Bruno Witvoet – Vice-président exécutif d’Unilever, chargé de l’Afrique : « Unilever est encore trop petit en Afrique de l’Ouest »
Renforcement de ses capacités de production, lancement de nouveaux produits… Le géant anglo-néerlandais des biens de consommation veut accélérer son développement sur le continent.
Pour Unilever, il est allé au Mexique, aux Pays-Bas, en Belgique… Et depuis la fin de 2014, après cinq années passées à la tête de la filiale française du géant des biens de consommation, Bruno Witvoet occupe le siège de vice-président exécutif chargé de l’Afrique. Si son bureau est resté à Rueil-Malmaison, près de Paris, ce Français de 54 ans assure passer les deux tiers de son temps sur le continent. En Afrique, il voit Unilever comme « un guépard, capable de planifier son action puis d’aller très vite ».
Le groupe anglo-néerlandais, présent depuis plus de cent ans en Afrique du Sud, doit à la fois suivre le rythme imposé par les entreprises locales, très agiles, et tenir son rang face aux autres multinationales (Nestlé, Procter & Gamble, etc.) attirées par la classe moyenne émergente. Pour y parvenir, Unilever entend puiser dans son immense portefeuille de marques et renforcer sa production locale, qui représente déjà 90 % de ses volumes. Il achève d’ailleurs un cycle d’investissement de 450 millions d’euros, dans lequel s’inscrit l’usine de mayonnaise Calvé de Vridi, en Côte d’Ivoire.
JEUNE AFRIQUE : Unilever vient de publier ses résultats globaux pour 2015, sans préciser quelles étaient ses performances en Afrique. Pouvez-vous nous en dire plus ?
BRUNO WITVOET : Nous ne donnons pas nos résultats détaillés, mais ils sont en progression par rapport à 2014 : un peu plus de 2 milliards d’euros de revenus, avec une amélioration des marges. Nous sommes dans une dynamique de croissance conforme à celle du groupe, et cela dans un environnement plus compliqué sur le plan macroéconomique : le Nigeria n’a pas connu de taux de croissance élevé et il y a eu un net ralentissement en Afrique du Sud.
Cela signifie-t-il que les pays non pétroliers parviennent à tirer votre croissance sur le continent ?
Pas exactement. En 2015, au Nigeria, nous avons eu un premier semestre difficile mais un bon second semestre. Nous avons aussi connu une croissance de nos revenus en Afrique du Sud et au Ghana, où les choses allaient beaucoup moins bien il y a deux ans. Cela montre qu’on peut s’en sortir dans un environnement économique difficile. Par ailleurs, il est vrai que notre croissance est à deux chiffres en Afrique de l’Est, et proche de ce niveau en Afrique de l’Ouest.
Quelle est la stratégie d’Unilever en Afrique ?
Notre business s’appuie sur des environnements où l’on trouve croissance démographique et urbanisation. Ces conditions sont réunies en Afrique. Après, nous avons des zones prioritaires : l’Afrique du Sud, de facto, car c’est la moitié du chiffre d’affaires ; le Nigeria, où les possibilités de lancement de nouvelles gammes sont importantes ; mais aussi la Côte d’Ivoire, le Kenya, l’Éthiopie. L’Afrique est définitivement un continent où il nous faut investir, que ce soit en termes de présence industrielle ou de force commerciale.
La croissance externe fait-elle partie de votre stratégie ?
Oui, mais l’essentiel de mon temps est consacré à la croissance interne, car nous avons encore énormément de possibilités. Nous avons ainsi lancé il y a neuf mois, avec succès, les bouillons Knorr en Éthiopie. En Côte d’Ivoire aussi, il y a certainement des opportunités. Plus globalement, nous sommes aujourd’hui trop petits en Afrique de l’Ouest. Il faut qu’on accélère significativement à travers tous les paramètres possibles : augmenter nos propres capacités, lancer de nouvelles catégories de produits, regarder les acteurs locaux… Il ne faut fermer aucune porte.
Il faut qu’on accélère significativement à travers tous les paramètres possibles
Comment résolvez-vous le défi de la distribution, un secteur où les entreprises locales, notamment libanaises, ont une longueur d’avance ?
Nous sommes tout à fait équipés pour le segment de la distribution moderne. En Afrique du Sud, la moitié du chiffre d’affaires est faite directement dans les supermarchés. Au Kenya, c’est environ 40 %. En revanche, dans les pays où le commerce de gros est important, nous travaillons avec des partenaires locaux. Mais nous ne sommes pas propriétaires de notre distribution, ce n’est pas notre modèle.
Rencontrez-vous des problèmes de plagiat de vos marques ?
Cela peut arriver, tout comme en Europe. Je suis très vigilant : il m’arrive parfois, sur un marché, de trouver l’un de ces produits. Nous achetons, analysons et, si besoin, nous attaquons. Plus la législation progresse, mieux c’est, car si les pays africains veulent attirer des investissements, il faut un cadre juridique solide. Si on ne peut pas protéger les marques, c’est un problème.
En 2008, dans le cadre d’une stratégie globale de simplification, vous avez cédé vos participations dans des plantations ivoiriennes d’huile de palme. Envisagez-vous de revenir à cette activité ?
Nous n’y sommes plus et nous n’avons pas l’intention d’y être.
Si vous n’êtes pas intéressés par une présence directe dans les matières premières, pourquoi avez-vous plusieurs plantations de thé au Kenya, en Tanzanie et au Rwanda ?
C’est différent. Dans le thé, l’essentiel du produit, c’est le thé lui-même. Nous sommes leader mondial avec Lipton et nous nous étions engagés il y a quelques années à ce que 100 % de notre thé provienne d’un approvisionnement durable, certifié Rainforest. Cela nous permet d’une part de sécuriser nos approvisionnements, et d’autre part de montrer comment on peut transformer l’industrie.
Il y a une classe moyenne qui se développe, c’est sûr. Pour nous, ce sont des gens qui ont entre 10 et 20 dollars par jour et qui peuvent acheter des produits manufacturés de manière régulière.
L’approvisionnement est-il aujourd’hui le principal obstacle pour s’implanter localement ?
C’est parfois un problème. Y a-t-il une filière locale aujourd’hui qui nous permette de nous approvisionner en jaune d’œuf et en huile pour faire notre mayonnaise en Côte d’Ivoire ? La réponse est non. Nous travaillons avec le gouvernement pour voir comment développer les filières agricoles, attirer des partenaires. C’est un enjeu énorme : en Afrique, nous employons 6 000 salariés dans nos usines et bureaux et 22 000 dans nos plantations de thé.
La fameuse classe moyenne africaine est-elle un fantasme ?
La définir entre 2 et 20 dollars par jour, je n’y ai jamais cru. Il y a une classe moyenne qui se développe, c’est sûr. Pour nous, ce sont des gens qui ont entre 10 et 20 dollars par jour et qui peuvent acheter des produits manufacturés de manière régulière. Mais des consommateurs qui ont moins de revenus peuvent aussi être intéressés par des produits comme les nôtres, et c’est notamment pour cela que nous proposons de petits emballages. Ces gens-là veulent aussi des marques, il faut leur en proposer à des prix accessibles.
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