Énergie : quand le solaire se lève sur le continent africain
La baisse des prix et le développement des technologies permettent un essor de la production de cette électricité renouvelable. Mais il reste encore des obstacles à franchir pour accélérer la tendance.
Ces dernières semaines, les centrales solaires ont essaimé sur le continent. Le Sénégal a inauguré coup sur coup deux sites, à Bokhol et à Malicounda. D’une puissance de 20 MW chacun, ils sont actuellement les plus grands d’Afrique de l’Ouest. De son côté, l’Ouganda a mis en service la plus grande installation de l’est du continent, à Soroti (10 MW).
Et l’année 2017 annonce déjà une accélération inédite. Le Sénégal dépassera son propre record dès la fin du premier trimestre avec une centrale de 30 MW en construction à Méouane, près de Thiès. Des parcs doivent être construits cette année en Zambie (100 MW), au Burkina Faso (53 MW), mais aussi au Maroc (environ 500 MW). Déjà pionnier avec le site Noor I, le royaume chérifien va conforter la longueur d’avance qu’il possède, avec l’Afrique du Sud, sur tous les autres pays africains.
Une ressource durable en plein essor
La puissance solaire installée en Afrique est encore anecdotique, loin derrière le charbon, l’hydraulique ou même les millions de générateurs qui continuent d’éclairer le continent. De même, il reste encore à trouver des moyens de stocker durablement cette énergie intermittente, dont l’autre inconvénient est l’importante emprise au sol (pour produire 1 MW, il faut installer des panneaux sur 1 à 2 ha de terrain). Malgré tout, le basculement s’amorce.
Jusqu’ici globalement limité aux solutions individuelles, à l’instar des kits à succès de la start-up kényane M-Kopa, l’énergie solaire est désormais en passe de s’imposer dans les réseaux électriques. Cette électricité verte autrefois très chère devient l’une des plus rentables, que ce soit par rapport aux autres énergies renouvelables comme l’éolien ou face aux énergies fossiles. Et ce particulièrement en Afrique.
Une énergie rentable
C’est d’Abu Dhabi qu’est venue la dernière grande annonce dans le petit monde de l’énergie. En septembre 2016, l’émirat a reçu une offre pour produire une électricité solaire à 0,0242 dollar le kilowattheure, soit deux fois moins que le niveau moyen du marché. Un record historique rendu possible par la taille du projet (350 MW) et le très fort ensoleillement de cette région désertique, qui témoigne de l’impressionnante chute des prix de cette énergie.
Au point que, selon une récente enquête de Bloomberg, le solaire détrônera le charbon en tant qu’énergie la moins chère au monde d’ici à 2025. Non seulement son coût a chuté de 62 % depuis 2009, mais il devrait encore perdre au moins 40 % dans les dix prochaines années, selon les calculs de l’Agence internationale de l’énergie renouvelable (Irena). L’effondrement du prix des panneaux, massivement produits en Chine, s’est accompagné d’économies d’échelle liées à la démocratisation des compétences. « Ces chiffres changent la donne, le solaire devient normal dans un nombre croissant de marchés », a déclaré à l’agence financière le Kényan Adnan Amin, patron de l’Irena.
En Afrique, où le déficit énergétique est criant, ce mouvement est déjà visible. Dans les zones enclavées comme le Sahel et dans les pays sans ressources pétrolières ou hydrauliques, où l’électricité est particulièrement chère, le solaire est devenu plus compétitif. Au Sénégal, l’électricien public Senelec achète à environ 60 F CFA (0,09 euro) hors indexation le kilowattheure produit par les centrales solaires, un montant équivalent à celui qu’il paie en moyenne pour les autres formes d’électricité. Le pays espère même faire mieux grâce à l’initiative Scaling Solar. Gérée par la Société financière internationale (IFC), celle-ci propose aux gouvernements de les aider à structurer et à mener des appels d’offres standardisés et transparents afin de réduire les coûts et les délais.
Au Sénégal, un nouvel appel d’offres pour l’installation de 100 MW, attendu pour la fin du mois de janvier, a ainsi des chances de déboucher sur un prix encore plus bas. Sans atteindre toutefois le montant de 0,06 dollar/kWh proposé lors d’un premier round de Scaling Solar en Zambie. En annonçant lors de ses vœux du 31 décembre une baisse de 10 % des tarifs de l’électricité, en grande partie permise par le faible niveau du cours de l’or noir, le président, Macky Sall, n’a d’ailleurs pas manqué de lier cette décision à l’essor du solaire dans son pays.
