Erythrée: le téléphone, nouvelle arme de l’opposition en exil
Galvanisés par le Printemps arabe, des Erythréens en exil se mobilisent contre le régime d’Issaias Afeworki, l’un des plus fermés au monde, en manifestant en Europe à visage découvert – une première – et en bombardant de coups de téléphone leurs compatriotes restés au pays.
Chaque semaine, des membres de la diaspora enregistrent un message politique d’une minute diffusé à au moins quelque centaines d’Erythréens, appelés au hasard, via un central téléphonique.
« Il est temps de retrouver notre liberté et notre dignité », affirme l’un de ces messages en direction du petit Etat de la Corne de l’Afrique. Dans un autre enregistrement, la mère d’une prisonnière politique célèbre, Aster Yohannes, rappelle le sort de sa fille, arrêtée en 2003 et dont elle est sans nouvelles depuis.
A l’origine de ce mode d’action singulier se trouve une nouvelle génération d’exilés qui refusent de s’engager derrière le mot d’ordre d’un parti, explique Léonard Vincent, spécialiste de l’Erythrée.
Ils représentent « la force montante de l’opposition », les partis d’opposition, tous en exil, étant « ultra minoritaires et querelleurs », ajoute-t-il.
Ces exilés n’ont pas fait la guerre de l’indépendance, acquise officiellement en 1993. Mais « leur guerre à eux, c’est le malheur actuel de la nation érythréenne », poursuit-il, alors qu’environ 1. 500 Erythréens, selon les derniers chiffres de l’ONU, fuient chaque mois leur pays pauvre, après avoir déboursé des sommes astronomiques allant jusqu’à 30. 000 euros selon des témoignages.
Ces opposants, dispersés de par le monde (Australie, Allemagne, Royaume-Uni, Etats-Unis. . . ) et organisés via internet, réclament l’application de la Constitution de 1997 qui prévoit des élections. Ils exigent aussi la libération des prisonniers politiques, estimés entre 5. 000 et 10. 000 selon Human Rights Watch. Des revendications qu’ils diffusent, via les messages téléphoniques, tous les vendredis depuis fin 2011.
En un peu plus de deux ans, quelque 100. 000 appels ont été passés, y compris auprès de membres du régime. Et paradoxalement, « ce sont parfois les gens qui ne nous aiment pas qui relayent le message » à leur corps défendant. « Ils n’ont pas peur » de parler, étant des rouages du système autoritaire, raconte Selam Kidane, à l’origine de ce projet baptisé Arbi Harnet (Vendredi libre).
Ces appels permettent aux habitants d’entendre une voix discordante sans les mettre en danger, explique-t-elle. Les Erythréens n’ont pas à « chercher un site internet clandestin ou une station de radio », ce qui représente une réelle prise de risque dans un pays dirigé d’une main de fer par Issaias Afeworki, au pouvoir depuis plus de vingt ans, et où les libertés d’expression et de presse sont inexistantes selon les ONG.
Arbi Harnet n’aurait pu voir le jour sans le courage d’un Erythréen qui a sorti clandestinement de son pays l’annuaire, raconte Selam, mère de famille d’origine érythréenne installée à Londres.
Concrètement, « grâce à ces appels, nous avons recruté une petite équipe sur place qui collent des affiches », explique-t-elle.
De faux avis de décès sont placardés sur le modèle des avis traditionnels en Erythrée, confirme Léonard Vincent, auteur du livre « Les Erythréens ». Sur ces affichettes, « la photo est fictive et le message subversif, genre +Réveillez-vous, on vous a volé votre liberté+. C’est très nouveau que des gens extrêmement courageux osent s’organiser clandestinement », constate-t-il, tout en relativisant l’impact des appels.
Ces messages n’ont aucune chance de déboucher sur un soulèvement populaire dans un pays de 5 millions d’habitants où « il ne reste que les vieux, les enfants et les esclaves » du service militaire, estime-t-il. En revanche, Arbi Harnet peut créer « une force d’appoint potentielle pour des gens qui, à l’intérieur du système, voudraient prendre le pouvoir ».
« Le mouvement a démarré avec le Printemps arabe », raconte une opposante impliquée dans le projet à ses débuts, Miriam September, de son nom de militante. Et après la mutinerie militaire avortée du 21 janvier 2013 à Asmara, « il y a eu un élan sans précédent » au sein de la diaspora, affirme cette trentenaire installée en Allemagne. Les dons pour financer les appels ont augmenté, selon Selam, et des centaines d’Erythréens ont manifesté à visage découvert dans des capitales étrangères.
« C’en est assez, je ne peux pas me cacher pendant que mon peuple se fait tuer », témoigne Mussa Beshir, lors d’une récente manifestation à Londres.
L’énorme défi désormais, estime Léonard Vincent, est « de tenir sur la longueur le temps que la situation bascule dans le pays ».
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