Sans régulation des marchés, pas de protection des citoyens

Dans un nouveau rapport intitulé « Dirty Diesel » (« diesel sale »), Public Eye, une ONG suisse spécialiste des questions de gouvernance et de transparence dans le négoce de matières premières, met en évidence le caractère très polluant des carburants vendus en Afrique subsaharienne par de grands traders suisses.

Vue de Dakar. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Vue de Dakar. © Sylvain Cherkaoui pour JA

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  • Christophe Le Bec

    Christophe Le Bec est journaliste économique. Il couvre l’actualité des secteurs pétrolier, minier et industriels (automobile et aéronautique). Il s’intéresse aux questions de transparence et de gouvernance, ainsi qu’aux organisations patronales et syndicales. Il lui arrive aussi d’écrire sur des sujets religieux et sur la Guinée.

Publié le 5 octobre 2016 Lecture : 3 minutes.

La teneur en sulfure des diesels écoulés par Trafigura (un groupe par ailleurs connu pour son implication dans l’affaire du Probo Koala, en 2006, avec l’enfouissement de déchets toxiques en Côte d’Ivoire), Vitol, Lynx Energy et Addax & Oryx Group (AOG) dans huit pays subsahariens est ainsi plus de 150 fois supérieure à la teneur maximale autorisée en Europe !

Quant aux essences testées par l’ONG, le tableau n’est guère plus réjouissant puisqu’elles contiennent des niveaux de sulfure compris entre 15 et 72 fois la limite européenne. Résultat : selon Public Eye, le niveau de pollution de l’air au sulfure mesuré à Dakar et à Lagos serait déjà pire que celui de Pékin, avec des effets néfastes sur la santé. Ce que pointent depuis longtemps les scientifiques du Programme des Nations unies pour l’environnement (Unep), qui a collaboré au rapport.

Demain, le coût de la pollution au sulfure pèsera autrement plus lourd sur les systèmes de santé

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La plupart des commentateurs ont dénoncé les pratiques de ces négociants qui, dans leur jargon, utilisent le terme péjoratif de « qualité africaine » pour désigner ces carburants. Mais les premiers responsables de cette situation, ce sont les gouvernements africains : ils auraient dû réguler ce marché en imposant aux négociants internationaux tout comme aux distributeurs locaux des normes pour protéger la santé des citoyens.

Il est illusoire d’attendre de ces grands groupes de négoce, maîtres de la mondialisation, croyant à la main invisible du marché et à un libre-échange sans entraves, une quelconque autorégulation. L’argument, utilisé par quelques politiciens à courte vue, selon lequel la hausse des prix des carburants liée à leur dépollution serait insupportable n’est pas recevable. Demain, le coût de la pollution au sulfure pèsera autrement plus lourd sur les systèmes de santé !

Il est bien d’autres domaines où les gouvernements ont tout bonnement abdiqué devant les multinationales et faillissent à leur devoir de protection des populations, qu’il s’agisse de leur santé, de leurs emplois ou de leur environnement. La liste des secteurs concernés est longue, incluant notamment le BTP, les transports et l’agriculture. Il est pourtant indispensable d’imposer des normes aux investisseurs étrangers alléchés par les marchés africains, mais aussi aux acteurs locaux – y compris quand ils sont proches du pouvoir.

Les États doivent aussi afficher une grande fermeté en matière sociale, en exigeant des entreprises étrangères – qu’elles soient asiatiques ou occidentales – qu’elles emploient principalement des travailleurs locaux et non des salariés étrangers sous-payés venus de leurs pays d’origine, ainsi qu’on le voit souvent sur les grands chantiers d’infrastructures menés par des groupes chinois.

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En Europe et aux États-Unis, les firmes étrangères n’ont pas d’autre choix que de se conformer à des normes pour accéder aux marchés. Si elles trichent, elles sont sévèrement sanctionnées par un « gendarme ». Volkswagen va ainsi payer chèrement sa tentative de fraude des normes antipollution sur ses moteurs diesel : 15 milliards de dollars d’amende rien qu’aux États-Unis ! Il n’y a pas de raison que ce ne soit pas le cas en Afrique, ce continent dont les perspectives de développement continuent d’attirer les investisseurs.

Il faut donc que les gouvernements agissent pour assumer leur fonction protectrice et que des « gendarmes » forts, dotés d’un véritable pouvoir de sanction, soient mis en place. Cette régulation protectrice est possible : au début des années 2000, le Nigeria a par exemple réduit de 70 % à 10 % le taux de médicaments contrefaits grâce à l’activisme de la Nafdac, l’Agence nationale pour le contrôle des aliments et des médicaments. Un exemple à suivre !

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