Gambie : retour sur les dernières heures du roi Jammeh

Ça y est, il est parti. Après d’ultimes tractations et sous la pression militaire de la Cedeao, l’ex-président a fini par quitter le palais de Banjul. Retour sur les jours qui ont précédé un départ obtenu au forceps.

Après vingt-deux années au pouvoir, l’ancien dictateur part en exil en Guinée équatoriale. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Après vingt-deux années au pouvoir, l’ancien dictateur part en exil en Guinée équatoriale. © Sylvain Cherkaoui pour JA

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Publié le 2 février 2017 Lecture : 10 minutes.

Ce fut son ultime exigence : partir avec les honneurs, peut-être pour diluer l’humiliation de cet exil contraint. Samedi 21 janvier en début de soirée, sur le tarmac de l’aéroport de Banjul, un tapis rouge avait donc été déroulé, une fanfare convoquée et une poignée de militaires alignés. Tandis que le dernier carré de ses fidèles se préparait à lui faire ses adieux, Yahya Jammeh, monarque déchu de la Gambie, affichait un sourire crispé en se présentant sur les lieux, tout de blanc vêtu, Coran et chapelet à la main, aux côtés du président guinéen Alpha Condé. Au cours des dernières quarante-huit heures, coincé entre le marteau militaire et l’enclume diplomatique, le Big Man de Banjul a vu son destin basculer.

Consensus international

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Jeudi 19 janvier, 17 heures GMT. À Dakar, au terme d’une prestation de serment inédite dans les locaux de l’ambassade, Adama Barrow devient le troisième président de la Gambie indépendante. À New York, au même moment, le Conseil de sécurité s’apprête à examiner un projet de résolution rédigé par le Sénégal. Dans le texte final, l’ONU affirme son « soutien sans réserve à la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest] dans l’engagement qu’elle a pris de garantir, en privilégiant les moyens politiques, le respect de la volonté du peuple gambien ». À la demande de l’Égypte, de l’Éthiopie et de la Russie, la formulation initiale (garantir « par tous les moyens possibles ») a été amendée.

Des chasseurs ont survolé le State House, l’effet psychologique a été important »

« Depuis décembre, la Cedeao avait épuisé toutes les options diplomatiques imaginables, sans succès », rappelle Mankeur Ndiaye, le ministre sénégalais des Affaires étrangères – selon qui la résolution onusienne n’excluait pas le recours à la force. Sans relâche au cours des dernières semaines, des médiateurs ouest-africains et maghrébins se sont succédé à Banjul dans l’espoir d’une issue concertée. La Libérienne Ellen Johnson-Sirleaf (présidente en exercice de la Cedeao), les médiateurs nigérian Muhammadu Buhari et ghanéen John Dramani Mahama (ex-président, vaincu aux dernières élections) ou le Sierra-Léonais Ernest Bai Koroma se sont efforcés de favoriser une sortie de crise – en vain.

Sur l’insistance de Macky Sall et de Muhammadu Buhari, le roi Mohammed VI a dépêché à Banjul son ministre des Affaires étrangères, Salaheddine Mezouar, avec un objectif : inciter Jammeh à reconnaître sa défaite en échange d’un asile au Maroc. Mais l’intransigeance du Gambien a empêché toute avancée et les deux émissaires sont rentrés bredouilles à Rabat. Un moment évoquée, l’option saoudienne a elle aussi fait long feu.

Les troupes sénégalaises de la Cedeao marchent sur la State House, à Banjul. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Les troupes sénégalaises de la Cedeao marchent sur la State House, à Banjul. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Barrow refuse le compromis

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À la veille du terme du mandat présidentiel, qui expire le 18 janvier à minuit, c’est au tour du Mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz d’entrer en jeu pour tenter une médiation de la dernière chance. Au State House, le palais présidentiel, le maître des lieux lui explique qu’il compte attendre sur son trône l’issue du recours introduit devant la Cour suprême gambienne pour contester le résultat du scrutin. Problème : constituée de cinq magistrats nigérians [en plus d’un Gambien et d’un Sierra-Léonais], elle ne pourra siéger avant le mois de mai.

