Burkina-Faso : premiers pas de l’alliance entre l’Agence française de développement et la Caisse des dépôts et consignations

C’est à Ouagadougou que les deux institutions françaises ont annoncé le fruit de leur rapprochement : 600 millions d’euros, dont la moitié sera consacrée aux infrastructures sur le continent.

Rémy Rioux (au centre), Pierre-René Lemas (à sa droite) et le Premier ministre burkinabè, Paul Kaba Thieba, visitant la centrale solaire de Zagtouli, en construction. © Anne Mimault/AFD

Rémy Rioux (au centre), Pierre-René Lemas (à sa droite) et le Premier ministre burkinabè, Paul Kaba Thieba, visitant la centrale solaire de Zagtouli, en construction. © Anne Mimault/AFD

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 4 mai 2017 Lecture : 5 minutes.

C’est à une démonstration de force que les responsables de l’aide française se sont livrés du 3 au 5 avril au Burkina Faso. Pour prouver la réalité de leur rapprochement voulu par François Hollande et signé à la fin de 2016, le directeur général de l’Agence française de développement (AFD), Rémy Rioux, et le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), Pierre-René Lemas, sont venus à Ouagadougou annoncer quelques-uns des nouveaux outils qu’ils utiliseront de concert pour accélérer le financement du développement, et en particulier celui de l’Afrique : un fonds de 600 millions d’euros consacré aux infrastructures et l’institution d’une Caisse des dépôts et consignations burkinabè.

Pourquoi le Faso ? Pourquoi la CDC ?

Pourquoi le Faso ? « Parce qu’il s’agit d’un pays sahélien, donc qui affronte des difficultés particulières, mais qui conduit une expérience démocratique sous la direction d’un gouvernement efficace », explique Rémy Rioux, qui ajoute : « De plus, Ouagadougou est le siège de l’Union économique et monétaire ouest-africaine [Uemoa]. »

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Pourquoi la CDC ? « Parce que nous sommes une sorte de banque de développement », a expliqué Pierre-René Lemas au président, Roch Marc Christian Kaboré, pour justifier cette première visite d’un directeur général de la CDC en Afrique subsaharienne depuis sa création, en 1816. Effectivement, la Caisse, dont le territoire d’intervention était jusqu’à présent limité à la France, a, depuis deux cents ans, financé des voies ferrées, des écoles primaires, le logement social, les sports d’hiver, aujourd’hui l’emploi et la transition énergétique et numérique.

Priorités

Les visites réalisées sur place par les deux directeurs indiquent les priorités que s’est données l’aide française à la demande des autorités. Numéro un, l’énergie : la délégation a visité la centrale solaire (130 000 panneaux sur 55 ha) en construction à Zagtouli, qui permettra au mois de septembre à l’entreprise publique Sonabel de produire 55 GWh par an pour un coût estimé entre 30 et 40 F CFA le kilowattheure (entre 0,046 et 0,06 euro), contre un coût moyen de 139 F CFA en 2015. Avec des bénéfices immédiats : les délestages seront moins nombreux, et le déficit de la Sonabel sera divisé par deux.

Priorité numéro deux : l’éducation. Le doublement de la capacité d’accueil du lycée municipal de Sig-Noghin, qui fait partie de l’enveloppe de 80 millions d’euros d’un prêt de l’AFD à la ville de Ouagadougou, permettra de décongestionner les sixièmes, qui affichent complet avec 120 élèves par classe.

Coopération Lyon-Ouagadougou

Priorité numéro trois : l’urbanisme et la coopération décentralisée. Depuis 1993, les urbanistes de Lyon (sud-est de la France) et de Ouagadougou coopèrent pour maîtriser le foisonnement d’une capitale qui accueille 100 000 habitants supplémentaires par an et dont la population pourrait passer de 2 millions aujourd’hui à 6 millions en 2030.

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La coopération entre les deux cités a commencé par les ordures ménagères et s’est étendue entre autres aux plans d’urbanisme, à la circulation, à la voirie, à la police municipale. Lyon apporte son expertise aux projets de la capitale, qu’il s’agisse de rues pour relier centre et périphérie, de gare routière pour les bus interurbains ou de création de cœurs de quartier. L’AFD les cofinance.

