Centrafrique – Faustin-Archange Touadéra : « Il n’y aura pas de chasse aux sorcières »
Le nouveau président n’a qu’un mot à la bouche : le dialogue. Avec les groupes armés comme avec les anciens maîtres de Bangui, même si, insiste-t-il face aux journalistes de Jeune Afrique, cela n’empêchera pas la justice de faire son travail.
L’homme simple qu’est Faustin-Archange Touadéra découvre les fastes de la fonction présidentielle. Ce 18 juillet après le dîner, c’est dans une suite du tout nouvel hôtel Marriott de Kigali que le chef de l’État centrafricain nous reçoit.
Élu en février dernier à la surprise générale, il vient de participer à son premier sommet de l’Union africaine (UA). Un moment fort, presque émouvant : c’est la première fois depuis trois ans et le coup d’État de Michel Djotodia qu’un leader centrafricain est autorisé à siéger au sein de l’organisation panafricaine. « Pour nous, c’est une fierté de pouvoir retrouver notre place, notre droit de vote et de parole au sein de cette grande famille », résume Faustin-Archange Touadéra, 59 ans.
Depuis le début du mois de juillet, différentes factions de l’ex-Séléka se déchirent pour des questions de leadership, et celui qui fut décrit, sous François Bozizé, comme un Premier ministre effacé doit désormais montrer qu’il ne cédera pas à la pression des armes.
L’ancien recteur de l’université de Bangui semble, pour l’instant, bénéficier de la bienveillance de ses concitoyens, et, ces dernières semaines, c’est contre son Premier ministre, Simplice Sarandji, que s’est concentré l’essentiel des critiques. Décrit comme trop impulsif, colérique, celui qui fut son directeur de cabinet à la primature s’est mis à dos une bonne partie de la classe politique centrafricaine.
Le président lui accorde-t-il encore toute sa confiance ? « Comment voulez-vous juger de la capacité d’un gouvernement en si peu de temps ? » objecte Touadéra. Rencontre avec un président pas comme les autres, qu’un emploi du temps chargé n’empêche pas, de temps à autre, de continuer à donner des cours de mathématiques à l’université.
Jeune Afrique : Vous avez achevé début juillet vos cent jours à la tête de la Centrafrique. Êtes-vous satisfait de l’évolution du pays depuis votre accession au pouvoir ?
Faustin-archange touadéra : Bien entendu, il reste des attentes à combler et des situations difficiles à gérer, comme le désarmement ou la réforme du secteur de la sécurité. Mais la Centrafrique est aujourd’hui revenue dans l’ordre constitutionnel et les Centrafricains ont clairement indiqué qu’ils voulaient la paix. Ils ont un président qui a été bien élu et une Assemblée nationale qui fonctionne.
Vous avez affiché une certaine fermeté face aux groupes armés. En avez-vous les moyens ?
Dès ma prise de fonctions, j’ai invité tous les responsables des groupes armés pour partager avec eux ma vision du désarmement. Beaucoup étaient d’accord avec moi. J’ai mis en place une structure, au niveau de la présidence, chargée du désarmement, de la démobilisation et de la réinsertion [DDR] pour montrer que c’est une priorité de mon mandat. Ce sujet est central, car on ne peut pas parler de redressement et de développement si nous n’avons pas la paix et que les armes circulent. Je leur lance une invitation au dialogue et à l’adhésion au processus de DDR.
Les violences ont pourtant repris début juillet…
C’est un processus difficile qui vient tout juste d’être entamé. Il y a quelques jours, nous avons invité les groupes armés à désigner leurs représentants. Ce processus a été élaboré avec la communauté internationale, avec des experts centrafricains et avec les groupes armés, qu’il faut prendre le temps d’écouter. Certains ont des propositions pour faire avancer les choses.
En Centrafrique, les armes ont toujours été un moyen d’accès au pouvoir. Ce temps est-il révolu ?
Je le pense. Du moins en ce qui me concerne. La violence ne peut pas continuer. Les Centrafricains n’en peuvent plus. On ne doit plus revenir aux armes.