Un peu avant minuit, le 18 janvier, Abdelaziz s’arrête à Dakar afin de rendre compte de l’échange à Macky Sall et Adama Barrow. « C’est hors de question ! s’emporte ce dernier. Lorsque nous étions dans l’opposition, il n’a jamais étudié un seul de nos recours électoraux, nous ne lui accorderons donc pas cette faveur. » À peine la résolution de l’ONU adoptée, le général sénégalais François Ndiaye, qui commande la Mission de la Cedeao en Gambie (Micega), reçoit donc l’ordre d’engager ses troupes, déjà positionnées aux frontières. Tandis qu’au sol, les soldats, essentiellement sénégalais, progressent sans rencontrer de résistance, les marines nigériane et sénégalaise accentuent leur contrôle des eaux territoriales gambiennes. Un quasi-blocus, destiné notamment à contrer un éventuel débarquement de mercenaires.

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S’entourer des bonnes personnes 

Jeudi 19 janvier, 20 heures GMT. Stationné à Dakar, un détachement de forces aériennes nigérianes entre en action. « Des chasseurs ont survolé le State House, l’effet psychologique a été important », confirme à Jeune Afrique un officier sénégalais. Aussitôt – selon un proche du président sénégalais –, Yahya Jammeh, affolé, appelle Mohamed Ould Abdelaziz, lequel se tourne vers Macky Sall. Hostile à l’option armée, Abdelaziz sollicite un sursis afin de tenter une ultime médiation. La Cedeao donne son accord de principe et fixe un premier ultimatum au vendredi 20 janvier à midi. Moins de deux heures après le début de l’offensive, les troupes reçoivent l’ordre de garder leurs positions. Les diplomates reviennent en piste, in extremis.

Jammeh a sans doute considéré que la Guinée équatoriale ne céderait pas en cas de demande d’extradition.»

À Dakar, le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU et chef du Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (Unowas), le Ghanéen Mohamed Ibn Chambas, s’entretient par téléphone avec Ellen Johnson-Sirleaf et Macky Sall afin d’identifier l’émissaire à même de conduire au mieux cette mission : Muhammadu Buhari ? Il vient de quitter le Nigeria pour un séjour privé en Europe. John Dramani Mahama ? Il n’a aucune affinité particulière avec Jammeh et n’est plus chef d’État. Très vite, le choix se porte sur le Guinéen Alpha Condé, qui jouit de la confiance du Gambien et dont l’un des proches conseillers, Tibou Camara, est aussi le beau-frère de l’ex-président, puisqu’il a épousé la sœur de l’épouse marocaine de Jammeh.

L’ultime chance laissée à Jammeh…

Tout comme Abdelaziz, Alpha Condé est soucieux d’éviter à Jammeh une abdication sous le feu des mortiers. Depuis Davos, en Suisse, où il assiste au Forum économique mondial, il confirme qu’il est prêt à partir séance tenante pour Nouakchott, où il souhaite s’entretenir avec le dernier médiateur en date, avant de rejoindre Banjul. Au milieu de la nuit, il informe ses interlocuteurs qu’il compte se faire accompagner par son homologue mauritanien.

Vendredi 20 janvier, 11 heures GMT. En fin de matinée, Alpha Condé et Mohamed Ould Abdelaziz débarquent à Banjul, où les ont précédés Mohamed Ibn Chambas et Tibou Camara. Au State House, Yahya Jammeh demande d’abord à les recevoir à huis-clos. Puis, de conclave en conclave, les représentants de l’ONU et de la Cedeao – la Nigériane Halima Ahmed, commissaires aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité – se joignent à cette ultime négociation.

