Le féminisme islamique, un mouvement en expansion qui rejette le modèle occidental d’émancipation

De nombreuses militantes du monde arabe entendent prendre leurs distances par rapport à un féminisme occidental vécu comme un legs colonial.

Asma Lamrabet est l’auteur du livre « Islam et femmes : les questions qui fâchent ». Ici en mai 2014 à Rabat. © Hassan Ouazzani pour JA

Asma Lamrabet est l’auteur du livre « Islam et femmes : les questions qui fâchent ». Ici en mai 2014 à Rabat. © Hassan Ouazzani pour JA

CRETOIS Jules

Publié le 18 avril 2017 Lecture : 4 minutes.

Rokhaya Diallo, militante associative antiraciste. © Cyrille Choupas pour J.A
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Afroféministes et fières de l’être

Elles ne veulent plus que d’autres parlent en leur nom et elles prennent la parole. Pour défendre haut et fort leurs droits et leurs idées. Rokhaya Diallo est l’une de ces voix.

Sommaire

Asma Lamrabet, médecin de profession, marocaine, revendique avec force le vocable « féministe islamique ». Pour cette femme qui porte le voile et prône l’égalité dans les salaires comme dans l’héritage, les textes islamiques sont fondamentalement égalitaires, quoi qu’en pensent les gardiens de l’orthodoxie religieuse – qui sont tous des hommes.

Dans un livre paru au Maroc en 2017, Croyantes et féministes. Un autre regard sur les religions, Lamrabet situe le féminisme islamique dans la droite lignée du mouvement afroféministe. Et ne cache pas qu’elle marche dans les pas d’une figure tutélaire, Amina Wadud, universitaire africaine-américaine de 64 ans qui s’est convertie à l’islam en 1972.

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Un double combat

Amina Wadud compte parmi ces voix fortes qui appellent à lutter avec la même détermination contre le patriarcat islamique et l’islamophobie. Asma Lamrabet, auteure de nombreux livres édités en arabe et en français, puise chez elle les armes intellectuelles pour mener son double combat : contre le patriarcat qui se présente comme musulman, mais aussi contre un féminisme pensé à Paris et qui ne correspond pas, selon elle, à ses propres réalités.

De Casablanca au Caire, une vague féministe nouvelle balaie les rives du monde arabo-musulman et érode les digues du legs colonial. Au Maghreb, ce féminisme assume son aspect spirituel, dans des sociétés longtemps marquées par l’influence laïciste française.

Revendiquer un féminisme endogène, avec ses particularités, et rejeter un féminisme occidental, libéral, perçu comme hégémonique, voilà de quoi est fait ce nouveau féminisme qui bouscule des associations de femmes déjà existantes (Association démocratique des femmes du Maroc, Association tunisienne des femmes démocrates), attachées à des référentiels idéologiques plus classiques.

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L’universalisme en question

Le point de jonction entre féministes se fait par la remise en question de l’universalisme prétendu du féminisme occidental. « Les discours de ces militantes trouvent un écho auprès des jeunes femmes éduquées et connectées aux débats européens ou américains », relève une jeune féministe tunisienne.

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Paradoxe : ces militantes qui défient un féminisme perçu comme offshore sont souvent étudiantes ou chercheuses à Paris, à Londres ou à Washington. Si elles sont écoutées, notamment en Égypte et au Maroc, ces féministes construisent un argumentaire savant et parfois peu accessible. Leur mouvement garde aujourd’hui un aspect élitiste.

 Ne pas me référer à la révolutionnaire française Olympe de Gouges, mais à Fatima, la fille du prophète Mohammed, cela me semble logique

« En revendiquant une reconnaissance de la pluralité des modalités d’émancipation féminine, le féminisme islamique se situe dans la lignée de la critique du black feminism », écrivait l’auteure et militante franco-irakienne Zahra Ali dans Féminismes islamiques, paru en 2012. « Ne pas me référer à la révolutionnaire française Olympe de Gouges, mais à Fatima, la fille du prophète Mohammed, cela me semble logique », concède une jeune féministe tunisienne, pourtant peu regardante en matière de religiosité.

Si certaines, à l’instar d’Asma Lamrabet, revendiquent haut et fort le besoin et l’envie de puiser dans des référentiels islamiques pour mener leur combat en faveur de l’égalité, d’autres semblent le faire par pragmatisme. « Le fait d’être une femme ne saurait éclipser d’autres variables déterminantes », souligne Fatima Khemilat, doctorante franco-algérienne et militante antiraciste. Un argument à rapprocher de l’afroféminisme, pour lequel antiracisme et lutte des classes doivent être intégrés à tout combat féministe.

Les féministes du monde musulman se méfient tout particulièrement du modèle occidental d’émancipation. Asma Lamrabet rappelle avec gravité la violence des séances de dévoilement forcé subies par les femmes algériennes et imposées par des femmes françaises, sous couvert de féminisme, durant la colonisation. Des pratiques le plus souvent imaginées par des hommes blancs, à la fois racistes et misogynes.

Instrumentalisation

Selon Khemilat, les féministes islamiques et les afroféministes partagent une même vigilance : elles doivent prendre garde à « l’instrumentalisation faite de leur cause ». Dans le monde arabe, de nombreuses féministes refusent en effet d’être les relais d’un discours stigmatisant les hommes, au point d’être invoqué pour légitimer des opérations militaires, comme lors de la guerre contre l’Irak en 2003.

L’argumentaire raciste qui, aux États-Unis, dépeignait une prétendue misogynie intrinsèque des hommes noirs n’est pas loin… Mona Eltahawy, féministe égyptienne – qui ne se revendique pas féministe islamique –, en convenait elle-même : « Ils [les islamophobes occidentaux] sont contents d’utiliser mes mots pour diaboliser les hommes de ma communauté. Mais je ne m’allierai jamais à eux. […] Je suis les enseignements des féministes noires […] : je combats le racisme et je combats le sexisme. »

L’ennemi commun, c’est le « fémonationalisme », c’est-à-dire l’exploitation de thèmes féministes par les nationalistes et les néolibéraux dans des campagnes « anti-islam » et « anti-immigration », et la participation de certaines féministes à la stigmatisation des hommes musulmans, selon Sara Farris, auteure d’In the Name of Women’s Rights : The Rise of Femonationalism, paru en 2017.

Vers une convergence des luttes

Angela Davis, militante afroféministe radicale, va plus loin : pour elle, la lutte féministe et l’engagement pour la cause palestinienne doivent avancer de pair. Selon elle, critiquer les opérations militaires israéliennes permet de refuser un féminisme occidental et libéral célébrant la participation des femmes à un monde qui génère guerres et inégalités. D’autre part, se soucier des femmes réfugiées ou vivant la guerre, c’est promouvoir « le féminisme des 99 % », forcément divers et pluriel, assure-t‑elle dans un texte cosigné avec Rabab Abdulhadi, féministe palestinienne, militante et enseignante à l’université de San Francisco.

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