Reportage : dans le ventre doré du Mali

À la frontière du Sénégal, le complexe aurifère géant de Loulo-Gounkoto a transformé la vie de Randgold, son exploitant, et de l’État, mais aussi celle des populations locales.

Le complexe fonctionne jour et nuit, toute la semaine.                         Une salle à manger a même été installée dans les galeries. © BABA AHMED POUR J.A.

Le complexe fonctionne jour et nuit, toute la semaine. Une salle à manger a même été installée dans les galeries. © BABA AHMED POUR J.A.

Publié le 21 septembre 2016 Lecture : 9 minutes.

Jeudi 3 mars 2016, 5 h 30 du matin. Alors qu’il fait encore sombre et que les projecteurs sont toujours allumés, une cinquantaine de travailleurs s’apprêtent à relever leurs collègues de nuit, quelque part à l’extrême ouest du Mali, près de la frontière sénégalaise.

Avant de pénétrer dans les entrailles de la terre, ils se réunissent dans la grande salle où, chaque matin, ils reçoivent les dernières informations concernant les incidents qui ont eu lieu au plus profond du site et se voient rappeler les consignes de sécurité en vidéo.

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« Ils sont conscients que négliger des dispositifs sécuritaires est susceptible d’entraîner un renvoi direct », tempère Mohamed Cissé, 29 ans, coordinateur des deux mines souterraines les plus importantes de Randgold à Loulo : Gara et Yalea.

Une immense porte ouvrant sur un tunnel marque l’entrée du gisement. Deux gros engins de chantier peuvent s’y croiser sans se toucher. Casquette sur la tête et torche sur le front, Mohamed Cissé semble à l’aise, comme la plupart des travailleurs dans ce sous-sol. « On va entrer dans le souterrain en voiture. Ne vous inquiétez pas, nous sommes là depuis onze ans et il n’y a jamais eu de problème », lance-t-il avec un large sourire.

Dans cette galerie, de gros engins vont et viennent, transportant les minerais vers la surface tandis que d’autres aménagent de nouveaux tunnels. « Sous terre, tout le travail ou presque est mécanique. Certaines machines creusent de nouvelles galeries, d’autres percent les pierres où sont placés les explosifs qui permettront de récupérer les minerais », explique le Malien, formé en Afrique du Sud grâce à une bourse de son employeur.

Dans ce complexe industriel, le travail ne s’arrête jamais.

Partout, des pompes remontent l’eau du sous-sol afin de permettre la circulation dans les galeries. « Nous sommes à 500 mètres de profondeur, c’est l’eau de la nappe phréatique », souligne Chiaka Berthe, chef des opérations pour l’Afrique de l’Ouest de Randgold.

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Soudain, le groupe s’arrête devant une pièce en fer : « Ici, les opérateurs pilotent à distance les engins lourds dans les zones à risques », précise fièrement Mohamed Cissé. Des cabines de sécurité capables d’accueillir vingt personnes sont installées un peu partout dans les galeries : en cas d’effondrement, les employés pourront s’y réfugier. Les tunnels sont refroidis par de puissants ventilateurs qui ramènent l’air de l’extérieur via des tuyaux en plastique suspendus dans les toits des galeries.

Dans ce complexe industriel, le travail ne s’arrête jamais. Le site fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Pour que les employés restent sur place le plus possible, une salle à manger de cinq mètres de long sur trois de large a été aménagée sous terre. « Les mineurs n’ont plus besoin de remonter à la surface pour manger, c’est le repas qui vient à eux », s’enthousiasme Mohamed Cissé.

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Au fond de la galerie, une équipe d’Australiens perfore les pierres pour les préparer à recevoir les explosifs. Chiaka Berthe s’arrête un moment et observe : « Regardez ces traces jaunes, c’est « l’or du fou ». On pourrait penser que c’est de l’or à première vue, mais non. À Loulo, chaque tonne de minerai a une teneur de 4 grammes ou plus d’or, ce qui est largement supérieur à la moyenne », se félicite Chiaka Berthe, géologue de formation et ancien directeur général des mines de Loulo-Gounkoto, qui travaille pour Randgold depuis vingt ans.

Loulo et Gounkoto, qui rassemblent plusieurs gisements souterrains et une mine à ciel ouvert, sont une manne céleste pour Randgold. En 2015, 4,5 millions de tonnes de minerais en ont été extraites, 630 627 onces d’or ont été vendues pour un revenu de 724,2 millions de dollars (près de 680 millions d’euros) et 298,4 millions de dollars de profits. Avec un coût de production de 674 dollars l’once, la mine est l’une des plus rentables au monde et elle a résisté sans grande difficulté à la baisse du cours de l’or, passé de 1 900 dollars l’once en septembre 2011 à 1 050 dollars fin 2015.