Vendredi 20 janvier, 13 heures GMT. Désormais acculé, Yahya Jammeh a perdu de sa superbe. Une coalition ouest-africaine a pénétré sur le territoire gambien et survolé son palais. Son propre chef d’état-major a même festoyé, la veille, aux côtés de ses opposants. Le couteau sous la gorge, le « Babili Mansa » (le roi qui défie les rivière, en mandingue), abandonne deux de ses revendications, jugées irrecevables par ses interlocuteurs – demeurer dans le pays, dans son fief de Kanilaï, et mener à bien son recours électoral –, pour sauver ce qui peut encore l’être.

… qui en veut toujours plus

Ici, il mégote sur les conditions de son départ – réclamant un délai supplémentaire pour préparer son déménagement. Là, il revendique diverses garanties pour lui-même et son entourage… Surtout, il veut s’assurer qu’il bénéficiera du statut d’ancien chef d’État – émoluments compris – et pourra revenir s’établir en Gambie dans un délai raisonnable. Il ne veut pas « être banni » de son pays. Pour les négociateurs, un compromis paraît envisageable. Si ce n’est que Jammeh exige que le «  deal » donne lieu à un protocole écrit, endossé par les trois organisations concernées : l’UA, la Cedeao et l’ONU. Tout au long de l’après-midi, Mohamed Ibn Chambas lui expose les limites de l’exercice. Un représentant spécial du secrétaire général de l’ONU et une commissaire de la Cedeao ne sauraient engager leurs organisations respectives – sans même parler de l’UA, non représentée.

Entrée du président Adama Barrow dans Serrekunda, au sud-ouest de la capitale, le 26 janvier 2017. © SYLVAIN CHERKAOUI/AP/SIPA

Entrée du président Adama Barrow dans Serrekunda, au sud-ouest de la capitale, le 26 janvier 2017. © SYLVAIN CHERKAOUI/AP/SIPA

Signer formellement le document est donc exclu. Mais Jammeh n’en démord pas : il veut formaliser l’accord qui doit sceller sa capitulation et son exil. Sous la houlette du secrétaire général de la présidence gambienne et du ministre de la Justice s’improvise un premier brouillon, aussitôt amendé par les diplomates présents. Au soir, une version de travail est expédiée à Abuja, Addis-Abeba, Monrovia, Dakar, N’Djamena, New York… Ne reste plus à Yahya Jammeh qu’à rappeler à ses hôtes son ultime requête, formulée dès leur arrivée : achever son règne par une allocution officielle à la télé nationale. Autour de minuit, depuis son bureau du State House, il fait ses adieux officiels au peuple gambien. Considérant son devoir accompli, Mohamed Ould Abdelaziz quitte Banjul dans la nuit.

La Guinée, solution de dernière minute

Samedi 21 janvier, 20 heures GMT. Il aura fallu plus de vingt-quatre heures pour accoucher d’un document avalisé par le camp Jammeh comme par les négociateurs. Et à quel prix ! Destinataire du draft, Macky Sall fait aussitôt savoir à Ellen Johnson-Sirleaf son désaccord : « Ce texte est inacceptable ! Jammeh n’est plus président, il n’a rien à exiger. » Dans l’intervalle, les coups de fil ont fusé entre les participants et divers chefs d’État du continent. Pendant que le Tchadien Idriss Déby Itno – respecté par l’ancien président – propose de mettre un avion-cargo à la disposition de Jammeh pour faciliter son « démenagement  », l’Équato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, sollicité, fait savoir que Jammeh est le bienvenu et qu’il tient à sa disposition son avion personnel.

Une proposition qui recueille l’assentiment du principal intéressé. « Il a sans doute considéré que ce pays ne céderait pas en cas de demande d’extradition », suppose un diplomate. Dans l’urgence, Jammeh a improvisé ses préparatifs de départ. À la State House, bureaux et appartements privés ont été soigneusement « nettoyés » : disques durs embarqués ou détruits, tiroirs vidés, câbles téléphoniques sectionnés… « Tout était sens dessus dessous », confie une source familière des lieux. Jammeh a pris soin, par ailleurs, de mobiliser une importante somme en devises.

