Cyrille Bolloré, au nom du père

À 30 ans, le fils de Vincent Bolloré prend les commandes du navire amiral du groupe français : la branche transport et logistique, qu’il souhaite hisser dans le top 5 mondial d’ici à 2020.

Cyrille Bolloré, vice-président du groupe © BRUNO LEVY/CHALLENGES-REA

Cyrille Bolloré, vice-président du groupe © BRUNO LEVY/CHALLENGES-REA

Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 20 avril 2016 Lecture : 5 minutes.

«Le navire est à l’eau », se réjouit Cyrille Bolloré. Du haut de sa tour en bord de Seine, à Puteaux (près de Paris), le président de Bolloré Transports & Logistics (BTL) présente, ce 30 mars, les contours et la stratégie de cette nouvelle entité réunissant les branches ports, logistique (avec Bolloré Africa Logistics, SDV et Saga), énergie et ferroviaire du groupe Bolloré, détenu à 65 % par la famille éponyme. Décidée en octobre 2014, cette fusion technique est opérationnelle depuis décembre 2015.

« Auparavant autonomes, les différentes filiales portaient toutes le nom de Bolloré mais se faisaient concurrence sur les mêmes terrains. Il y aura désormais un patron par pays, qui supervisera chacun des métiers du groupe », affirme le jeune dirigeant (30 ans), qui inaugure là son premier chantier. Avec son allure de futur cacique du CAC 40, celui que l’on disait timide se plie avec un aplomb certain à l’exercice des explications techniques et chiffrées devant une poignée de journalistes.

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Depuis janvier, le troisième fils de Vincent Bolloré est officiellement aux commandes de ce mastodonte aux 36 000 collaborateurs (dont 24 000 pour l’Afrique). Il est également, depuis 2012, vice-président du groupe chargé des opérations financières et des achats et administrateur de nombreuses filiales. « Son père avait décidé de ça depuis longtemps », note Michel Roussin, ancien ministre français de la Coopération et proche conseiller de Vincent Bolloré, qui chaperonne les débuts de Cyrille à la tête de BTL.

Expérience

Si les incursions de son paternel dans Canal+, Telecom Italia et Mediaset ont été retentissantes, tout comme le lancement de ses véhicules électriques en libre-service à Paris, Turin (Italie), Abidjan, Brazzaville et Indianapolis (États-Unis), c’est bien Cyrille qui détient les clés de la maison Bolloré. Car BTL, c’est 8,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2015 (soit 80 % des revenus du groupe) et 606 millions d’euros de résultat opérationnel. De lourdes charges qui tranchent avec la jeunesse du patron. « L’expérience vient en marchant. Il accueille des visiteurs, il rencontre le personnel, il bouffe des kilomètres en Afrique… On a un président totalement intégré dans ce groupe où toutes les grandes décisions se prennent avec l’aval du père », poursuit Michel Roussin, pour qui « la valeur n’attend pas le nombre des années ».

Après avoir fréquenté les bancs de la Manchester University et de Paris-Dauphine, où il a obtenu un master de management et d’économie, Cyrille Bolloré a commencé sa carrière chez Bolloré Énergie en 2007, en tant que responsable des approvisionnements en fuel domestique. Aujourd’hui, il hérite de la plus belle part du gâteau Bolloré, avec des activités qui s’étendent des métiers du commissionnement (achat en gros de capacités de transport revendues au détail) jusqu’à la construction-gestion de ports et de chemins de fer, en passant par le stockage d’électricité. « L’idée de ce rapprochement était dans l’air depuis longtemps, confie Michel Roussin. Cela crée un vrai pôle de commandement qui facilitera une gestion plus resserrée et plus cohérente, en donnant aux équipes un véritable esprit de corps, comme on le voit dans d’autres groupes. »

Cyrille Bolloré est animé par une autre ambition : devenir un grand opérateur des échanges Sud-Sud en poussant plus loin Bolloré en Amérique latine et en Asie

