Mali : Keïta et Koufa, l’inquiétant duo terroriste du Sud

Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Le flou qui entourait il y a encore quelques mois les deux derniers nés de la galaxie jihadiste au Mali, le Front de libération du Macina (FLM) et la katiba Khalid Ibn Walid, plus connue sous le nom d’« Ansar Eddine Sud », se dissipe peu à peu.

Publié le 3 décembre 2015 Lecture : 7 minutes.

Le drapeau de Boko Haram à Gambaru,  au Nigeria, après que les troupes tchadiennes ont chassé le groupe terroriste, en février 2015. © Stéphane Yas/AFP
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Au fil des semaines et des arrestations, les services de renseignements maliens se sont fait une idée assez précise de ce que représentent ces groupes. Pour eux, comme pour les services de renseignements français, pas de doute : aujourd’hui, en dépit du danger que représentent les autres milices jihadistes qui sévissent dans le pays depuis plusieurs années et qui pourraient être derrière la prise d’otages du Radisson de Bamako, le 20 novembre (on ignore encore l’identité exacte des assaillants même si l’attaque a été revendiquée par Al-Mourabitoune et Aqmi), ce sont ces deux entités qui font peser la plus grande menace tant sur le Mali que sur ses voisins méridionaux, qui, jusque-là, pensaient pouvoir échapper au terrorisme salafiste.

Un rapport des services de renseignements maliens daté du mois de septembre, dont J.A. a obtenu une copie, est sans ambiguïté. « Les opérations militaires ont conduit au morcellement de la scène jihadiste », peut-on y lire. Mais « la menace terroriste persiste et s’est quasiment propagée sur toute l’étendue du territoire national avec l’apparition de nouveaux groupes au centre et au sud ».

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Selon ce document, Al-Mourabitoune et Aqmi, les deux groupes les plus puissants en 2012, ont été amoindris depuis l’intervention de l’armée française en janvier 2013. Ce n’est pas le cas d’Ansar Eddine, le groupe commandé par Iyad Ag Ghaly. Ce dernier est aujourd’hui le plus influent des jihadistes opérant au Mali – il se terre quelque part entre ce pays et l’Algérie – et pas seulement parce qu’il reste une autorité au sein de la communauté des Ifoghas. Depuis quelque temps, il a entrepris de porter le jihad dans le sud du pays.

La DGSE malienne le présente ainsi comme le parrain des « deux nouvelles franchises » – FLM et katiba Khalid Ibn Walid – qui ont vu le jour cette année. Un des membres de ce dernier groupe, Souleymane M. (arrêté le 8 juillet dans les environs de Sévaré), aurait ainsi effectué trois missions auprès de Iyad afin de se faire remettre de l’argent. Selon la DGSE malienne, qui se fonde sur une lettre interceptée du chef d’Ansar Eddine, le Touareg inciterait les katibas du Sud à « multiplier les attaques contre les postes isolés des forces de sécurité ».

Le FLM, « problème majeur du Mali »

Le premier groupe opère au centre, dans la région de Mopti, sous les ordres d’Amadou Koufa, un prêcheur peul dont on a longtemps pensé qu’il était mort lors de l’attaque de Konna, en 2013. Le FLM a mené des attaques sanglantes contre les forces armées maliennes et a semé la terreur dans plusieurs villages, tuant tous ceux qui s’opposaient à lui. Selon un bon connaisseur de la région, ses hommes font passer le message suivant partout où ils passent : « Ne vous mêlez pas de nos affaires. Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous. » Le FLM a également mené l’assaut contre un hôtel de Sévaré en août (13 morts).

Selon la DGSE, l’homme qui faisait le lien entre les deux groupes se nomme Hassan Dicko

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La DGSE malienne estime à environ 170 le nombre de combattants du FLM, tous – ou presque – de jeunes Peuls. Selon un spécialiste du monde peul, « ce groupe dispose d’un grand vivier de combattants car cette région est délaissée depuis très longtemps par l’État et par les ONG ». Ses hommes « évoluent en moto », « disposent d’armes d’infanterie » et « jouissent de complicités locales ». Koufa, dont les liens avec Iyad sont avérés, revendique « le rétablissement du califat peul d’El Hadj Sékou Amadou » (un empire théocratique qui a prospéré au XIXe siècle) et appelle à faire de Mopti sa capitale. Selon un haut responsable des renseignements militaires français, le FLM est aujourd’hui « le problème majeur au Mali ».

Les liens entre le FLM et le deuxième groupe opérant dans le Sud, la katiba Khalid Ibn Walid, qui revendique l’application de la charia au Mali et qui compte en son sein de nombreux anciens membres de la police islamiste qui a régné sur Tombouctou en 2012, sont extrêmement étroits. « Les deux agissent de façon imbriquée dans la conduite de leurs opérations », indique la note des renseignements. Selon la DGSE, ils auraient « conjointement réalisé sept opérations », dont deux ont été déjouées par les forces de l’ordre. L’une d’elles visait à attaquer un club nautique de Bamako fréquenté par des Occidentaux. Selon la DGSE, l’homme qui faisait le lien entre les deux groupes se nomme Hassan Dicko (ou « Abou Leila »). Ce Peul de 35 ans est né au Mali et a été élevé dans le Sud, à Kadiolo, mais ses parents sont originaires du Burkina. Cet ancien de la police islamique de Tombouctou est présenté comme le bras droit de Koufa. Il a été arrêté le 5 septembre.

