Mali : Iyad Ag Ghali, rebelle dans l’âme
Âgé de 54 ans, le malien Iyad Ag Ghali est le chef d’Ansar Eddine.
Jihad : les nouveaux maîtres du Mali
Originaire de la région de Kidal, dans le nord du Mali, Iyad Ag Ghali est un Irayakan, de la grande famille des Ifoghas. C’est en Libye, pourtant, qu’il a fait ses armes au début des années 1980 : il a une petite vingtaine d’années quand il choisit de rejoindre la Légion islamique du colonel Kadhafi – le Mali, victime de sécheresses à répétition depuis 1969, n’a rien à lui offrir.
Légion islamique
En Libye, Ag Ghali parvient à se faire remarquer. Il est envoyé au Liban pour combattre les phalanges chrétiennes puis, selon certaines sources, part faire le coup de feu au Tchad, dans le courant des années 1980, avant de rentrer au Mali quand le « Guide » prononce la dissolution de la Légion. Ag Ghali est déçu, mais trouve vite une autre cause à défendre en devenant l’une des principales figures de la rébellion touarègue : c’est lui qui, à la tête du Mouvement populaire pour la libération de l’Azawad (MPLA), donne l’assaut contre la ville de Ménaka, le 28 juin 1990. Six mois plus tard, les accords de Tamanrasset, signés sous le parrainage de l’Algérie, mettent fin aux affrontements, mais les rebelles en sortent profondément divisés. Ag Ghali fonde le Mouvement populaire de l’Azawad (MPA), qui rassemble les Touaregs les plus modérés ; il n’hésite pas à affronter ses anciens compagnons, quitte parfois à s’allier à l’armée malienne… Sa supériorité militaire ne fait plus aucun doute. À la fin des années 1990, il est, pour beaucoup de Maliens, celui qui a ramené la paix dans le Nord.
Ahmada Ag Bibi : le manoeuvrier
Ahmada Ag Bibi et Iyad Ag Ghali se connaissent depuis longtemps. Au début des années 1990 déjà, ils se côtoyaient au sein du Mouvement populaire de l’Azawad (MPA). Ag Bibi est un grand militant de la cause touarègue, mais cela ne l’empêche pas de tremper dans de plus obscures affaires et d’être lié aux négociations pour la libération d’otages occidentaux. Dans le carnet d’adresses de ce député, on retrouve tout à la fois des bandits, des trafiquants, des hommes politiques de Bamako ou d’Alger, et même des membres de plusieurs services de renseignements (il a été membre de la commission parlementaire Défense et Sécurité intérieure)… Il a été président du groupe parlementaire d’amitié Mali-Algérie et a accompagné, en novembre 2011, l’ancien colonel de l’armée française, Jean-Marc Gadoullet, venu négocier avec Abou Zeid la libération des otages d’Areva et de Vinci.
Quand le Nord se soulève de nouveau, en janvier dernier, Ag Bibi rejoint le MNLA, puis Ansar Eddine, tant par réalisme que par amitié envers « Iyad ». Il est peu attaché à la laïcité, mais croit, comme Alghabass Ag Intallah, le diplomate d’Ansar Eddine, dans la négociation, « aux solutions pacifiques », et pourrait de ce fait être l’homme du dialogue. « Seule l’Algérie peut jouer un rôle déterminant de médiateur entre les parties au conflit », estime-t-il.
Progressivement, l’homme se radicalise au contact de prédicateurs pakistanais de la Jamaat al-Tabligh (« association pour la prédication »). Nous sommes en 1999, et Iyad Ag Ghali a changé : il ne serre plus la main des femmes, voile son épouse et passe le plus clair de son temps libre dans les mosquées. Surprenant ? Pas tant que ça. Cette radicalisation va de pair avec un fort sentiment antioccidental, lui-même affûté dans les camps d’entraînement libyens. En outre, la crise économique a poussé de nombreux Maliens, sédentaires aussi bien que nomades, dans les bras des religieux.
En 2003, Ag Ghali est donc acquis à la cause fondamentaliste, mais pas au jihadisme : il se dit hostile au terrorisme et aux attentats-suicides. Cet « état d’esprit » fait de lui l’intermédiaire idéal pour négocier la libération des otages retenus par les islamistes du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). C’est ainsi qu’en août de la même année Bamako lui demande d’intercéder auprès d’Abou Zeid en faveur des touristes européens kidnappés en Algérie – ce qu’il fait avec succès. Trois ans plus tard, en mai 2006, la colère gronde une nouvelle fois dans le Nord-Mali. Les Touaregs reprochent aux autorités de ne pas avoir respecté leurs engagements. Ag Ghali rencontre le président Amadou Toumani Touré (ATT), mais les négociations tournent court. Il se rapproche alors d’Ibrahim Ag Bahanga, autre grande figure de l’irrédentisme touareg, mort en août 2011. L’Algérie s’en mêle à nouveau, obtient la signature de nouveaux accords de paix (les accords d’Alger, conclus en juillet 2006), et, comme lors du précédent soulèvement, Ag Ghali troque sa tenue de combattant contre celle d’homme de paix.