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Flanqué de Gilles Alix, directeur général du groupe et fidèle bras droit de Vincent Bolloré, le président de BTL explique qu’avec cette nouvelle organisation chaque territoire sera un tremplin pour développer toutes les autres activités qui n’y sont pas présentes et concevoir des solutions intégrées et sur mesure pour les pays. « À partir d’un port, on pourra mieux prévoir les défis en matière de transport ferroviaire et de logistique pétrolière, avec l’idée de créer des corridors pour désenclaver l’hinterland » en allant jusqu’au Tchad, afin de « boucler la boucle », affirme-t-il. Le groupe exploite actuellement trois concessions ferroviaires : Sitarail en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, Camrail au Cameroun et Benirail au Bénin (dont les travaux ont été arrêtés à la suite d’une décision de justice).

Mais au-delà de ces remaniements, Cyrille Bolloré est animé par une autre ambition, dont la réussite pourrait augurer de son avenir après 2022, date du bicentenaire du groupe… et échéance à laquelle son père s’est promis de passer le relais : devenir un grand opérateur des échanges Sud-Sud en poussant plus loin Bolloré en Amérique latine et en Asie (où il possède déjà diverses filiales), pour propulser BTL, d’ici à 2020, dans le top 5 mondial des transports et de la logistique aux côtés des DHL, Schenker, UPS ou Panalpina. Un secteur où les acteurs grossissent de plus en plus et où Bolloré ne joue aujourd’hui « que » parmi les dix premiers.

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L’avenir du groupe

Pour cela, le groupe entend investir entre 360 millions et 450 millions d’euros « dans la croissance », en majeure partie en Afrique, dans les ports, le ferroviaire et dans la modernisation de ses entrepôts. Il regarde de près les grandes plateformes proches des aéroports en Afrique du Sud, au Sénégal et en Côte d’Ivoire, et guette les futurs appels d’offres des ports du Ghana (où il a déjà investi 1 milliard d’euros à Tema), au Nigeria et en RD Congo, en attendant la privatisation de certains ports de l’est du continent et le nouvel appel d’offres de celui de Mombasa (Kenya). Le groupe a remporté en septembre la concession du port en eau profonde de Kribi, au Cameroun (en partenariat avec le français CMA CGM et le chinois CHEC), ainsi que les terminaux de deux îles du Cap-Vert.

Alors que défile derrière lui tout un ballet de Bluebus servant de navettes (électriques) aux employés du siège, Cyrille Bolloré évoque, les yeux qui pétillent, un autre sujet qui semble lui tenir à cœur : les batteries de stockage d’électricité LMP (lithium métal polymère), dans lesquelles 3 milliards d’euros ont déjà été investis. Sur ce créneau, le dirigeant veut « titiller » son concurrent américain Tesla, tout en devenant opérateur d’électricité en Afrique. Objectif : réduire la dépense d’énergie entre les pics de consommation en stockant l’énergie dans les endroits non raccordés. « Avec le stockage d’électricité, un marché gigantesque est en train de s’ouvrir en Afrique, conclut le fils Bolloré. C’est le continent de l’avenir. » Cela sonne comme une profession de foi.

QUATRE HÉRITIERS

Lorsque Vincent Bolloré prendra sa retraite, en 2022, il aura déjà réparti entre ses quatre enfants les charges au sein de l’entreprise (dont il a lui-même pris les rênes en 1980). Cyrille, 30 ans, qui a hérité des transports et de la logistique, est le numéro deux du groupe. Yannick, 36 ans, est PDG de Havas, sixième agence mondiale de communication. Installé à Los Angeles, Sébastien, 38 ans, s’occupe du développement de Blue Solutions (stockage d’électricité) et des véhicules électriques. Un domaine qu’il partage avec Marie, 27 ans, par ailleurs administratrice de la banque d’investissement italienne Mediobanca.

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