Maurice : le groupe de presse La Sentinelle fait le pari du numérique

Face à la pression économique, le groupe de presse fait le pari du numérique en créant une entité multimédia et en réorganisant les rédactions papier et web de son quotidien L’Express.

En conférence de rédaction sont présents les acteurs des différents supports (journaux, internet, audio…). © EJILEN/LA SENTINELLE

En conférence de rédaction sont présents les acteurs des différents supports (journaux, internet, audio…). © EJILEN/LA SENTINELLE

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Publié le 16 octobre 2015 Lecture : 4 minutes.

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Maurice : en quête d’un second souffle

Véritable « modèle » du continent africain, Maurice jouit d’une économie favorable et d’un État fort, qui garantit la stabilité politique à ses citoyens. Cependant, le modèle affiche aujourd’hui quelques signes d’essoufflement, émanant notamment de sa classe politique.

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La soirée du 2 août a été un peu morose à Baie-du-Tombeau, au siège du groupe de presse La Sentinelle. Les imprimeurs ont débouché le champagne, mais les bulles n’ont pas réussi à consoler les plus anciens. Après trois décennies de bons et loyaux services, l’immense rotative a fait rouler une dernière fois ses vieilles mécaniques avant de partir sous d’autres cieux africains.

Au rythme saccadé des découpeuses et des rouleaux de papier alimentant la presse, dans l’entêtante odeur de l’encre, une page s’est tournée pour le premier média mauricien, qui depuis un an s’est lancé dans une véritable révolution culturelle, plus que jamais conforme à sa devise : « Pour devancer demain ». Et demain, La Sentinelle n’imprimera plus lui-même son quotidien L’Express.

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Une affaire de famille

Depuis un peu plus de cinquante ans, le groupe est la vigie du paysage médiatique local. Son titre emblématique ? L’Express, fondé en 1963 par Philippe Forget. Ce jeune médecin, indépendantiste convaincu, comptait apporter un peu de pluralisme et aller à contre-courant d’une presse mauricienne alors unanimement favorable à ce que le pays demeure sous souveraineté britannique. Quoi de plus normal que ce soit son fils, Philippe, et son petit-fils, Loïc, qui mettent aujourd’hui un point final au monopole exercé jusque-là dans l’audiovisuel par la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC), la télévision publique nationale ? En effet, ces derniers mois, La Sentinelle réinvente la télévision et la radio à Maurice, via internet.

Devant la pression économique, le groupe ose faire le pari du numérique. « Confrontés à une érosion de nos revenus publicitaires, nous avons décidé de nous appuyer sur la Toile pour réaliser des gains de productivité qui nous permettront d’alléger nos coûts », explique Philippe Forget, qui n’a pas hésité à démissionner de son poste de numéro deux à la Mauritius Commercial Bank (MCB) pour redonner un coup de jeune à l’héritage paternel.

Pour cela, il peut compter sur son fils, Loïc, qui, après douze ans à la BBC, est rentré de Londres en 2013 pour prendre la direction de la nouvelle entité multimédia du groupe, LSLDigital. Dans l’organisation tout juste mise en place à L’Express, les journalistes sont appelés à jongler entre texte, photographie et vidéo. « Les rédactions papier et web ne sont plus en concurrence, elles travaillent plutôt de façon interdépendante », résume Nad Sivaramen, le directeur des publications.

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Le contenu est redirigé en fonction de son urgence : les informations brutes sur le site, l’analyse et les articles de fond sur l’édition papier. Symbole de ce réaménagement, le plateau central – « inspiré de CNN », s’amuse un journaliste – occupe désormais le cœur d’une salle de rédaction dont les murs ont été abattus. « C’est devenu notre centre névralgique. C’est ici qu’est canalisé le flux d’informations ensuite redirigé vers nos différentes plate-formes : journaux, web, audio, vidéo et réseaux sociaux », s’enthousiasme Nad, lui-même influencé par ce qu’il a pu voir pendant sept ans dans les rédactions américaines.

Premier site web de l’océan indien

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L’offre a également été centralisée, et les vingt-cinq titres que possède La Sentinelle sont accessibles via un portail commun et payant. Le groupe, qui investit 250 000 euros par mois, n’est pas encore sûr de son modèle économique et n’a toujours pas atteint le seuil de rentabilité. Pourtant, la réussite du test grandeur nature qu’il a passé lors de la dernière campagne électorale, fin 2014, prouve que la formule fait mouche auprès du public.

Devenu premier site web de l’océan Indien, le portail lexpress.mu a vu son audience exploser ces deux dernières années, et a franchi le cap des 3 millions de visiteurs mensuels en février. « Le groupe a changé de dimension », estime Loïc Forget. Un sentiment à l’évidence partagé par les grandes agences internationales, comme Reuters ou l’AFP, qui multiplient les accords de partenariat avec La Sentinelle pour mieux couvrir la région.

En misant sur l’innovation, le principal groupe de presse de l’océan Indien, également implanté à Madagascar et à La Réunion, espère une nouvelle fois démontrer ses capacités d’adaptation et son indépendance. Comme il a su le faire face au boycott imposé par l’ancien Premier ministre Navin Ramgoolam. Exaspéré par certaines révélations de L’Express, l’ancien chef du gouvernement l’avait interdit dans toutes les administrations. « Le groupe a perdu plusieurs millions d’euros en quelques années, estime un expert des médias locaux. C’est ce qui a dû le pousser à accélérer sa mutation. » Le prix à payer pour que La Sentinelle puisse rester fidèle au poste.

L’info vue du ciel

Depuis près d’un an, les Mauriciens découvrent leur pays d’une manière insolite… et en très haute définition. Via son site internet, le quotidien L’Express diffuse plusieurs fois par semaine des reportages « vu du ciel », pris par des drones. En plus de la radio, de la photo et de la vidéo, LSLDigital gère une petite unité de quatre objets volants que les Mauriciens se sont habitués à repérer dans les airs.

Dès ses premiers survols, lors des meetings politiques d’octobre 2014, l’escadrille des Flying Freaks (les « monstres volants ») a créé la polémique en remettant en question les chiffres d’affluence avancés par les partis. Mais le plus souvent ces drones suivent des compétitions sportives, l’avancement de projets routiers ou l’évolution de catastrophes naturelles. Risquent-ils de se voir un jour cloués au sol ? « Nous profitons d’un vide juridique », avoue Loïc Forget. Qui joue à plein sur l’audience du site.

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