Olivier Poivre d’Arvor : « S’il existe un pays qui peut montrer l’exemple, c’est bien la Tunisie »
C’est un homme de culture qui, à partir du 10 septembre, assumera la fonction d’ambassadeur de France à Tunis. Son objectif : accompagner le pays dans sa transition démocratique. Rencontre.
Il arrivera à Tunis en ferry, accompagné de sa fille, Faïza, et enfilera son costume d’ambassadeur le 10 septembre. Homme de culture et de réseaux, Olivier Poivre d’Arvor, 58 ans le 30 juillet, succédera à François Gouyette, en poste depuis 2012. « OPA » fut pendant plus de dix ans le maître d’œuvre de l’Association française d’action artistique (Afaa) (devenue CulturesFrance puis l’Institut français), à laquelle il insuffla une dynamique très africaine.
Un temps directeur de la radio France Culture (2010-2015), cet écrivain chargé de défendre l’attractivité culturelle de la France est plus familier des rencontres entre artistes que des questions de sécurité. À Toulouse, il a créé en 2005 la manifestation littéraire Le Marathon des mots. Nous lui en avons proposé quelques-uns, voici ses réactions.
Enfance
« Solitaire, peuplée de livres et d’envies de parcourir le monde… À 12 ans, j’ai acheté une grande carte que j’ai installée dans le couloir de l’appartement de mes parents, à Reims, et pendant longtemps il n’y eut de petites épingles à tête de couleur que sur les Pays-Bas et l’Espagne. Mon obsession était de pouvoir en mettre partout. Si j’avais besoin de sortir du contexte français, c’est en partie dû, je crois, à des ascendances qui nous sauvaient d’une forme de petite bourgeoisie bretonne traditionnelle. Pierre Poivre était une figure de la conquête des épices au XVIIIe siècle. Il fut “intendant des Isles de France et de Bourbon”. J’en étais assez fier et j’avais envie de marcher sur ses brisées… »
Écriture
« C’est ma seule vraie double vie. Il y a d’un côté l’exercice d’une mission dans la cité, une passion pour l’espace politique, la négociation, le dialogue, mais ça ne marcherait pas sans le double de l’écriture qui me renvoie à moi-même. Créer uniquement à partir de soi, à partir de complexes, de fantasmes, de tout un matériau humain que j’adore triturer tout seul en dehors de mes heures de bureau. »
Fraternité
« Elle n’est pas nécessairement génétique. Je compte quelques personnes importantes dans ma vie et je peux dire [du cinéaste mauritanien] Abderrahmane Sissako : “C’est mon frère.” Ce n’est pas une formule africaine, nous vibrons l’un et l’autre à l’unisson de nos vies. Quant à mon frère Patrick, il est devenu mon frère quand j’avais 20 ans – il y a onze ans d’écart entre nous et c’est seulement tardivement qu’on a décidé d’être frères. La fraternité, c’est aussi les messages de tous les auteurs que j’aime, Antoine de Saint-Exupéry, Albert Camus, et c’est ce qui me fait apprécier la différence. J’ai presque toujours vécu avec des femmes étrangères et ce n’est pas par hasard ni par passion particulière pour l’exotisme, mais parce que j’aime entendre un autre point de vue, une autre langue, une autre religion. Ce court séjour qu’est la vie vous propose deux options : soit la guerre, soit la fraternité. »
Paternité
« “Aut liberi, aut libri” [soit des enfants, soit des livres], disait Nietzsche. Très longtemps, j’ai cru que la paternité des livres suffirait et, apprenant que j’étais stérile, je me suis retrouvé face à une réalité que j’ai eu envie de transformer en chance. J’ai compris que mes enfants n’auraient pas forcément la même couleur que moi et que je me reconnaîtrais à travers eux autrement qu’à travers la ressemblance physique. L’idée qu’une Peule musulmane porte le nom de Poivre d’Arvor me plaît énormément. Avec Faïza, je suis enfin sorti de moi-même. Si le diable arrivait et me disait : “Il faut choisir entre vous et votre fille”, je n’hésiterais pas. C’est une capacité de sacrifice que je ne connaissais pas. »
Diplomatie