Pour Randgold, juridiquement basé à Jersey mais fondé par des Sud-Africains, le Mali est un pays stratégique : si le groupe est désormais également actif en RD Congo (à Kibali), en Côte d’Ivoire (à Tongon), ainsi qu’au Sénégal, il a tiré plus de la moitié de ses revenus du pays sahélien en 2015. Avant Loulo, dont l’exploitation a commencé en 2005, c’est Morila, une autre mine exceptionnelle située au sud-est de Bamako, qui a fait la joie du groupe. Ouverte en 2000, cinq ans après la naissance de Randgold, elle a rapporté plus de 2 milliards de dollars à ses actionnaires. Désormais en fin de vie, elle devrait bientôt fermer définitivement.

Malgré ses dix années d’existence, Loulo-Gounkoto est, à l’inverse, en pleine jeunesse.

Malgré ses dix années d’existence, Loulo-Gounkoto est, à l’inverse, en pleine jeunesse. L’exploitation devrait durer jusqu’en 2029 grâce à ses gisements Loulo II, Loulo III, Baboto, P125 et P129, encore intouchés. « Nous comptons produire 700 000 onces cette année, pour un coût de production de 650 dollars l’once, contre 674 l’année dernière », annonce Tahirou Ballo, directeur du complexe Loulo-Gounkoto, qui rappelle que même la guerre au Mali n’a pas entamé l’activité. « Nous n’avons pas souffert de la crise. Nous avons travaillé normalement et avons produit 580 000 onces d’or en 2013. »

À la surface, le soleil commence à se lever. Un halo de poussière permanent enveloppe le site géant construit sur 30 km2. À l’est de la mine s’élève la cité des travailleurs, maliens notamment. À côté se tient celle des expatriés, et les appartements pour visiteurs bordent un bras du fleuve Falémé.

La piste d’atterrissage pour petits avions sépare les logements des bureaux de la société et de la clinique destinée aux employés. La plupart des déplacements à l’intérieur du complexe se font en voiture ou en moto à quatre roues en circulant sur une voie goudronnée de cinq kilomètres. Pour garder la forme, les miniers disposent d’une salle de gym et de deux terrains de foot gazonnés. « Lorsque nous avons commencé, en 2005, il n’y avait rien de tout ça, juste une forêt où l’on pouvait être dévoré à tout moment par des lions », se rappelle Chiaka Berthe. Sur les 4 000 personnes travaillant à Loulo-Gounkoto, une centaine sont étrangères. Parmi elles, on trouve des Sud-Africains, des Australiens, des Philippins, des Marocains, des Canadiens et des Zimbabwéens.

Devant le site de transformation du minerai, les employés habillés en bleu et blanc attendent en file, badge électronique à la main. « Dans notre usine, nous utilisons deux techniques de récupération de l’or. La première est la gravimétrie, qui consiste à extraire l’or du minerai avec de gros tamis. La seconde est appelée cyanuration ou hydrométallurgie, et revient à extraire de l’or de la roche avec du cyanure », détaille Ibrahima Siby, 40 ans, directeur adjoint de l’usine, entré chez Randgold il y a seize ans.

Alors que les minerais de Gounkoto, situé à une trentaine de kilomètres de l’usine, sont acheminés par camions, ceux de Gara et de Yatela arrivent par des convoyeurs longs respectivement de 2 km et 6 km. Après une phase de concassage, visant à réduire la taille des pierres, vient le brouillage, à travers un énorme moulin suspendu. « Le minerai y est traité avec de l’eau, puis de grosses boules d’acier de 100 mm sont ajoutées pour le transformer en boue avant qu’il passe par deux moulins de rebrouillage, détaille le directeur adjoint. À partir de là, nous commençons à récupérer l’or en utilisant la gravimétrie. » Le minerai est ensuite soumis à l’hydrométallurgie.

Ici, les panneaux signalent le danger lié à la présence de cyanure. « C’est un poison, mais son utilisation dans les usines et son traitement après usage n’ont aucun effet négatif sur les travailleurs », assure Ibrahima Siby. Une forte odeur s’échappe d’une énorme cuve. « La boue envoyée arrive dans ces cuves de 2 500 m3. Elle y est mélangée avec de la chaux, du cyanure et de l’oxygène afin d’isoler l’or de la boue », résume le directeur adjoint. Ce mélange sert à capturer l’or présent dans le charbon actif sous forme de granules, lequel est à son tour recueilli dans un réceptacle de 12 tonnes. L’or, libéré ensuite du charbon actif, atterrit dans la chambre où sont fabriqués les lingots.