Nos priorités seront l’énergie, l’éducation, la santé, les transports. Nous avons identifié une trentaine de projets urgents et faiblement rentables financièrement, mais très rentables en termes de développement.

Mais il fallait que la nouvelle « équipe de France » de l’aide au développement renforce sa capacité d’intervention sur l’ensemble du continent. Le nouveau fonds sera alimenté pour 500 millions d’euros par la CDC et pour 100 millions par l’AFD sur leurs fonds propres, ce qui lui donnera en matière d’infrastructures une force de frappe égale ou supérieure à celle d’Africa50, de la Banque africaine de développement, et à celle d’InfraVentures, d’IFC (groupe Banque mondiale). Cette dotation lui permettra de lever plus de 6 milliards d’euros.

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Bras armé

« Au moins la moitié de ces moyens financiers iront à l’Afrique, précise Rémy Rioux. Nos priorités seront l’énergie, l’éducation, la santé, les transports. Avec le cabinet d’audit KPMG, nous avons identifié une trentaine de projets urgents et faiblement rentables financièrement, mais très rentables en termes de développement. Nos interventions se feront en capital, et non sous forme de prêts, afin de supporter le risque le plus important. »

Ce fonds, qui n’a pas encore de nom, sera doté d’un conseil d’administration, d’un directeur général et d’un comité d’investissement paritaire CDC-AFD. Il entrera en action d’ici à la fin de cette année.

il nous faut expliquer aux banques qu’une Caisse n’est pas une concurrente, et convaincre les députés burkinabè qu’ils seront les garants de la sécurité de l’épargne populaire. Cela fonctionne en France, où la Caisse est le « bras armé » de l’État

La naissance d’une Caisse des dépôts et consignations burkinabè complétera le dispositif. Le Premier ministre, Paul Kaba Thieba, qui a travaillé comme gérant de portefeuille à la CDC française de 1988 à 1991, en est un fervent partisan. Il s’irrite de « l’argent qui dort [au Burkina Faso], alors que nous souffrons d’une insuffisance de crédits à long terme pour les investissements structurants, qui nous manquent cruellement, par exemple une université qui fasse renaître notre filière scientifique et qui donne des compétences dans tous les métiers aux jeunes Burkinabè », a-t-il déclaré à Jeune Afrique.

Il a demandé à la CDC son appui. « Nous savons transformer l’argent à vue en investissements à long terme », commente Pierre-René Lemas, qui a répondu présent. « Toutefois, il nous faut expliquer aux banques qu’une Caisse n’est pas une concurrente, et convaincre les députés burkinabè qu’ils seront les garants de la sécurité de l’épargne populaire.

Cela fonctionne en France, où la Caisse est le « bras armé » de l’État, tout comme en Allemagne ou au Maroc. Nous allons aider la Caisse burkinabè à élaborer ses règles prudentielles en matière de solvabilité, de liquidités et de change, car plus ces règles sont rigoureuses, plus on peut assumer de risques. » L’AFD financera deux études préalables.

Solides

La CDC burkinabè pourrait drainer les fonds de retraite des secteurs privé et public, le livret d’épargne de Sonapost, les dépôts des notaires et des huissiers, les réserves des banques. Une ressource – théorique mais impressionnante – que l’on chiffre à 500 milliards de F CFA (760 millions d’euros) dans l’entourage du Premier ministre.

Pierre-René Lemas donne deux conseils à ses futurs collègues : « Pour commencer, ne vous dispersez pas, choisissez peu de projets mais en petit nombre, et solides » et « investissez plutôt en capital que sous forme de dette ». Avec une « carotte » : « Les projets des CDC africaines seront prioritaires pour recevoir les financements CDC-AFD. »

Le « voyage de noces » de la Caisse et de l’Agence au Faso semble annoncer une véritable accélération de l’aide française à mettre au crédit de François Hollande, qui était jusque-là apprécié en Afrique surtout comme chef de guerre…

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