« Je l’ai découverte en 1988, en Égypte, puis à Prague et Londres, avec des figures d’ambassadeurs comme Alain Dejammet ou Jean Guéguinou. La rencontre avec Hubert Védrine, que j’appelle toujours fréquemment, a été déterminante. Il m’a nommé à la tête de l’Association française d’action artistique, où je suis resté dix ans. J’ai découvert ce que c’était que la realpolitik et ce ministère des Affaires étrangères dont l’objet est magnifique dès lors que les ambassadeurs sont courageux. J’ai été intégré au Quai d’Orsay comme ministre plénipotentiaire en 2004, ce qui normalement vous conduit à être ambassadeur tout de suite… Cette année, je n’avais qu’une destination en tête, parce que je pense être capable de remplir la mission : c’était Tunis. »
Institut français
« Il y a désormais une unité qui fait que le siège parisien porte le même nom que les boutiques à l’étranger. Ceux et celles qui m’ont succédé ont fait un travail exceptionnel, mais avec des moyens réduits. Il faudrait afficher une ambition plus grande sur le plan budgétaire. La formation, l’éducation, les bourses, c’est capital. Pourtant, je n’ai pas réussi à convaincre les politiques de s’arrêter cinq minutes pour réfléchir à ce marché de 500 millions de locuteurs qui représente un enjeu énorme. La Francophonie est un projet magnifique. Il faut montrer aux gens qu’il existe une réalité francophone, ce que l’on va essayer de faire avec le grand tour “Voyage en Francophonie” que va lancer [le secrétaire d’État] André Vallini à l’automne. »
Tunisie
« C’est d’abord une affaire ancienne d’auteurs que j’ai pu lire, de cinéastes, de culture au sens large, d’Histoire, et un pays découvert à 20 ans. Après, il y a eu les amitiés avec des photographes, des réalisateurs, des producteurs, des gens qui faisaient le pont entre Paris et Tunis. En 2011, à Radio France, nous avons été la première radio occidentale à faire une matinale en direct de Tunis, deux jours après le départ de Ben Ali. Et nous avons fait de même après l’attentat du Bardo. La Tunisie, c’est la bonne nouvelle de la région : révolution, écriture d’une Constitution, organisation d’élections libres et transparentes, réformes… Il reste beaucoup de grain à moudre, notamment sur les questions de sécurité et avec notre ambassade en Libye [fermée depuis juillet 2014], dont j’imagine qu’un jour elle rejoindra Tripoli. »
Ambassadeur
« Un ambassadeur est un chef d’équipe, et il peut se reposer sur de très grands professionnels. Je travaille avec les services compétents en matière de sécurité depuis quelque temps, et ce sera pour moi une priorité. Ce dont la Tunisie a besoin, ce n’est pas tant de financements supplémentaires, mais plutôt de pouvoir poursuivre ses réformes. S’il existe un pays qui peut montrer l’exemple, c’est bien celui-là, et même de manière relativement rapide. Je suis aussi frappé par le nombre de gens qui, en France, ont envie de faire quelque chose avec la Tunisie, et j’aimerais trouver un mécanisme qui leur permette de s’engager en faveur de cette transition démocratique. »
Il y a une infime minorité de Tunisiens qui pensent que Ben Ali c’était mieux
Ben Ali
« Cette période est terminée. Ce qu’avait fait Bourguiba en matière d’éducation s’est perdu sous Ben Ali. On ne peut pas regretter cette révolution. Peut-être que les Égyptiens s’interrogent sur le résultat de la leur, mais je crois qu’il n’y a qu’une infime minorité de Tunisiens qui pensent que Ben Ali c’était mieux que le président Essebsi. Il fallait en passer par là. À l’ambassade, François Gouyette a replacé la France dans un rapport respectueux, ni arrogant ni complice, ouvert sur le champ politique, recevant l’ensemble des responsables sans en diaboliser aucun. »
François hollande
« Sur le domaine que je connais, celui de l’action diplomatique, il s’est toujours montré à la hauteur dans des moments compliqués comme les crises européennes et africaines, sans paternalisme aucun. On nous ressert régulièrement la Françafrique, mais je ne pense pas que les interventions au Mali ou en Centrafrique soient jugées excessives. »
Devoir de réserve
« Je pense que ça ne sert à rien de dire à voix haute, à tout le monde, ce que l’on pense, mais il faut vraiment pouvoir le dire aux gens qui sont capables de vous entendre. »
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