En Egypte, les médias porte-voix de la « Sissimania »

Les médias en Egypte sont unanimement devenus les porte-voix du pouvoir depuis que les militaires ont destitué l’islamiste Mohamed Morsi en 2013, soutenant que seul un « homme à poigne », l’ex-chef de l’armée devenu président Abdel Fattah al-Sissi, peut « sauver le pays ».

En Egypte, les médias porte-voix de la « Sissimania » © AFP

En Egypte, les médias porte-voix de la « Sissimania » © AFP

Publié le 16 novembre 2014 Lecture : 3 minutes.

Et les experts redoutent que cette orientation des organes de presse, publics comme privés, au nom d’une « guerre contre le terrorisme » qui leur a permis de justifier la mort de quelque 1. 400 manifestants pro-Morsi et l’emprisonnement de 15. 000 sympathisants, ne signe la fin de la liberté d’expression. Laquelle est presque réduite à néant par un régime que les organisations de défense des droits de l’Homme qualifient de « plus répressif » que celui de Hosni Moubarak.

Dès la destitution le 3 juillet 2013 de M. Morsi, premier chef de l’Etat élu démocratiquement après la révolte qui a chassé Hosni Moubarak en 2011, la presse a assimilé et repris à l’envi les éléments de langage du gouvernement et de l’armée, qualifiant les Frères musulmans – la confrérie de M. Morsi qui avait remporté toutes les élections depuis 2011 – d’organisation « terroriste ».

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Or cette rhétorique avait été brandie avant même que ne se multiplient les attentats visant l’armée et la police, devenus ces dernières semaines très meurtriers et quasi-quotidiens, revendiqués essentiellement par les jihadistes d’Ansar Beït al-Maqdess, groupe armé qui a fait allégeance au groupe Etat islamique (EI). Les Frères musulmans condamnent ces attaques.

Après que les autorités eurent fermé les chaînes islamistes, les journalistes critiques à l’égard des régimes militaire et islamiste ayant succédé à Moubarak de 2011 à 2013 ont disparu du petit écran. Même ceux qui exécraient les fondamentalistes.

Il faut dire que le maréchal à la retraite Sissi, élu confortablement président en mai dernier après avoir éliminé de la scène politique l’opposition islamiste puis laïque, jouit d’une forte popularité qui a tourné au culte de la personnalité dans une opinion lassée par trois années de chaos politique et économique.

-Soutien inconditionnel-

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Le nouveau « raïs » appelle d’ailleurs la presse à soutenir sa « guerre contre les terroristes ». « Si vous avez une information, chuchotez-la à l’oreille d’un responsable plutôt que de l’exposer en plein jour », a-t-il un jour suggéré aux journalistes.

Après la mort de 30 soldats dans un attentat-suicide fin octobre, les rédacteurs en chef des principaux quotidiens ont annoncé leur soutien inconditionnel, refusant toute remise en cause des « institutions » et toute critique « de l’armée, de la police et de la justice ». Près de 500 journalistes avaient aussitôt dénoncé « un retour à l’âge de l’autoritarisme. « 

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Le phénomène inquiète d’autant plus que le gouvernement s’en est pris à l’opposition laïque et de gauche après avoir décimé ou emprisonné les Frères musulmans, arrêtant des dizaines de militants, dont les jeunes figures de la révolte de 2011, pour avoir enfreint une loi restreignant drastiquement le droit de manifester.

Autrefois invités comme des héros, ils sont aujourd’hui bannis des plateaux de télévision, monopolisés par des éditorialistes et « experts » en sécurité rabâchant dans des gloses interminables la nécessité de la lutte contre le « terrorisme ».

Il existe une « liste de 30 invités » seuls autorisés dans les émissions, selon des journalistes du public qui requièrent l’anonymat. Dans trois chaînes privées, ils affirment que leur hiérarchie leur interdit de critiquer le gouvernement.

Le 19 octobre, l’animateur de télévision Wael el-Ebrashy critiquait en direct les politiques de santé et du logement, la chaîne a brutalement interrompu son émission. « Je commence à avoir l’impression que c’est une direction imposée par le gouvernement », lâche-t-il à l’AFP.

Pour Mohamed Fathi, professeur de journalisme, les magnats de la presse veulent « satisfaire le régime et l’opinion publique ».

Dans un tel unanimisme, le porte-parole de la présidence Alaa Youssef a beau jeu de nier « toute interférence ». « Il n’y a jamais eu de décision pour interdire une émission ou la parution d’un journal ».

Pourtant, la filiale égyptienne de la chaîne saoudienne MBC a stoppé la populaire émission de satire politique de l’humoriste Bassem Youssef en juin après des épisodes moquant M. Sissi.

« Il y a dans le pays des arrestations à la pelle, des accusations de trahisons et des interdictions de voyager et vous me demandez pourquoi l’émission a été suspendue ? », ironise Youssef. Avant d’asséner: « pensez-vous que la chaîne a arrêté de son plein gré son programme le plus lucratif, ou que c’est moi qui ait choisi de rester à la maison ? »

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