Un potentiel immense
C’est probablement sa répartition sur les territoires qui donne au solaire le plus d’avantages par rapport aux autres énergies renouvelables. Selon les données du Joint Research Center de la Commission européenne, la plupart des régions d’Afrique profitent d’une irradiation supérieure à 2 000 kWh/m2 (environ deux fois plus que la majorité des pays européens), avec des pointes à 2 800 kWh/m2, comme en Namibie. À l’inverse, la géothermie est quant à elle concentrée dans un petit nombre de régions comme la vallée du Rift, et la biomasse, qui repose sur un approvisionnement pérenne en matières premières agricoles, inquiète de plus en plus dans un contexte de bouleversements climatiques et de tensions alimentaires.
L’éolien est quant à lui limité, en Afrique, à quelques grands couloirs : les côtes marocaines, la mer Rouge, l’Éthiopie et l’Afrique du Sud, et demande beaucoup de précision. « À 500 m près, des éoliennes seront plus ou moins efficaces, et il faut gérer les rafales. Le photovoltaïque est plus prévisible et peut fonctionner lorsque le rayonnement solaire est diffus, même si l’efficacité sera moins bonne », souligne Yasser Charafi, spécialiste des infrastructures à l’IFC, avant de préciser que le sud du Nigeria et de la Côte d’Ivoire, dans le golfe de Guinée, bénéficient d’une moins bonne exposition.
Simple et rapide à mettre en oeuvre
Le potentiel des pays africains leur permet d’envisager à la fois des parcs solaires connectés au réseau national et de développer des solutions hors système (off-grid), depuis le kit domestique composé d’un panneau et de quelques lampes jusqu’au mini-réseau permettant d’alimenter une petite ville, qui fonctionnent toutes au solaire. La construction d’un barrage hydraulique nécessite de longues études préalables, qui prennent plusieurs années en Afrique. Le solaire, lui, est bien moins complexe et sa mise en place est plus rapide. « En deux ans, nous avons gagné le projet Soroti, développé et installé notre centrale », observe Christophe Fleurence de la société française Eren, pour qui ce calendrier constitue néanmoins un record.
Projet après projet, les procédures se perfectionnent et les délais raccourcissent. « Il nous a fallu neuf mois pour boucler notre premier projet au Sénégal, à Méouane, mais seulement cinq mois pour le deuxième, à Ten Merina », constate Emmanuelle Matz, directrice des infrastructures à Proparco. En plus des projets individuels, la mise en place de programmes d’appels d’offres, comme Scaling Solar ou Get Fit (géré par la KfW sur fonds européens et développé en Ouganda), contribue à l’accélération du solaire. « Ces initiatives permettent une standardisation et accélèrent la période de développement, mais leur appropriation par les pays prend encore du temps », précise-t-elle.
Des technologies mieux maîtrisées
Les technologies avancent elles aussi. Si la puissance des panneaux n’a pas significativement progressé, leur qualité s’est améliorée. Surtout, les solutions pour pallier l’intermittence se développent. Les fermes solaires hors réseau sont de plus en plus souvent hybrides, c’est-à-dire associées à un générateur qui prend le relais en cas de besoin.
Mieux encore, les batteries sont de plus en plus performantes. « Le photovoltaïque va bénéficier de l’essor du secteur de la voiture électrique, où les batteries font l’objet d’importantes recherches », assure Yasser Charafi, qui cite notamment le groupe américain Tesla. Le cadre de l’IFC prévoit une baisse des coûts : « Ils deviennent déjà raisonnables sur des batteries qui permettent de stocker l’électricité pendant trois ou quatre heures après le coucher du soleil et donc de passer la pointe, c’est-à-dire le pic de consommation du début de soirée. » L’IFC envisage d’ailleurs d’intégrer l’utilisation de ces batteries aux prochains appels d’offres de Scaling Solar. Une carte de plus pour l’expansion du solaire en Afrique.
M-Kopa Solar, le précurseur
La révolution du solaire a commencé hors réseau. Lancé au Kenya en 2010, M-Kopa Solar a installé près de 500 000 de ses kits solaires domestiques au Kenya, en Tanzanie, en Ouganda et au Ghana. Au-delà de l’électricité, M-Kopa propose un ensemble d’équipements à ses clients qui résident dans des zones isolées. En plus des lampes, le kit peut inclure un chargeur de téléphone, une radio, une télévision ou encore un four fonctionnant à l’énergie solaire. Son modèle économique, qui repose sur un paiement mensualisé par mobile, assure un très fort taux de recouvrement. Une formule qui séduit même les mastodontes : les géants français Engie et EDF s’annoncent dans le secteur.
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