Côte d’Ivoire : une affaire de familles (3/3)
À présent, les puissantes familles ivoiriennes constituent une « caste » qui semble être un passage obligatoire pour quiconque aspire à accéder au pouvoir ou à s’y maintenir. L’entrelacement de leurs liens est si complexe que le malheur des uns peut aisément faire celui des autres… Fin de notre enquête sur les famille du pouvoir en Côte d’Ivoire.
Côte d’Ivoire : une affaire de familles
Houphouët-Boigny, Bédié, Yacé, Thiam, Donwahi, Ekra, Gon Coulibaly, Diabaté, Billon, Dacoury-Tabley… Enquête sur ces dynasties qui dirigent le pays depuis plus de soixante ans.
Si l’ancien président a semblé, du moins au départ, vouloir s’éloigner du fonctionnement mis en place par FHB, il s’en est finalement toujours servi. Certes, sous son règne ont émergé un Guillaume Soro (président de l’Assemblée nationale) et un Hamed Bakayoko (ministre de l’Intérieur), mais il a aussi noué en parallèle des liens avec certains barons du PDCI.
Durant ses deux quinquennats, Gbagbo pioche une bonne partie de ses collaborateurs dans ce sérail qui a su traverser les époques et les gouvernements sans faillir.
L’ex-chef de l’État aujourd’hui en procès à La Haye comptait ainsi parmi ses amis Charles Konan Banny, qui dirigea son gouvernement et fut le gouverneur de la BCEAO (et dont le frère, Jean, avait été titulaire du portefeuille de la Défense sous FHB). Anciens ministres, conseillers spéciaux, hommes et femmes d’affaires… Les Banny occupent le paysage politico-économique depuis l’indépendance.
L’amitié fraternelle entre Charles et Laurent Gbagbo était née au Lycée classique d’Abidjan dans les années 1960, où ils jouaient dans la même équipe de football. Charles Konan Banny sera l’un des généreux contributeurs du Front populaire ivoirien (FPI).
Durant ses deux quinquennats, Gbagbo pioche une bonne partie de ses collaborateurs dans ce sérail qui a su traverser les époques et les gouvernements sans faillir. Illa Donwahi (qui l’appelait « papa ») entre au conseil de gestion de la filière café-cacao. Alice Marie Kacou, autre conseillère du « boulanger d’Abidjan », est la fille d’un ministre du premier gouvernement d’Houphouët-Boigny et la petite sœur de Roger Kacou, grand ami d’Alassane Dramane Ouattara (ADO) et ministre du Tourisme dans l’équipe actuelle de Daniel Kablan Duncan…
Loin de mettre fin au système, ADO, ancien et unique Premier ministre de FHB, fort de son alliance avec le PDCI, renoue avec lui dès son arrivée au pouvoir, en 2011. Quand bien même certains de ses alliés jugent cette « caste » hautaine et dédaigneuse et bien qu’il s’attache à promouvoir de nouveaux profils… Un vrai numéro d’équilibriste !
Fidélité récompensée
Francis Akindès résume : « Les familles restées fidèles à Bédié et à Ouattara sont récompensées. Leurs héritiers sont cooptés à des postes importants, tels un Thierry Tanoh [ministre et secrétaire général délégué de la présidence, ex-directeur général du groupe panafricain Ecobank] et un Jean-Louis Billon [ministre du Commerce], très proches de Bédié [le premier étant son filleul], ou un Alain Donwahi, ministre de la Défense, filleul de Seydou Diarra [président de la Haute Autorité pour la bonne gouvernance], lui-même intime de Ouattara… »
Bédié a placé son propre fils, Jean-Luc, aujourd’hui conseiller chargé des banques et des marchés financiers à la présidence. Quant aux quinquas Tanoh et Billon, ils se connaissent déjà très bien : mariés aux filles de Charles Gomis, ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, ils se croisent aux repas de famille.
Si l’influence de certaines lignées a pu fluctuer en fonction des affinités politiques, elle n’a jamais vraiment disparu, preuve qu’elle a su s’affranchir, en quelque sorte, de la mainmise du chef qui pouvait décider de son sort. Le clan Gon Coulibaly en est une parfaite incarnation. Amadou Gon est l’actuel tout-puissant secrétaire général de la présidence.
Cette famille régnante de Korhogo (Nord) proche de FHB et dont Péléforo, le chef coutumier mort en 1962, était l’illustre patriarche, aurait pu être affectée par la chute d’Issa Malick Coulibaly, l’oncle d’Amadou. Directeur de campagne de Laurent Gbagbo en 2010, il avait dû fuir le pays avec d’autres « barons » du FPI. Il n’en fut rien, bien au contraire. Militant des premières heures du RDR en 1994, maire de Korhogo depuis 2001, ministre de l’Agriculture entre 2002 et 2010, Amadou Gon Coulibaly a toujours su mener sa barque.
D’autres membres de la famille sont en bonne posture. Son cousin Amadou Coulibaly – dit Am’s – dirige les services de renseignements extérieurs à la présidence. Et Ibrahim, son petit frère, appartient au Groupe de sécurité du président de la République.
Autre feuilleton familial intimement mêlé à l’histoire récente : Louis-André Dacoury-Tabley, le ministre des Eaux et Forêts d’ADO, a probablement été l’un des plus proches amis de Laurent Gbagbo, au point d’avoir été un temps (au milieu des années 1990) le numéro deux du FPI. Mais ils se sont fâchés, et l’homme a rejoint la rébellion et le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI).
« J’ai perdu un frère », dira Dacoury-Tabley au début des années 2000, en parlant du président. Son frère Paul, évêque de Grand-Bassam, tentera de le dissuader de poursuivre dans cette voie. En vain. Son autre frère Benoît (qui fut l’un des médecins personnels de Gbagbo), le paiera de sa vie. L’aîné de la fratrie, François, ancien maire de Gagnoa, ex-ministre d’Houphouët, quittera lui le PDCI-RDA pour rallier le FPI de Gbagbo… Tandis que Philippe-Henri, ancien gouverneur de la BCEAO, a été condamné en 2015 à cinq ans de prison pour « troubles à l’ordre public » lors de la crise post-électorale…
C’est ainsi : patrie et familles sont si liées que l’histoire de l’une bouleverse bien souvent celle des autres. À moins que ce ne soit l’inverse.
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