Rencontre avec le créateur de Wakatoon, l’appli qui donne vie aux dessins d’enfant
Cet ingénieur bénino-français devenu businessman a créé une application qui cartonne, Wakatoon, pour donner vie aux dessins d’enfants.
Ce n’est pas très compliqué de retrouver le bureau de Pierrick Chabi dans Le Cargo, le gigantesque bâtiment truffé de start-up françaises, dans le nord de Paris. C’est le seul qui est agrémenté de guirlandes, de pots de pâte à modeler et d’un impressionnant assortiment de BD. Regard ultra-expressif, sourire qui n’en finit pas de s’élargir, mains qui virevoltent… Pierrick Chabi semble lui-même sorti d’un cartoon. « On reçoit souvent des clients et des enfants ici, on essaie de reconstituer un univers proche de notre activité », s’explique le patron en rangeant un Lego.
Début 2015, il lançait son appli Wakatoon, une contraction de wake a toon, « réveille un dessin animé », et clin d’œil à wa ka, « viens », en yorouba. Portable en main, l’entrepreneur de 33 ans fait une petite démonstration. Il nous encourage à colorier le dessin d’un directeur de cirque (à qui l’on fait évidemment un nez rouge et des cernes sous les yeux) puis le prend en photo. Et deux secondes plus tard, passé à la moulinette du logiciel, notre Monsieur Loyal aviné s’agite sur l’écran du portable et commence à nous raconter une histoire !
La différence entre une bonne idée et un projet avec du potentiel : mes amis ne m’ont pas seulement encouragé, ils ont investi de l’argent ! »
L’appli qui donne du peps aux coloriages fait un carton. Plébiscitée par la presse, elle a déjà conquis près de 30 000 utilisateurs en moins de deux ans, ainsi que des clients prestigieux (Center Parcs, Renault…). Elle se déploie même aujourd’hui dans les écoles en France, et ailleurs via l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger.
Apprendre par le jeu
Au-delà du succès entrepreneurial, Wakatoon concrétise surtout un rêve de gosse. Né à Korhogo, en Côte d’Ivoire, et parti à 9 ans à Cotonou, tête bien pleine et bien faite, Pierrick Chabi a beaucoup hérité de ses parents béninois. De son père, professeur de français qui a sillonné plusieurs pays d’Afrique, il tient un désir de faire circuler le savoir. Et surtout de rendre les apprentissages « plus indolores et ludiques ». Peut-être parce que cet élève brillant a longtemps travaillé seul, en suivant les cours par correspondance du Cned durant ses années de collège. « Mon père voulait tenter une expérience en choisissant l’enseignement à distance. J’ai appris l’anglais et l’allemand avec des cassettes audio… Je recevais mes devoirs corrigés plus d’un mois après les avoir rendus. »
Sa mère, qui a exercé mille métiers et notamment créé des costumes pour de grandes cérémonies, lui a quant à elle transmis son goût pour les travaux pratiques. « Elle m’a appris la couture, la broderie. Si j’avais envie d’une petite voiture ou d’une cage à oiseau, on les fabriquait ensemble. » Ce qui passionne le plus le jeune Chabi ? Les arts graphiques. Seulement, pour obtenir une bourse d’excellence qui lui permette de poursuivre ses études en France, ce très bon élève doit viser une filière plus « sérieuse » : ce seront les classes prépas scientifiques. Mais pour se donner la chance de lâcher un jour la bride à sa créativité, l’étudiant se spécialise dans l’imagerie numérique à l’école d’ingénieurs Télécom Saint-Étienne.
Décrocher les enfants des écrans
Diplôme en poche, il travaille pendant quatre ans, jusqu’en 2011, pour Total Immersion, une société pionnière dans la réalité augmentée. Puis se lance en free-lance dans le développement d’applications… et connaît son premier échec en créant ardoisedujour.com, un site gratuit qui permet de trouver chaque jour le menu le plus alléchant de son quartier. « Mes amis m’ont dit que c’était une bonne idée, se souvient l’entrepreneur avec un demi-sourire. J’ai compris plus tard la différence avec un projet qui a réellement du potentiel : pour Wakatoon, ils ne m’ont pas seulement encouragé, ils ont investi de l’argent ! »
L’idée de cahiers de coloriages animés lui vient en voyant son neveu de 7 ans happé par les écrans, mais peu enclin à se diriger vers des activités manuelles. « J’ai utilisé la tablette… pour l’en détourner ! » se félicite Pierrick. Car les enfants passent finalement plus de cinq heures à colorier les livres de Wakatoon, et seulement quinze minutes à admirer le résultat sur une machine.
Revenir à l’Afrique
Son premier projet de cahier, lancé sur une plateforme de financement participatif, a aussitôt séduit. Il visait 25 000 euros, il en a récolté près de 60 000 ! Et pour son cinquième album animé, Essi dans la forêt des monstres, qui explore les mythes et légendes africains, le Bénino-Français a été encore plus ambitieux. Il a contacté Marguerite Abouet, scénariste à succès qui a imaginé la série de bande dessinée Aya de Yopougon.
« J’ai découvert un garçon à la fois rêveur, créatif, curieux… mais également très cartésien et déterminé, se souvient l’écrivaine. Surtout, nous partagions le même désir de faire lire cet album à des enfants africains, qui n’ont que peu souvent accès à des ouvrages. » Pour ce projet solidaire, des cahiers de coloriage et des tablettes seront ainsi envoyés à la Fondation Zinsou à Cotonou, au réseau Jokkokids à Dakar, ou à l’association Des livres pour tous à Abidjan.
Le start-upper avoue ne revenir au Bénin que « tous les deux ou trois ans », mais souhaite à long terme y développer de nouvelles activités. « Je suis comme beaucoup d’entrepreneurs de la diaspora, très pragmatique dans mon approche de la vie d’entreprise, mais dans l’affectif quand il s’agit de l’Afrique. » En 2013, il a cofondé Startup Africa Paris, une communauté d’entrepreneurs en lien avec l’Afrique subsaharienne, qui rassemble aujourd’hui plus de 500 personnes.
Et si Pierrick Chabi devait dessiner son avenir ? Il commencerait peut-être par le décor, une maison face à une plage de Grand-Popo, sur le littoral béninois. En attendant, il compte inviter à nouveau l’Afrique dans son prochain album, prévu courant 2017, et qui mettra en mouvement les instruments traditionnels du continent.
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