Le pouvoir à vie corrompt à vie
Depuis plusieurs années, on assiste à l’érosion de l’un des principaux acquis du constitutionnalisme africain des années 1990 : la limitation du nombre de mandats présidentiels.
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Mamoudou Gazibo
Mamoudou Gazibo est professeur de science politique à l’Université de Montréal.
Publié le 9 février 2016 Lecture : 3 minutes.
Dans certains pays comme l’Algérie, le Cameroun, le Tchad ou le Congo, les régimes, hégémoniques, ont réussi à la supprimer. Dans d’autres comme le Niger et le Burkina, la tentative a avorté. Dans d’autres encore comme le Rwanda, elle est en cours. Les thuriféraires des pouvoirs, accrochés à leurs privilèges, prétendent que l’avenir de leur pays dépend d’un homme. Or de nombreuses raisons justifient la limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique.
D’abord, la recherche démontre que c’est l’institutionnalisation du pouvoir qui est la clé principale du succès des nations et non un homme, fût-il providentiel. Certes, il est souhaitable d’avoir des dirigeants exceptionnels, phénomène rare d’ailleurs chez les aspirants au pouvoir éternel en Afrique. Mais cette variable est beaucoup moins déterminante que la qualité des règles qui régissent les interactions politiques dans la société. C’est là un constat issu de l’analyse économique des institutions, qui a valu un prix Nobel à plusieurs chercheurs. L’institutionnalisation du pouvoir réduit l’incertitude et les coûts de transaction pour les milieux d’affaires et les citoyens, et permet un fonctionnement plus efficace du système économique.
À l’inverse, le pouvoir à vie corrompt à vie : il transforme le système économique en capitalisme de bandits car les contrats sont rarement respectés, les entreprises sont accaparées par les dirigeants et leurs familles, et la richesse des uns est amassée sur le vol et l’exploitation des faibles. Il suffit de comparer le Botswana et la RD Congo pour s’en convaincre. Mais même quand l’homme providentiel est resté incorruptible par miracle, ce qu’il a mis une vie à bâtir peut être vite défait après lui sans une succession institutionnalisée.
Entre 1960 et 1990, sur 90 changements de pouvoir en Afrique, 81 sont survenus de manière violente
Ensuite, la mise en place consensuelle et le respect par tous des procédures de prise, d’exercice et de cessation du pouvoir sont les principaux facteurs qui assurent la stabilité politique et sécurisent aussi bien les dirigeants que les gouvernés. Rousseau nous a prévenus que « le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir ». Le pouvoir fondé sur la force est toujours à la merci d’une force plus grande, ce qui plonge ses détenteurs dans une insécurité psychologique et l’obsession des complots réels ou imaginaires, sources d’abus et fatalement de résistances.
Ainsi, entre 1960 et 1990, période des monopartismes et des régimes militaires, sur 90 changements de pouvoir en Afrique, 81 sont survenus de manière violente et seulement 9 à la suite d’un retrait volontaire ou d’une défaite électorale. Depuis 1990, les transferts violents de pouvoir ont eu lieu surtout dans des pays où se pose le problème des mandats. Ceux qui ont véritablement institutionnalisé la possibilité d’alternance (Ghana, Bénin, Namibie, Tanzanie, Botswana, Cap-Vert, São Tomé-et-Príncipe, Maurice…) sont exempts de telles crises. La conclusion à tirer de ces faits est simple : la limitation du nombre de mandats est dans l’intérêt premier des chefs d’État. Elle leur offre de vivre après le pouvoir comme Joaquim Chissano, Festus Mogae, Pedro Pires… et non comme Blaise Compaoré.
Enfin, et ce n’est pas le moindre des arguments, les enquêtes d’opinion montrent que les peuples africains ont soif d’alternance. Le Burkina n’est peut-être pas le Burundi, mais leurs peuples sont, à l’instar des autres peuples d’Afrique, des majeurs politiques qui n’acceptent plus l’attitude paternaliste voulant qu’ils s’en remettent à l’arbitraire d’un seul homme.
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