Pour servir ses ambitions, il n’hésitera pas à se retourner contre ses "associés" actuels.
Exil
ATT, qui sait à quel point il peut lui être utile mais qui redoute son influence grandissante, le nomme conseiller consulaire à Djeddah (Arabie saoudite) en novembre 2007. Le chef de l’État tient autant à le remercier qu’à le couper de ses partisans. Mais l’exil est de courte durée : en 2010, les Saoudiens le soupçonnent d’être en contact avec des membres d’Al-Qaïda et l’expulsent. De retour au pays, il se sert à nouveau de son carnet d’adresses (qui s’est encore enrichi pendant l’épisode de Djeddah) pour négocier des libérations d’otages et se constituer une fortune personnelle. Son nom revient à plusieurs reprises lorsqu’il est question du sort des employés d’Areva enlevés au Niger en septembre 2010.
Fin 2011, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) n’a pas encore de statuts officiels, mais Ag Ghali en revendique déjà la tête. En vain. Les cadres de la future rébellion ne tiennent pas à voir cet homme ombrageux envahir l’espace politique et médiatique. Ils le trouvent trop proche d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi, ex-GSPC) et le soupçonnent d’être lié à Alger. Ils ne lui ont pas pardonné non plus les combats fratricides des années 1990.
Mohamed Ag Najim, un autre vétéran de la Légion islamique qu’Ag Ghali déteste cordialement, lui est donc préféré. C’est un camouflet. Qu’à cela ne tienne. Il crée sa propre formation, Ansar Eddine. Sans doute espère-t-il provoquer la dislocation du MNLA, dont il connaît si bien les faiblesses. À la même époque, Ag Ghali doit également renoncer à devenir le successeur de l’aménokal (le chef traditionnel) des Ifoghas, le vieil Intallah Ag Attaher lui ayant préféré son fils, Alghabass Ag Intallah (lire portrait p. 32). Cette fois encore, l’amertume est forte, mais il ne peut pas se permettre d’affronter ouvertement le patriarche.
Mieux vaut composer et travailler main dans la main avec Ag Intallah, très respecté dans la région. Ag Ghali tient sa revanche en juin 2012. Le MNLA est moribond, et c’est avec Ansar Eddine que discute maintenant le médiateur de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le président burkinabè Blaise Compaoré. L’ancien soldat de Kadhafi est désormais reconnu comme un acteur incontournable de la crise malienne… S’il prenait clairement ses distances avec les salafistes, comme l’y incitent les diplomates étrangers, il pourrait même devenir un allié. D’ailleurs, s’il estime qu’un affrontement direct avec Aqmi peut servir ses ambitions, il n’hésitera pas à se retourner contre ses « associés » actuels. Abou Zeid, Mokhtar Belmokhtar et Hamada Ould Mohamed Kheirou le savent mieux que personne.
Alghabass Ag Intallah : héritier et diplomate
À l’origine, Alghabass Ag Intallah n’a rien d’un chef de guerre. Député à l’Assemblée nationale, il est surtout le fils du puissant chef des Ifoghas et son successeur désigné – une lignée qui lui permet de bénéficier de nombreux contacts jusque dans le golfe Persique, notamment avec la famille royale qatarie. Lorsque éclate la rébellion touarègue, en janvier 2012, il se range d’abord aux côtés du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) – même s’il préconise toujours le dialogue avec Bamako -, puis rallie Ansar Eddine. Ag Intallah n’est pas un fanatique, et son choix est sans doute plus pragmatique – l’émiettement du MNLA est sans équivoque – qu’idéologique. Aujourd’hui, Ag Intallah est le visage politique d’Ansar Eddine, son ambassadeur. Celui qui est reçu par le médiateur de la crise, le président burkinabè Blaise Compaoré. Iyad Ag Ghali sait trop qu’il a intérêt à lier son sort à celui qui régnera un jour sur les Ifoghas.
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Laurent Touchard avec Baba Ahmed (à Bamako), Cherif Ouazani
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