« Jésus et l’islam », sur Arte : il était une fois le Coran
La chaîne franco-allemande Arte propose une série documentaire sur le livre saint, diffusée les 8, 9 et 10 décembre. L’occasion d’interroger les origines de l’islam et son rapport à la chrétienté. Instructif.
Peut-on lire le Coran en le considérant comme un livre comme un autre ? En s’appuyant sur une série d’entretiens avec des spécialistes de l’islam parmi les plus respectés, Jérôme Prieur et Gérard Mordillat entendent se livrer, dans une série de documentaires et dans un ouvrage publié en même temps, à une entreprise d’une telle audace. Il y a une vingtaine d’années, ils avaient déjà proposé une approche des origines du christianisme par la critique textuelle et historique des évangiles avec la série Corpus Christi diffusée sur Arte avec un grand succès (plusieurs millions de spectateurs !). Ils font subir aujourd’hui le même « traitement » au Coran pour se pencher sur l’apparition de l’islam et son contexte.
Pour le moins ambitieux, leur propos n’est pourtant pas de faire le tour d’un tel sujet, ce qui serait impossible voire désinvolte. Aussi ont-ils décidé de centrer leur enquête sur l’exploration de la figure de Jésus, l’avant-dernier prophète dans le Coran. Prieur et Mordillat se sont lancés dans ce projet après avoir remarqué, à leur étonnement, la présence éminente dans le livre saint du fondateur du christianisme, considéré comme un être exceptionnel avec un caractère surnaturel (né d’une vierge, parle dès sa naissance, ne meurt pas). Cité directement plus de dix fois, avec des « titres considérables » (le Messie, le fils de Marie, le Messager de Dieu, etc.), il est certes beaucoup moins souvent « convoqué » que Moïse mais plus que la plupart des autres « personnages » évoqués, à commencer par… Mohammed lui-même. Au-delà de ses quatre mentions, ce dernier est malgré tout omniprésent dans le texte, si on le considère comme celui qui le « dit » après qu’il lui a été « révélé ».
Le « portrait » de Jésus par l’Islam
Par ailleurs, pour ne pas se disperser, les auteurs de Jésus et l’islam ont décidé de focaliser leurs entretiens filmés avec vingt-six chercheurs de diverses origines – la majorité travaille dans les pays anglo-saxons ou en Allemagne, un tiers est « de tradition musulmane » – sur deux versets du Coran, ceux de la sourate IV qui concernent la crucifixion de Jésus.
Ces deux versets pouvaient fournir, selon eux, « le meilleur fil directeur » pour s’interroger sur les questions que pose le texte du Coran d’un point de vue tant théologique que littéraire et historique. Car ils évoquent une scène connue aussi bien des chrétiens que des musulmans mais d’une façon énigmatique. De fait, ces textes incriminent les Juifs dans la mort de Jésus mais ils disent aussi que leur culpabilité, si elle est envisageable, n’est peut-être qu’« apparente » tout comme la crucifixion de Jésus elle-même.
Une occasion également d’évoquer des hypothèses sur les « sources » du Coran, dont la version écrite, on le sait, a mis du temps à être fixée
Or, et c’est là où l’on voit à quoi mène la « méthode » Prieur-Mordillat : il semble historiquement établi – ce qui contredit également la version colportée par les chrétiens pendant des siècles – que les autorités d’occupation de l’époque, les Romains, avaient le « privilège » des exécutions en Judée et qu’eux seuls ont pu crucifier Jésus, si l’on admet qu’il le fut effectivement.
De quoi s’interroger sur le « portrait » de Jésus tel qu’il est appréhendé par l’islam et sur les rapports entre les trois religions monothéistes, mais aussi de quoi chercher les raisons qu’on a pu avoir de soutenir telle ou telle thèse sur une question si cruciale selon que l’on était juif, chrétien ou musulman. Une occasion également d’évoquer des hypothèses sur les « sources » du Coran, dont la version écrite, on le sait, a mis du temps à être fixée. Ce qui conduit, au passage, à présenter le caravanier Mohammed comme sinon un érudit du moins un connaisseur des grands textes monothéistes.
Qui a écrit le Coran ?
S’adressant au public éclairé, Prieur et Mordillat n’éludent aucune des questions qui peuvent fâcher. C’est ce qui fait précisément le prix de leur travail, qui ne cherche jamais à aller vers le spectaculaire et émet surtout des hypothèses. Les chercheurs interrogés ont parfois quelque mal à s’exprimer pourtant quand le thème traité les met dans une position embarrassante. Se demander « qui a écrit le Coran » ne choque pas tous les intervenants mais incite l’un d’eux, Hichem Djaït, à affirmer que « la question n’est pas pertinente » alors que cela conduit d’autres, plus nombreux, à délivrer un discours subtil.
Les réponses ou les non-réponses des chercheurs comme des auteurs conduisent à ruiner assurément les positions intégristes faisant fi de l’histoire et de la science
Notamment en répondant comme le fait Suleiman Ali Mourad qu’« en tant que croyant on doit penser que c’est Dieu qui a dicté le Coran mais en tant que chercheur on ne peut pas s’arrêter là ». Ou en considérant, comme Abdelmajid Charfi, que le texte est certes « révélé » mais qu’il s’adresse aux hommes d’une certaine époque. De surcroît, aurait-il pu ajouter, à un moment où l’on pensait que la fin des temps était pour bientôt. Dans tous les cas, en fin de compte, les réponses ou les non-réponses des chercheurs comme des auteurs conduisent à ruiner assurément les positions intégristes faisant fi de l’histoire et de la science.
Jésus et l’islam, de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, à voir sur Arte les 8, 9 et 10 décembre
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