Djibouti : bras de fer postélectoral

Pour la première fois depuis l’indépendance, dix députés de l’opposition djiboutienne ont été élus aux législatives. Pourtant, quatre mois plus tard, ils refusent toujours de siéger, flirtent avec un parti intégriste et défient le gouvernement.

La majorité présidentielle réélue en 2011 pour un troisième mandat reste dominante. © SIMON MAINA/AFP

La majorité présidentielle réélue en 2011 pour un troisième mandat reste dominante. © SIMON MAINA/AFP

Publié le 5 juillet 2013 Lecture : 4 minutes.

Grandes manoeuvres à Djibouti
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Grandes manoeuvres à Djibouti

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Même si les tensions sont retombées depuis les journées agitées qui ont suivi les législatives du 22 février, le dialogue entre la majorité et l’opposition ne semble pas près d’être entamé. Quatre mois après les élections, remportées par l’Union de la majorité présidentielle (UMP, coalition au pouvoir présidée par le Premier ministre, Abdoulkader Kamil Mohamed) au détriment de l’Union pour le salut national (USN, alliance regroupant les partis de l’opposition), les 10 députés de la minorité politique (sur 65 élus) refusent toujours de rejoindre les bancs de l’Assemblée nationale. « Les résultats ont été travestis par le pouvoir », accuse Daher Ahmed Farah, porte-parole de l’USN et figure emblématique de l’opposition. Rentré à Djibouti en janvier, après dix ans d’exil en Europe, il a été emprisonné du 23 avril au 12 mai pour diffamation. Rejetant un scrutin pourtant qualifié d’honnête et transparent par les observateurs internationaux (Union africaine, Ligue arabe, Organisation de la coopération islamique) et salué par les chancelleries occidentales pour son sérieux et sa crédibilité, l’USN a mis en place un parlement parallèle, qu’elle a baptisé « Assemblée légitime ». Et le 23 avril, Ahmed Youssouf Houmed, président de l’USN, a publié une lettre ouverte adressée au président, Ismaïl Omar Guelleh (IOG). Brossant un sombre tableau de la situation politique, sociale et économique du pays, il exige l’ouverture d’un dialogue « entre le gouvernement et l’USN, majorité parlementaire légitime ».

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Vérités

Le destinataire de la missive n’a pas jugé utile de répondre lui-même à cette offre. Il a chargé Mahamoud Ali Youssouf, son chef de la diplomatie et porte-parole du gouvernement, de « rétablir quelques vérités sur la situation socio-économique du pays et sur le scrutin législatif ». Le ministre des Affaires étrangères a alors égrené les progrès constants d’un pays qui était « sans électricité, sans salaires et sans avenir » en 1999, année d’accession d’IOG à la magistrature suprême. Il a rappelé les efforts pour la réconciliation et la concorde nationales, ainsi que la fin d’une guerre civile « dont [Ahmed Youssouf Houmed a] été l’un des artisans dans les années 1990 ». S’agissant de la création d’une assemblée parallèle, Mahamoud Ali Youssouf a affirmé qu’il s’agissait d’un viol manifeste des dispositions de la Constitution, ajoutant : « Et pourquoi pas une milice pour cloner la police nationale et l’armée ? »

Quant à la proposition de dialogue du président de l’USN, elle a reçu une fin de non-recevoir : « Si dialogue il y a, le partenaire doit respecter la lettre et l’esprit de la Constitution et se conformer aux lois de la République, estime le chef de la diplomatie. Nous reconnaissons la légitimité des élus de l’opposition et leur accordons volontiers le statut de partenaires du dialogue. Mais pour ce faire, ils doivent en premier lieu siéger à l’Assemblée nationale afin d’entamer des pourparlers dans un cadre républicain. »

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Le Premier ministre ne s’est pas montré plus tendre. « Le boycott de l’Assemblée ne fait qu’une seule victime : la démocratie, affirme Abdoulkader Kamil Mohamed. Même amputé des représentants de la minorité, le Parlement légifère et accomplit son contrôle de l’action du gouvernement. Les institutions de la République fonctionnent le plus normalement du monde. En aucun cas l’UMP n’est dans une position inconfortable, c’est l’opposition qui se lézarde. Plusieurs de ses élus m’ont appelé pour déplorer le boycott décidé par leur direction politique. Dans quelques mois, ils finiront par rejoindre leur place sur les bancs de l’hémicycle. » Et de conclure : « Leur place n’est pas derrière des porte-voix dans des meetings politiques improvisés, mais au sein de l’institution parlementaire. » Mi-juin, un député de l’USN a déjà décidé de siéger, Aden Robleh Awaleh, figure charismatique de l’opposition.

Prêches

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Les leaders de l’opposition n’en semblent pas moins déterminés à en découdre, au risque de passer par la case prison. Faute de mobilisation populaire, ils envahissent les réseaux sociaux, rêvent d’un «Printemps djiboutien » et jouent avec le feu en s’associant au parti intégriste interdit, le Mouvement pour le développement et la liberté, émanation des Frères musulmans.

Pas question cependant, pour les pouvoirs publics, de permettre une quelconque instrumentalisation des mosquées à des fins politiques. Trois leaders religieux, Souleiman Béchir, Abdourahman Barkat God et Guirreh Medal, sont en détention préventive dans l’attente de leur jugement pour prêche séditieux. Le parquet a décidé de les poursuivre sous le chef d’inculpation d’appel à la désobéissance civile et au jihad.

"Model" à ne pas suivre

L’apparition, à travers le Mouvement pour le développement et la liberté (Model), d’un courant takfiriste – qui prône l’excommunication d’un « pouvoir impie » pour rendre licite, d’un point de vue religieux, l’insurrection armée contre le gouvernement – est une première à Djibouti. Une attitude nettement plus inquiétante que la rhétorique habituelle de l’opposition traditionnelle. La proximité de cette véritable usine à Shebab qu’est la Somalie pourrait faire craindre le pire. D’autant que Djibouti regorge de cibles privilégiées pour les jihadistes d’Al-Qaïda et consorts : des ressortissants occidentaux, civils ou militaires, à profusion.

Cette menace est prise très au sérieux. Même si Ismaïl Omar Guelleh est certain que « la jeunesse djiboutienne est prémunie contre le virus jihadiste », les services de sécurité sont sur les dents. « Il y a peu de chances que des organisations terroristes étrangères recrutent de jeunes Djiboutiens, assure Hassan Saïd Khaireh, patron des services de renseignements. Mais notre pays accueille de nombreux réfugiés issus de pays de la sous-région en situation de conflit. La précarité de leur situation pourrait faire le lit de la propagande jihadiste. Cela nous contraint à une vigilance de tous les instants. » CH.O.

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