Portrait : Hamid Sulaiman, le dessinateur syrien qui dit la guerre civile sans se raconter

Réfugié en France, ce dessinateur syrien livre un bouleversant roman graphique sur la guerre civile qui ravage son pays.

Hamid Sulaiman © Alexandre Gouzou/J.A.

Hamid Sulaiman © Alexandre Gouzou/J.A.

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 15 avril 2016 Lecture : 4 minutes.

Des images comme solarisées par la violence d’une explosion, une tâche d’encre comme le sang projeté par une balle traversant un corps, les murs d’une ville comme soufflée par les missiles de l’armée syrienne : la violence de la guerre impose son tempo à chaque page de Freedom Hospital, le roman graphique de Hamid Sulaiman (Çà et là et Arte Éditions). Lui, c’est plutôt le contraire, un grand jeune homme (30 ans) calme que l’on n’imagine pas capable d’écraser une mouche. Cheveux longs, barbe fournie, mégot à demi éteint au coin des lèvres, il reçoit dans un appartement de Pantin (Seine-Saint-Denis) où un petit balcon donne sur une rue silencieuse. Au mur, des dessins d’hommes-arbres en noir et blanc rappellent d’où il vient et ce qu’il fait.

L’espoir d’une Syrie sans Bachar

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Contrairement à Maya Neyestani, qui, dans Une métamorphose iranienne, narrait en images les conditions de sa fuite et de son exil, Hamid Sulaiman a choisi de dire la guerre sans se raconter. Il aurait pu, pourtant, mettre en cases cette histoire que l’on connaît trop bien, l’arrachement à soi-même, l’errance, la difficile condition de clandestin… « J’étais déjà un exilé là-bas, dit-il. En tant qu’artiste, il était impossible de s’exprimer sur le sexe, la politique, la religion. En 2011, à l’heure des Printemps arabes, j’ai vu l’espoir fleurir chez les jeunes. J’ai participé aux manifestations, et sur Facebook, pour la première fois, j’ai eu le courage de dessiner ce que je pensais. »

Les conséquences ont été immédiates : d’abord suivi par des policiers, il a passé une semaine à l’ombre. « Le régime a commencé à tuer des gens en prison, rappelle-t-il. Je n’ai pas pris une grosse valise, je n’ai pas eu le temps de dire au revoir à mes amis, j’ai quitté la Syrie par la frontière avec la Jordanie, avec ma mère, et j’ai rejoint l’Égypte. »

Devenu étudiant en architecture à défaut de trouver une formation à l’animation, Sulaiman dessine depuis l’enfance. Sans affect ni nostalgie excessive, il se souvient de la bienveillance de ses parents à ce sujet : « J’avais un petit atelier dans le jardin. Comme j’étais motivé, ils m’ont acheté tout le matériel nécessaire… et pardonné quand je salissais. » Aujourd’hui, dans la Syrie de Bachar al-Assad, en revanche, point de pardon, point de clémence pour qui croque la liberté. « Nous avions l’espoir que le régime tomberait bientôt comme est tombé celui de Kadhafi, affirme Sulaiman. On ne pensait pas que c’était possible d’envoyer l’armée massacrer des civils, mais on a fini par comprendre que le régime voulait véritablement mener une guerre. »

De l’Égypte à l’asile politique en Europe

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En Égypte, le répit est de courte durée. Le dessinateur commence à travailler, cherche à exposer, explore des idées de scénario pour une BD sur son pays, mais les troubles se multiplient, et l’avenir se fait incertain là aussi. Sulaiman obtient un visa pour l’Allemagne. « Mais dans ce pays, tu ne choisis pas où tu veux vivre, ce qui n’est pas pratique quand tu veux faire de la bande dessinée. Je connaissais déjà la France, la culture franco-belge est l’une des meilleures du monde sur le sujet, du coup j’ai demandé l’asile politique. » Passons sur le refus des autorités syriennes de renouveler son passeport comme sur les tracasseries administratives et la vie de clandestin avant d’obtenir un titre de séjour valable dix ans. Mieux vaut retenir les soutiens, les amitiés et les rencontres, dont celle de sa compagne, Aurélie, qui lui ont permis à la fois de vivre, de travailler et de chercher un éditeur pour les histoires qu’il voulait raconter.

Ici, la vie est plus individualiste. Dans le monde arabe, tu ne vis presque jamais seul, raconte-t-il

Car Freedom Hospital est un roman graphique choral qui donne vie (et mort…) à toute une galerie de personnages terriblement réels et représentatifs de la Syrie contemporaine. « Dans chaque ville syrienne, il y a un freedom hospital, puisque les rebelles ne peuvent pas aller se faire soigner dans un hôpital normal. J’ai pensé que c’était un bon endroit pour réunir différentes destinées, dans cette manière propre à l’écriture arabe que l’on retrouve chez Naguib Mahfouz ou Alaa El Aswany. Ici, la vie est plus individualiste. Dans le monde arabe, tu ne vis presque jamais seul. » Réalisé en grande partie avec des images récupérées sur internet et retravaillées, Freedom Hospital oscille constamment entre l’ultraréalisme et l’abstraction, laissant à l’imagination une place pour se développer. « Ce travail m’a aidé à ne pas garder l’histoire de la guerre tout le temps dans ma tête », confie l’artiste, qui expose ses œuvres à la galerie Crone (Berlin) jusqu’au 18 juin.

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L’histoire, pourtant, n’est pas finie, et chaque heure qui passe apporte sa moisson de morts. « Trois jours et 893 victimes plus tard », écrit-il pour dire l’horreur d’une situation qui continue d’emporter des amis, des parents. « Les Européens ont plus peur de l’État islamique que de Bachar parce que c’est un projet qui les menace… Je les comprends, mais à l’intérieur, c’est Assad qui a tué le plus de monde en bombardant les villes, c’est Assad qui n’a pas vraiment combattu l’EI… » Il pourrait en parler des heures, une étrange lueur dans les yeux – de celles que l’on imagine dans ceux d’un homme debout au milieu d’un champ de ruines.

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