Présidentielle au Gabon : « Game of Thrones », sauce nyembwe
Ce devrait être un grand moment de démocratie et de débats. Un cycle éphémère mais ô combien fécond au cours duquel les citoyens comparent, écoutent, interrogent et se forgent un avis sur la base d’un projet politique ou de société.
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 11 juillet 2016 Lecture : 3 minutes.
Réfléchissent à leur avenir en se retournant sur le chemin parcouru. Examinent objectivement ce qui fonctionne et ce qui représente un frein à l’essor du pays. Voilà à quoi devrait ressembler la campagne présidentielle gabonaise, qui, si elle n’est pas encore officielle, a bel et bien débuté. En lieu et place, une tragicomédie d’un goût douteux, sorte de « Game of Thrones » à la sauce nyembwe, où tous les coups sont permis, où toutes les armes sont brandies, surtout les plus viles.
La conquête du Palais du bord de mer fait tourner les têtes. Premiers et seconds rôles changent sans cesse de camp, multipliant alliances éphémères avec ceux qu’ils détestaient naguère et trahisons amères. Les adversaires et concurrents d’Ali Bongo Ondimba (ABO), et ils sont nombreux, auraient pu s’attaquer à son bilan ou à sa gouvernance, critiquer les résultats obtenus, la stratégie employée, les méthodes utilisées, le casting d’un septennat qui s’achève. Proposer une alternative dûment consignée dans des programmes politiques élaborés. Réclamer des débats télévisés ou radiophoniques pour ferrailler sur le champ de bataille des idées. Cela aurait pu être une noble conquête, nourrie de nobles idéaux.
Un sordide déversement de fiel et de haine
Nous n’avons droit, depuis de longues semaines maintenant, qu’à un sordide déversement de fiel et de haine. ABO n’est résumé qu’à ses origines « douteuses », sa filiation remise en question sur la base d’un vulgaire pamphlet mal écrit et ne reposant que sur des rumeurs courageusement colportées par des anonymes ou des aigris de la famille Bongo qui n’ont pas trouvé place au banquet (Nouvelles Affaires africaines, de Pierre Péan). Le tout sur fond de détestable xénophobie et d’incitations à la haine. On entend les mots « cafards », « génocide » ou « guerre civile » prononcés par des personnes que l’on croyait responsables et pondérées. On assiste médusés à des meetings où l’on chauffe des jeunes à blanc pour en faire de véritables bombes à retardement.
Enfin, le fils d’Omar est abonné par ses détracteurs – au Gabon comme, curieusement, en France – à la rubrique « faits divers » : palais et avion saisis, directeur de cabinet placé en garde à vue à Paris, « biens mal acquis », retranscription d’écoutes téléphoniques liées à l’affaire Tomi qui fuitent subtilement dans la presse, plainte en reconnaissance de paternité d’une mystérieuse jeune fille aussi subitement disparue qu’elle est entrée en scène… Bref, ça vole haut.
Que peut comprendre aujourd’hui un électeur, à quelques semaines du scrutin du 27 août ?
Décidément, le Gabon ne changera jamais. Sa classe politique en tout cas. Que peut comprendre aujourd’hui un électeur, à quelques semaines du scrutin du 27 août ?
Que les mêmes, toujours les mêmes depuis des lustres, se disputent le pouvoir (et le gâteau), empêchant l’émergence de figures qui incarneraient le renouvellement générationnel des élites politiques. Que ce pouvoir que tout le monde convoite n’a pas pour vocation de servir l’intérêt général mais au contraire de permettre de s’affranchir des règles et des lois pour s’enrichir. Que l’opposition, depuis le décès de Pierre Mamboundou, n’est plus qu’un inextricable écheveau de personnalités et d’ego vieillissants dont les seuls dénominateurs communs sont leur « omarophilie » et leur « aliphobie ». Que nombre de ses politiciens, tous bords confondus, disposent de biens et de moyens semble-t-il inépuisables, ce qui pose forcément question…
Bref, le Gabon et les Gabonais, qui attendent surtout qu’on leur parle eau, électricité, logements, écoles et universités, hôpitaux ou emploi, méritent mille fois mieux que ce triste barnum politicien auquel ils sont contraints d’assister. Il est grand temps que leurs « grands quelqu’un » s’en rendent compte.
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