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Les combattants d’Ansar Eddine Sud ne sont pas tous maliens

Ansar Eddine Sud a également mené des opérations « en solo », comme les attaques en juin de Fakola et de Misseni, deux villages situés près de la frontière avec la Côte d’Ivoire. Selon une source sécuritaire malienne, la katiba a été considérablement amoindrie en juillet, lorsque l’armée a attaqué sa position dans la forêt de Sama, à l’extrême sud du Mali. Sur la trentaine de combattants qui s’y étaient réfugiés, cinq ont été abattus, quatorze ont été arrêtés par les forces maliennes, puis sept autres, quelques jours plus tard, par les forces ivoiriennes.

Les autres ont fui. Depuis, la DGSE, qui parle de « débandade », a recueilli de nombreux éléments sur ce groupe. Et ce qu’elle a découvert a de quoi alarmer tous les voisins du Mali. « La stratégie est d’autant plus inquiétante que ces moudjahidine, en plus du bénéfice de la couleur de peau, de la langue et de la connaissance du terrain, jouissent de continuités familiales dans toute la zone ouest-africaine, leur donnant la facilité de s’infiltrer, de s’équiper et d’atteindre les positions isolées des forces armées loyalistes sans risque d’être dénoncés », indique le rapport de la DGSE.

Des liens un peu partout dans la sous-région

L’organigramme d’Ansar Eddine Sud tel qu’établi par les renseignements maliens démontre que ses combattants ne viennent pas du septentrion malien, mais du sud du pays, voire de Côte d’Ivoire et du Burkina, et qu’ils ont des liens un peu partout dans la sous-région. Son émir, Souleymane Keïta, est né au Mali, à Kangaba, à moins de 50 km de la frontière guinéenne, en 1968. Il serait passé, au fil des ans, par le Sénégal, la Gambie, l’Égypte et l’Arabie saoudite, et aurait fait la connaissance de Iyad au milieu des années 2000 à Bamako.

Après l’attaque de ses positions dans la forêt de Sama, il aurait fui vers la Guinée. En juin, il aurait été signalé en Sierra Leone. Son bras droit, Amadou Niangadou (qui est aussi son gendre), a été arrêté en Côte d’Ivoire après la bataille de la forêt de Sama, et transféré au Mali le 19 août. Ce jeune homme de 25 ans, surnommé Djogormé, aurait participé à l’attaque de Konna avec les hommes de la katiba Al-Forkane (Aqmi).

Un autre des lieutenants de Keïta, Mohamed S., est un Peul originaire de Sikasso dont les parents sont installés dans le nord de la Côte d’Ivoire, à Tengréla. Cet homme de 42 ans, surnommé Tiembal, a été arrêté le 1er août à Sévaré. En mai, il se serait rendu à Abidjan, à la demande de Keïta, pour acheter à un Ivoirien d’origine malienne six pistolets mitrailleurs, pour une valeur de 1 million de F CFA (environ 1 500 euros).

Parmi les autres membres de cette katiba, arrêtés ou en fuite, on trouve des Ivoiriens, des Burkinabè, des Maliens du Sud. Ainsi, c’est Sékou T., un Ivoirien de 30 ans, qui aurait planifié l’attaque déjouée contre un club nautique à Bamako. Selon une source sécuritaire ouest-africaine, ces informations ont causé l’émoi dans les pays concernés. « Nous sentions monter la menace depuis quelques années. Aujourd’hui, elle est à nos portes », constate un militaire burkinabé. En octobre, trois gendarmes ont été tués dans l’ouest du Burkina, au cours de ce qui est considéré comme la première attaque d’un groupe jihadiste dans ce pays.

AU NORD, DES GROUPES AMOINDRIS … MAIS TOUJOURS MENAÇANTS

Selon le document des services de renseignements maliens dont J.A. a obtenu une copie, Al-Mourabitoune, le groupe né de la fusion en août 2013 de la katiba Al-Moulathamine (les « Signataires par le sang ») et du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), serait « déstructuré ». « Sa chaîne de commandement a été brisée, plusieurs cadres ont été éliminés, et d’autres [sont] retranchés de façon pérenne en Libye. » En outre, « Al-Mourabitoune apparaît aujourd’hui divisé » entre d’un côté les combattants évoluant en Libye sous les ordres de Mokhtar Belmokhtar, et de l’autre une partie de sa branche malienne dirigée par Adnan Abou Walid al-Sahraoui. Ce dernier a prêté allégeance à l’EI en mai. Mais quelques semaines plus tard, Belmokhtar réitérait depuis la Libye, où il s’est retranché depuis deux ans, son allégeance à Al-Qaïda.

Aqmi, un des deux autres groupes qui sévissent dans l’extrême Nord, a perdu plusieurs de ses cadres et la plupart de ses caches ont été découvertes. L’organisation n’évolue plus qu’aux confins du Sahara, sous les ordres de l’Algérien Yahia Abou el-Hammam, l’émir du « Grand Sahara ». Selon la note de la DGSE malienne, « son effectif total est estimé à 200 combattants, répartis entre trois katibas ». La première, Tarik Ibn Ziyad, est commandée par un Algérien, Shouaib Abou Abdallah. Elle est basée au nord-est de Kidal. La deuxième, Al-Forkane, qui opère au nord-ouest de Tombouctou, est dirigée par un Mauritanien, Talha al-Libi. Quant à la troisième, Al-Ansar, elle a été « absorbée » par Ansar Eddine.

Mais ces groupes « s’organisent » et « s’adaptent » : ils restent dispersés, changent constamment de position, ne se déplacent plus qu’à moto ou à dos de chameau, n’utilisent que des messagers humains (plus de téléphone) et peuvent toujours mener des opérations kamikazes à Bamako ou ailleurs. L’attaque de l’hôtel Radisson le 20 novembre dans la capitale malienne, a été revendiquée par les deux groupes. Al-Mourabitoune, composé en majorité de combattants peuls (maliens ou nigériens), paraît notamment « déterminé à frapper le Niger ».

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