Trump, Poutine et franc CFA
Le 20 janvier, le premier président noir de l’histoire des États-Unis va céder la place au premier président ouvertement soutenu par le Ku Klux Klan.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 9 janvier 2017 Lecture : 3 minutes.
Pur produit de la démocratie libérale et défenseur d’une conception du droit international guidée certes par les intérêts de l’Amérique mais aussi par la morale et la rationalité, Barack Obama quitte le Bureau ovale de la Maison-Blanche, alors qu’un impulsif ultraconservateur, capable de lâcher un Tweet vengeur à 3 heures du matin parce qu’un commentaire l’aura blessé, s’apprête à y entrer.
Avec Donald Trump et pendant quatre ans au moins, le monde entre dans l’ère de l’incertitude, dans la dictature de l’émotion et de l’instantanéité, du conspirationnisme et de la confusion entre la vérité et le mensonge. En cela, le nouveau président américain est à la fois d’hier – le populisme et ses recettes vieilles comme les démocraties – et de demain : son imprévisibilité et son absence de recul sont parfaitement en phase avec l’invasion des réseaux sociaux.
Comme dans les War Games, la géopolitique de Trump n’est pas une affaire d’intérêts classiques mais de personnalités rivales ou alliées, parfois irrationnelles, avec lesquelles il convient de « dealer » ou de faire la guerre. En réalité, personne ne sait au juste ce que sera la politique extérieure de Donald Trump, à commencer sans doute par l’intéressé lui-même.
Son entourage compte autant d’identitaires racistes et décomplexés que de néoconservateurs bellicistes orphelins de l’époque Bush, d’antisémites avérés que de sionistes acharnés, de paganistes revendiqués que d’évangéliques créationnistes : ce qui sortira de ce chaudron a de quoi inquiéter a priori – c’est la seule certitude à notre disposition.
S’entendra-t-il avec Vladimir Poutine ? Le maître du Kremlin est l’un des rares chefs d’État (le Turc Erdogan en fait aussi partie) avec lesquels Trump partage une grammaire et un logiciel communs : tous deux sont les produits d’eux-mêmes plus que ceux d’un système ou d’un parti ; tous deux croient en la force et à la négociation en position de force ; tous deux puisent leur popularité dans cet angle mort de l’intérêt médiatique, systématiquement oublié ou négligé, qu’est le sentiment d’humiliation – celui du peuple russe après l’effondrement de l’URSS, celui des classes ouvrière et moyenne blanches paupérisées de l’Amérique profonde – et la restauration de la puissance perdue.
Ni Trump ni Poutine ne croient en l’ONU
Face à ce bloc nationaliste autoritaire Ouest-Est, une Europe malade de ses faiblesses, en pleine crise d’identité, ne pèse guère. L’ONU ? Le départ de Ban Ki-moon, imposé par l’administration Bush et qui s’est depuis distingué à la fois par sa transparence et son alignement quasi total sur les États-Unis, est certes une bonne nouvelle. Son successeur, Antonio Guterres, a une vision européenne des relations internationales et une vraie capacité à comprendre la complexité du monde.
Reste que ni Trump ni Poutine ne croient en l’ONU : le premier la méprise et le second rêve de l’instrumentaliser comme au temps de la guerre froide. Paradoxalement, la Chine apparaît donc désormais comme le seul repère sûr dans cet océan d’incertitude : son jeu est réfléchi, rationnel, soumis aux règles usuelles de la géopolitique et des intérêts nationaux, bref : prévisible.
En marge de cette évolution planétaire – comme l’est, hélas, encore une bonne partie de l’Afrique – s’est tenu, le 23 décembre 2016, à Yaoundé, au Cameroun, un sommet extraordinaire des six chefs d’État de la zone Cemac. Rien de très notable en ces temps de disette financière dans la région, sauf cette information inédite que je vous livre sans commentaire : invités extérieurs à ce conclave, la patronne du FMI, Christine Lagarde, et le ministre français de l’Économie et des Finances, Michel Sapin, s’y sont rendus avec, dans leurs bagages, un plan de dévaluation du franc CFA d’Afrique centrale, celui d’Afrique de l’Ouest étant considéré comme sain.
Lagarde, en substance : « Vos réserves de change ne couvrent plus que deux mois d’importations, ce qui est incompatible avec une zone monétaire à taux de change fixe. Vos perspectives sont mauvaises, la zone Cemac se dirige vers une crise encore plus sérieuse, il faut songer à dévaluer. » Les chefs d’État ont refusé ce coup de poignard à la veille de Noël. Mais l’épée de Damoclès est bien là, et elle restera suspendue toute l’année 2017 au-dessus de leur tête.
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