La règle du « je »
Décidément, les histoires de Constitution se multiplient !
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 22 février 2016 Lecture : 3 minutes.
Blaise Compaoré est tombé pour avoir voulu y toucher afin de jouer les prolongations. Abdelaziz Bouteflika la modifie (2002, 2008, 2016) presque à chaque mandat. Pierre Nkurunziza a pris le risque de mettre son pays à feu et à sang en enfreignant la loi fondamentale pour obtenir un troisième mandat. Paul Kagamé, au pouvoir depuis plus de vingt ans, poursuivra l’aventure après 2017, comme l’y autorise désormais la nouvelle Constitution, adoptée par référendum en décembre 2015. Denis Sassou Nguesso en fera de même et briguera sa propre succession au scrutin présidentiel de 2016, auquel l’ancienne loi fondamentale lui interdisait de se présenter.
Concernant les quatre derniers cités, le peuple leur a, paraît-il, expressément demandé de rester… Et voilà que, a contrario, Macky Sall se retrouve empêtré dans une polémique dont le Sénégal a le secret, « contraint » de ne point honorer sa promesse de ramener la durée de son mandat de sept à cinq ans, parce que le Conseil constitutionnel lui interdit de toucher ledit mandat en cours. Avec un argument de poids, véritable pierre dans le jardin de son prédécesseur : « Les précédents [ayant une incidence sur la durée des mandats en cours] se sont succédé de manière constante depuis vingt-cinq ans. » Ils mettent en danger « la sécurité juridique et la stabilité des institutions si, à l’occasion de changements de majorité et à la faveur du jeu politique », on pouvait réduire ou prolonger les mandats à volonté. Bref, une Constitution, cela se respecte, un point, un trait.
Sous nos latitudes, l’accession au pouvoir comme la manière de le quitter sont le plus souvent régies par l’arbitraire, les rapports de force et l’argent
« Il vaut mieux partir cinq ans trop tôt qu’une minute trop tard », disait le général de Gaulle. Chefs d’État et acteurs politiques africains, opposants compris, devraient méditer ce précepte. Et arrêter de jongler avec les règles en fonction des besoins. Ce n’est pas nouveau : sous nos latitudes, l’accession au pouvoir comme la manière de le quitter sont le plus souvent régies par l’arbitraire, les rapports de force et l’argent. Les scénarios ? Toujours les mêmes, tout comme les arguments avancés : courtisans, thuriféraires, « intellectuels », majorité présidentielle et associations de masse (les jeunes, les femmes, etc.) exhortent le chef de l’État à rempiler.
Pour achever ses chantiers (lancés opportunément à la dernière minute), accompagner le peuple, qui ne saurait se passer de la sagesse d’un tel homme dans des circonstances forcément préoccupantes. Pour garantir une succession tellement difficile, eu égard aux qualités rarissimes du chef, que sa préparation nécessitera quelques années (combien ?) de plus.
Autant d’arguments fallacieux : pourquoi réglerait-on en cinq ans ce que l’on n’a pas réussi à résoudre en vingt ? Comment peut-on justifier, autrement que par un constat d’échec après plusieurs lustres de pouvoir, que personne dans le pays ne serait capable de prendre la relève ? Jusqu’à quel âge peut-on raisonnablement diriger une nation ? Combien de mandats doit-on accomplir ? De quelle durée ? Les mêmes règles, certains parlent d’oukases occidentaux, peuvent-elles être imposées à tout le monde ? Vaste et inextricable débat.
Personne n’est indispensable ou irremplaçable. Si l’Afrique du Sud a pu se passer d’un Nelson Mandela, les autres pays du continent devraient pouvoir faire sans un Yahya Jammeh ou un Robert Mugabe
C’est surtout une affaire de bon sens et de logique. Primo, les règles sont faites pour être respectées et seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier leur changement. Sinon, cela suppose – parce que rien n’interdit non plus d’évoluer – qu’il y ait un très large consensus. Secundo, personne n’est indispensable ou irremplaçable. Si l’Afrique du Sud a pu se passer d’un Nelson Mandela – que nos chefs aiment pourtant à citer -, les autres pays du continent devraient pouvoir faire sans un Yahya Jammeh ou un Robert Mugabe, pour ne citer qu’eux…
Enfin, et c’est sans doute le plus important, la véritable clé de cette éternelle controverse réside moins dans les règles édictées que dans la réalité du choix de ce fameux peuple « souverain qui doit pouvoir décider de sa destinée » et que nos dirigeants convoquent à l’envi. Le jour où l’on se sera assuré que sa volonté coïncide réellement avec le verdict des urnes, à l’issue d’élections libres, contradictoires et transparentes, on pourra alors accepter plus facilement les changements de règles.
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