chacun pour soi… Et inutile de préciser que les branchements anarchiques pullulent, générant autant de risques de voir un accident se produire.

Si elle est consciente de la nécessité d’agir pour développer les équipements, les services et la sécurité, la Sogema se heurte au manque de financements. « Les loyers à Dantokpa sont très bas. En 2010, les recettes de la Sogema tournaient autour de 800 millions de F CFA [1,2 million d’euros, NDLR], explique Joseph Tamégnon. Ce qui est très en deçà des moyens nécessaires à l’entretien et à la modernisation du marché. » À raison de 1 300 F CFA par trimestre pour un box dans le corps principal du marché et de 25 000 F CFA pour un magasin, c’est en effet trois fois moins cher que les tarifs pratiqués, par exemple, sur un marché d’Abidjan.

Résistance des syndicats

Chaque tentative d’augmentation des loyers s’est heurtée à la résistance des syndicats de commerçants. « Chez nous aussi c’est la crise », râle Victoire, vendeuse de bijoux, tout en reconnaissant que le loyer de son box n’est pas exorbitant. « De toute façon, avec le nombre de commerçants qu’il y a ici, la Sogema gagne beaucoup d’argent, c’est de son côté que vient le problème », ajoute-t-elle. Et de pointer du doigt, en vrac : les magasins attribués à des commerçants « qui ne paient pas leur loyer en raison de relations bien placées », les agents collecteurs indélicats, dont les fonds récoltés ne parviennent jamais aux caisses de la Sogema (« Ils viennent vous encaisser et vous donnent un reçu, mais c’est un faux… »), ou encore les aménagements insuffisants.

En 2008, l’État a tout de même financé des travaux au sein du marché, avec l’assainissement de quatre hectares, pour 5 milliards de F CFA. La même année, un petit millier de nouveaux magasins ont aussi été construits. Et le marché géant de Dantokpa s’est agrandi… encore un peu plus. 

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