Moins influent à domicile, Maroc Télécom investit au sud du Sahara

Un statut panafricain renforcé, mais des dettes importantes et des filiales subsahariennes à redresser. Tel est, dix-huit mois plus tard, le bilan du rachat de l’opérateur historique par Etisalat.

Le groupe a recupéré la marque Moov dans six pays (ici à Abidjan)

Le groupe a recupéré la marque Moov dans six pays (ici à Abidjan)

fahhd iraqi

Publié le 18 mars 2016 Lecture : 4 minutes.

Dans les salles de marché de Casablanca, la blague fait sourire les cols blancs : « Désormais, il faut écrire Itissalat Al-Maghrib [l’autre nom de Maroc Télécom] avec un E. » Référence au nouvel actionnaire majoritaire de l’opérateur, l’émirati Etisalat, qui a décaissé en mai 2014 quelque 4,2 milliards d’euros pour acquérir les 53 % détenus jusqu’alors par le français Vivendi.

Un peu plus de dix-huit mois après cette transaction, le changement se ressent à tous les étages de l’imposante tour Maroc Télécom. Certes, au 20e, le bureau du président du directoire est toujours occupé par Abdeslam Ahizoune. Mais les représentants de Vivendi ont plié bagage, fin 2014, pour laisser la place à de nouveaux venus. Parmi eux, un cadre supérieur dépêché d’Abou Dhabi : Oussama El Rifai, membre du directoire chargé de la direction administrative et financière.

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Cohabitation difficile

Ahizoune ne cherche pas à dissimuler l’implication des Émiratis dans la gestion de l’entreprise : « Tout le personnel de la société travaille avec la maison mère. La coordination entre Rabat et Abou Dhabi va bon train, et ce dans tous les départements », a-t-il expliqué lors de la présentation des résultats 2015. Le groupe émirati détient par ailleurs six sièges au conseil de surveillance, contre trois pour la partie marocaine (dont le fauteuil de président, occupé par Mohamed Boussaïd, le ministre de l’Économie). Vivendi, lui, se contentait de quatre membres.

Est-ce lié ? Toujours est-il que, parallèlement, Maroc Télécom donne l’impression de perdre en influence sur son marché. « Si le groupe a payé deux fois plus cher que ses concurrents pour s’adjuger la meilleure fréquence 4G, c’est bien qu’il manque de confiance », tranche un analyste financier. En mars 2015, Maroc Télécom a ainsi déboursé 1 milliard de dirhams (environ 92 millions d’euros) pour obtenir la licence, contre 500 millions de dirhams pour Méditel et Wana.

La raison est peut-être à chercher dans les rapports tendus qu’entretient l’opérateur historique avec l’autorité de régulation. Plusieurs décisions de l’Agence nationale de réglementation des télécoms (ANRT) sont en effet venues secouer la position dominante de Maroc Télécom, qui va devoir partager ses infrastructures avec ses concurrents à des tarifs acceptables. « Il est tout de même curieux de constater la multiplication des décisions de l’ANRT juste après l’arrivée des Émiratis.

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À croire que jusque-là l’agence n’avait pas la marge de manœuvre nécessaire pour froisser les intérêts de Maroc Télécom », remarque notre analyste. « Cela n’a rien à voir avec l’actionnariat de Maroc Télécom », rétorque une source au sein de l’ANRT, qui met en avant la lenteur des procédures et des études techniques.

Au niveau des bénéfices, l’impact est pour le moment négatif.

Sur les plans stratégique et financier, la touche émiratie est encore plus visible. L’arrivée d’Etisalat a forcé l’opérateur à accélérer son expansion africaine en récupérant les filiales subsahariennes de la maison mère. En janvier 2015, pour 5 milliards de dirhams, Maroc Télécom a ainsi racheté six sociétés actives sous la marque Moov (Côte d’Ivoire, Bénin, Togo, Gabon, Niger et Centrafrique), ainsi que la société Prestige Télécom, qui fournit des services à ces filiales.

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Cet élargissement du périmètre de consolidation s’est répercuté sur les comptes de Maroc Télécom. Après ces nouvelles acquisitions, le chiffre d’affaires de l’opérateur a ainsi réalisé un bond de 17 %, compensant largement la stagnation d’un marché marocain marqué par une baisse des prix. Mais au niveau des bénéfices, l’impact est pour le moment négatif. Abdeslam Ahizoune l’admet : « La baisse du résultat net part du groupe en 2015 s’explique par les performances des filiales nouvellement acquises, qui ne sont pas encore rentables. »

Pis, le groupe a dû non seulement lever des fonds pour payer ces acquisitions, mais aussi récupérer les dettes inscrites dans les comptes des nouvelles filiales. Conséquence : l’endettement net de Maroc Télécom est passé de 5,3 milliards à 12,5 milliards de dirhams entre 2014 et fin 2015. « Maroc Télécom a besoin de temps pour digérer l’acquisition de six nouveaux opérateurs, dont certains sont en difficulté, explique notre analyste.

L’avenir n’est pas si sombre

Mais son expertise lui permettra de redresser ces sociétés, qui constitueront sans doute, à terme, des sources de profit importantes. » Cela explique la réorientation des investissements du groupe vers le Sud. En 2016, Maroc Télécom consacre près de 50 % de son budget d’investissement au marché africain, soit quelque 4 milliards de dirhams.

En attendant, l’opérateur reste à un niveau de rentabilité très honorable, même si les marges stratosphériques d’antan ne sont plus possibles. En 2015, Maroc Télécom a dégagé un bénéfice de 5,6 milliards de dirhams. Une cagnotte qu’il distribuera intégralement à ses actionnaires, ce qui va permettre aux Émiratis de récupérer cette année près de 3 milliards de dirhams, faisant monter à 11 milliards de dirhams les dividendes perçus depuis le rachat de Maroc Télécom, soit plus de 23 % de la mise initiale. Pas mal au bout de dix-huit mois…

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