Faut-il dialoguer avec tout le monde ? Même avec Noureddine Adam, l’ex-numéro deux de la Séléka, que de nombreux Centrafricains voudraient voir arrêté ?
J’ai vu Noureddine Adam au Tchad avant mon élection. Nous allons continuer à discuter et à échanger. Mais ce dialogue n’empêche pas que la justice fasse son travail.
Comptez-vous intégrer dans l’armée des membres des groupes armés ?
Ceux qui remplissent les critères seront intégrés pour respecter l’équilibre régional.
J’ai dit au président François Hollande que j’étais déçu du départ de Sangaris
Craignez-vous que le départ de la force française Sangaris ait des conséquences sécuritaires ?
J’ai fait connaître au président français, François Hollande, ma déception face à cette décision [annoncée le 13 juillet], mais c’est ainsi. Nous avons formulé des requêtes pour que le mandat de la Minusca [la Mission des Nations unies en Centrafrique] soit renforcé afin de tenir compte de ce nouvel environnement sécuritaire et pour que le retrait de Sangaris ne déséquilibre pas les structures actuelles.
Où en sont les enquêtes sur les accusations de viols contre l’armée française et la force de l’ONU ?
C’est une question primordiale pour nous, Centrafricains. Les faits ont été commis sur notre sol, contre nos compatriotes. Pour le moment, nous ne sommes pas informés des procédures et c’est inacceptable. Nous souhaitons qu’il y ait une vraie coopération avec la France et voulons être associés aux enquêtes, qui doivent aller plus vite. La justice doit être rendue.
Que pouvez-vous nous dire des prospections pétrolières qui ont lieu dans le nord de la Centrafrique ?
Nous savons que des sociétés chinoises travaillent dans ces zones. L’État devrait être en mesure d’assurer leur sécurité, mais cela n’est malheureusement pas le cas, puisqu’il n’est pas présent [la sécurité est assurée par des éléments d’une des factions de l’ex-Séléka]. C’est un problème que nous devons régler.
Comptez-vous renégocier le contrat qu’elles avaient signé avec le régime de l’ancien président Bozizé ?
Je n’ai pour le moment pas assez d’éléments pour le dire. Nous allons étudier ces contrats et nous prononcer.
Concrètement, dans quel état sont les finances de la Centrafrique ?
Nous sommes en difficulté. Vous savez bien que le conflit a sapé les bases de notre économie. Dans certaines régions, la population ne peut plus cultiver à cause de l’insécurité, nous ne pouvons pas lever les impôts. Mais nous faisons tout pour inverser la tendance. Nous avons discuté d’un programme avec le FMI, nous avons des échanges avec la Banque mondiale et la Banque africaine de développement. Nous prévoyons par ailleurs d’organiser, le 17 novembre à Bruxelles, une table ronde des bailleurs de fonds, sous l’égide de l’Union européenne.
Vous aviez promis un audit de la transition. Où en est-il ?
Il ne s’agit pas d’un audit de la transition. Ce que nous voulons faire, c’est un état des lieux pour savoir comment se portent certaines structures et pour nous permettre d’ajuster notre stratégie. S’il y a des suspicions sur certains contrats, nous aviserons au cas par cas. Mais ne vous attendez pas à une chasse aux sorcières !
Quelles sont vos relations avec vos prédécesseurs, Catherine Samba-Panza, Michel Djotodia ou François Bozizé ?
Nous avons des contacts avec ces anciens chefs d’État. Mais rien de régulier.
Certains s’inquiètent de la présence dans votre entourage d’anciens proches de Bozizé…
En tant que président de la République, je travaille avec tout le monde. Je connais des Centrafricains qui, à l’époque de Bozizé, ont bien travaillé. Faudrait-il les mettre dehors ? Moi-même, j’ai été son Premier ministre pendant cinq ans. Les Centrafricains m’ont pourtant élu avec plus de 63 % des suffrages ! On parle trop des anciens proches de Bozizé, pas assez de ceux qui n’étaient pas dans son parti et qui m’entourent aujourd’hui.
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