Pascal Boniface : « La France n’est grande que si elle représente autre chose qu’elle-même »
Connu pour son engagement en faveur de la reconnaissance de l’État de Palestine, le géopolitologue analyse la place de son pays dans le monde. Et son rôle dans les conflits en cours.
Dans son bureau, des livres bien sûr, mais aussi un maillot d’Ángel Di María, le génial milieu de terrain du Paris Saint-Germain, et des portraits de Léo Ferré, l’illustre chanteur libertaire décédé en 1993.
Passé par le Parti socialiste, dont il claqua la porte en 2003, et par divers cabinets ministériels (Jean-Pierre Chevènement, Pierre Joxe), Pascal Boniface (61 ans) est le directeur fondateur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), l’un des rares think tanks français. Mais le grand public le connaît surtout pour ses prises de position propalestiniennes et pour les passes d’armes qui en ont résulté avec des vedettes médiatiques comme Philippe Val, l’ex-patron de Charlie Hebdo, ou le philosophe et polémiste Bernard-Henri Lévy.
Le livre qu’il vient de faire paraître aux éditions Max Milo, Je t’aimais bien tu sais. Le monde et la France : le désamour ?, confirme sa propension à ruer dans les brancards. Il y manifeste une irréductible opposition à l’islamophobie et plaide pour un rapprochement avec la Russie. Parfois un peu trop général, son propos tout en franchise et en conviction ne cède en tout cas ni à la langue de bois ni au copinage.
Jeune Afrique : Problème de politique intérieure, l’islamophobie a-t-elle aussi un impact sur l’action diplomatique ?
Pascal Boniface : C’est ce que je constate tous les jours. Les classes moyennes africaines, arabes et maghrébines sont mondialisées et cultivées. Inévitablement, les propos hostiles à l’islam et/ou aux musulmans ternissent donc l’image de la France.
En matière diplomatique, le clivage gauche-droite a-t-il encore un sens ?
Pas depuis longtemps. Il y a plutôt d’un côté un camp « gaullo-mitterrandiste » et de l’autre un camp naguère qualifié d’« atlantiste », et qu’aujourd’hui on dirait plutôt « occidentaliste ». Pour les gaullo-mitterrandiens, la France et ses alliés ne se confondent pas avec l’Occident.
Vous-même êtes plutôt gaullo-mitterrandien ?
Oui, je crois que la France n’est grande que si elle représente autre chose qu’elle-même.
Quelle ligne prévaut actuellement ?
Depuis la fin de l’ère Chirac, c’est la ligne occidentaliste. Après son refus de la guerre en Irak, en 2003, Jacques Chirac lui-même a pris peur et a opéré un virage sur l’aile. Sarkozy a confirmé la tendance et Hollande a, comme d’habitude, tenté une synthèse. Mais il n’a pas tenu parole concernant la reconnaissance de l’État palestinien, bien que ses deux ministres des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault puis Laurent Fabius, y aient été favorables.
Le ministère de la Défense et Jean-Yves Le Drian ont occupé le devant de la scène diplomatique pendant tout le mandat qui s’achève…
C’est indiscutable s’agissant de l’Afrique, en raison des opérations militaires déclenchées en Centrafrique et au Mali. Pour mener à bien ces opérations, la France a été amenée à ne point trop se soucier de la respectabilité de ses alliés africains.
La réintégration au sein de l’Otan a elle aussi contribué à donner une coloration très particulière au mandat de Hollande et à renforcer le rôle du ministère de la Défense.
Vous portez un regard critique sur cette réintégration…
Je ne dis pas qu’il faille sortir de l’Otan, mais fallait-il accepter les programmes de défense antimissiles, qui ont provoqué une inutile et coûteuse course aux armements et suscité des tensions avec la Russie ? Celles-ci influent aujourd’hui négativement sur les discussions qu’il faudrait avoir à propos de la Syrie, par exemple.
Impossible de sortir de la crise syrienne sans dialoguer avec les Russes ?
Il aurait fallu les inclure, dès le départ, dans le traitement du dossier. On sait qu’ils s’étaient sentis floués par les opérations franco-britanniques en Libye. Le renversement de Mouammar Kadhafi s’était vite substitué à l’objectif initial, qui était de protéger Benghazi, ce qui a beaucoup énervé les Russes et nous a privés de partenaires quand la Syrie a basculé dans la guerre.
D’autre part, beaucoup de gens ont cru, en France notamment, que Bachar al-Assad allait être rapidement très affaibli – ce qui ne s’est pas produit. Ce qui m’inquiète aujourd’hui, c’est bien sûr ce bombardement américain contre une base aérienne syrienne, probablement décidé à des fins médiatiques et de politique intérieure. Il ne fait que resserrer les liens entre Damas et Moscou et éloigne toute perspective de règlement politique.
La France doit-elle reconnaître les crimes commis pendant la guerre d’Algérie ?
Il est temps de refermer les vieilles blessures. Plutôt que de s’égarer dans des déclarations unilatérales et souvent intempestives, mieux vaudrait engager un travail conjoint des historiens des deux pays. La France l’a fait avec l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, ce qui a eu des conséquences jusque sur les programmes scolaires.
La Turquie a-t-elle sa place en Europe ?
Plus aujourd’hui. Le problème, ce n’est pas la Turquie elle-même, encore moins, bien sûr, le fait qu’elle soit un pays musulman, ce sont les orientations prises par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan. Elles sont en effet très loin de satisfaire aux conditions d’adhésion à l’UE définies par les fameux « critères de Copenhague », qu’il s’agisse de l’indépendance de la justice ou de son adéquation à la législation européenne.
Comprenez-vous les critiques suscitées en Afrique par la Cour pénale internationale (CPI) ?
La CPI est un progrès, mais je comprends ceux qui s’en méfient. Elle leur apparaît comme un outil « à géométrie variable », qui ne punit que les faibles. Il faut avoir le courage de demander que les ressortissants de grandes nations soient déférés devant elle – je pense par exemple à George W. Bush –, faute de quoi sa légitimité continuera d’être contestée.
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