Samedi 21 janvier, 21h29 GMT. En fin d’après-midi, plusieurs grosses valises noires sont chargées dans les soutes de l’avion de la présidence mauritanienne, qui décolle pour Conakry en début de soirée avec, à son bord, une trentaine de proches de Yahya Jammeh dont sa mère, une partie de son protocole et plusieurs hauts gradés de sa garde prétorienne demeurés fidèles. Peu après minuit, c’est l’avion-cargo de la République tchadienne qui se charge d’acheminer vers Conakry les deux Rolls-Royces et une Mercedes, ainsi que d’autres biens appartenant à l’ex-président. Dix autres véhicules, dont une Bentley, une autre Mercedes, une Mini Cooper rouge et plusieurs Range Rovers attendent encore sur le tarmac, avant de prendre – peut-être – la même direction.

Enfin, il s’en est allé

Pour la dernière fois, le « Babili Mansa » parade au milieu de sa cour, mélange de soldats et de partisans en larmes qui, dans une mêlée confuse, l’escortent jusqu’au pied de la passerelle. Avant de pénétrer dans le Falcon 900DX loué par le président guinéen, où l’ont précédé son épouse Zineb et leur fils, il se retourne pour saluer ses fidèles, pétrifiés, avant de disparaître dans la cabine. À 21h19, le jet décolle à destination de Conakry. Jammeh n’y fera qu’une courte escale, le temps de grimper dans un avion de la présidence équato-guinéenne qui l’emmènera à Malabo, où une villa a été mise à sa disposition.

Aux premières lueurs du jour, dimanche 22 janvier, alors que l’ex-président arrive à destination, les militaires sénégalais poursuivent leur avancée vers Banjul afin de sécuriser le retour d’Adama Barrow. Aux alentours de 18 heures, une colonne du bataillon-commando de Thiès, fleuron de l’armée sénégalaise, pénètre dans la capitale, sous les vivats de la foule, et s’arrête aux portes du State House qui attend désormais son nouvel occupant. Quatre jours plus tard, ce dernier rallie Banjul en liesse. Pour mettre un terme définitif aux vingt-deux années de l’ère Jammeh.

L’ACCORD DE LA DISCORDE

Malgré l’unanimité de la communauté internationale en faveur d’un départ de Yahya Jammeh, le document réclamé par l’ex-dictateur fait désormais office de pomme de discorde.

Côté sénégalais – pays membre de l’UA, de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et du Conseil de sécurité de l’ONU, on s’indigne. « Ceux qui l’ont négocié n’avaient pas de mandat pour ça. Cette déclaration n’engage personne », affirme Mankeur Ndiaye, le ministre sénégalais des Affaires étrangères.

Un verdict sans appel, tempéré par une source onusienne qui fait valoir que, si ce texte – dont la portée est uniquement politique, et non juridique – n’a pu recueillir l’aval des États concernés, il a été validé par les présidents en exercice de la Cedeao, Ellen Johnson-Sirleaf, et de l’UA, Idriss Déby Itno, ainsi que par le secrétaire général de l’ONU, António Guterres.

Sécurité militaire 

Tandis que les détracteurs de la déclaration lisent entre ses lignes une immunité excessive garantie à Yahya Jammeh, d’autres observateurs s’interrogent sur les raisons de la prolongation pour six mois – fût-elle demandée par le nouveau président, Adama Barrow – du mandat de cette force ouest-africaine à dominante sénégalaise.

Le dernier paragraphe du texte prévoit en effet que, une fois le départ de Jammeh acquis, « la Cedeao mettra un terme à ses opérations militaires en Gambie et s’attachera à trouver une solution politique à la crise ».

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