« Nous traitons 600 tonnes de minerais par heure, soit 385 000 tonnes de minerais par mois et 4,6 millions de tonnes par an », affirme Ibrahima Siby. De puissants générateurs fournissent au site minier l’équivalent de la moitié de ce que consomme Bamako en électricité. Les boues contenant les produits chimiques sont traitées avant de servir de remblais pour les galeries dont l’exploitation est terminée ou d’être envoyées via de longs tuyaux dans une vaste retenue d’eau où elles sont filtrées. « Nous avons placé ce barrage à 8 kilomètres de l’usine afin d’éviter tout débordement dans le fleuve Falémé en cas d’accident », indique Hilaire Diarra, responsable de l’environnement et des projets communautaires.

Mais que rapporte vraiment au Mali et à son économie ce complexe éloigné de tout ?

Mais que rapporte vraiment au Mali et à son économie ce complexe éloigné de tout ? En dehors des 4 000 personnes employées, Randgold affirme avoir versé en impôts et dividendes (l’État est actionnaire des sociétés d’exploitation) un peu plus de 250 millions de dollars en 2012, environ 220 millions en 2013 et 150 millions en 2014.

Le groupe souligne aussi l’effet d’entraînement créé par son activité sur les nombreux sous-traitants et rappelle qu’à Loulo 80 % de la nourriture provient de fermes locales.

« La société a construit un centre de santé, une école, une mosquée, et a fait venir des petites structures de microfinance. C’est très bien, mais il faut donner davantage de travail à nos enfants », insiste Mokontafe Sissoko, le chef du village de Djidian, le plus proche de l’usine.

Le groupe affirme avoir déboursé 2,1 millions de dollars dans des projets communautaires en 2015, notamment pour financer une école qui forme les villageois à l’agriculture, à l’élevage et à la pêche. Elle a ouvert ses portes au mois d’octobre et elle accueille 60 élèves venant de deux villages voisins du complexe industriel. Chaque mois, Randgold rencontre les villageois pour parler des projets communautaires et écouter d’éventuelles plaintes.

La situation n’est toutefois pas totalement idyllique.

La situation n’est toutefois pas totalement idyllique. Comme c’est souvent le cas lors des booms miniers, le coût de la vie a bondi. « Avant l’arrivée de l’usine, notre activité était fondée sur l’agriculture et l’orpaillage seulement, et le village comptait quelques centaines de personnes. Depuis, beaucoup de gens venus d’un peu partout sont arrivés. La vie est devenue chère pour les villageois, et la récolte ne suffit plus », déplore Mokontafe Sissoko.

« La mine paie des médicaments pour le centre de santé, des fournitures scolaires pour les enfants, des tracteurs pour les associations villageoises, admet Mamadou Fadiga, le maire adjoint de la commune de Sitakly. Cependant, la poussière générée par l’usine nous dérange énormément. J’espère que la société va trouver une solution tout comme elle a su en trouver une au problème que la boue causait aux villages voisins il y a quelques années. »

Randgold favorise aussi la discussion avec l’État, qui lui réclame pourtant environ 300 millions de dollars de taxes supplémentaires. Randgold, qui estime ces demandes infondées, a lancé à la mi-2013 une procédure contre le Mali auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi), dépendant de la Banque mondiale. Mais le groupe ne souhaite pas envenimer la situation.

« Le différend avec l’État porté à l’arbitrage international ne concerne que Loulo, insiste Mahamadou Samaké, directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest de Randgold. C’était un malentendu durant la transition [après le coup d’État de 2012], mais fin février le gouvernement a indiqué qu’il souhaitait régler l’affaire à l’amiable. » Et d’ajouter : « Nous avons posé comme condition que toutes les autres affaires soient réglées à l’amiable également et nous étudions la façon dont nous devons travailler ensemble. »

Les orpailleurs traditionnels inquiètent la mine industrielle

Autre sujet d’inquiétude pour le groupe : les orpailleurs, qui envahissent de temps à autre le complexe industriel et exploitent même le gisement Loulo II, utilisant du mercure, un produit prohibé, dans la commune de Sitakly. Sur ce dossier, Randgold fait profil bas. « Nous sommes conscients de la situation, mais nous préférons régler le problème à l’amiable. Nous ne voulons pas que le cas de Marikana se reproduise », prévient Mahamadou Samaké. Dans ce village sud-africain, 34 miniers avaient été tués par la police en août 2012, provoquant un choc considérable dans tout le pays. Figure du succès aurifère du Mali, Randgold tient à éviter tout drame.

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