Matthieu Chedid : « Les musiciens européens ont besoin de l’énergie malienne »

Fatoumata Diawara, M, Toumani et Sidiki Diabaté livrent un album collectif amoureux et nostalgique, « Lamomali », fusionnant musique traditionnelle malienne et pop.

M, avec Fatoumata Diawara. © Claire Delfino pour JA

M, avec Fatoumata Diawara. © Claire Delfino pour JA

leo_pajon

Publié le 9 mai 2017 Lecture : 7 minutes.

Un griot blanc et des griots noirs. C’est dans le salon parisien de Matthieu Chedid, alias M, début 2015, peu après les attentats de Charlie Hebdo, que naît un projet un peu fou. Le chanteur, qui figure parmi les artistes français les plus populaires, improvise avec bonheur en compagnie de Toumani et Sidiki Diabaté, entre kora et guitare électrique.

Le courant passe… Plus qu’un courant, une âme lie les musiciens, qui décident de se lancer dans la réalisation d’un album collectif reliant Paris et Bamako, invitant à l’amour universel et au partage. Le résultat ? Lamomali, objet discographique non identifié, s’ouvrant à toutes les influences, à toutes les langues et rassemblant une vingtaine d’artistes au total.

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Les Maliens sont particulièrement bien représentés, avec notamment Fatoumata Diawara, électron libre prêtant sa voix à de nombreux projets (notamment un duo très réussi avec le pianiste de jazz cubain Roberto Fonseca). Mais aussi Amadou et Mariam, Mamani Keita, Moriba Diabaté… Entretien avec deux des principaux interprètes du projet à l’aube d’une tournée hexagonale de juin à juillet, en attendant des dates africaines.

Jeune Afrique : Il n’y a pas de nom d’artiste sur la couverture de votre album, Lamomali.

Matthieu Chedid : Non, car c’est un album collectif, collaboratif, avec au cœur du projet Toumani, Sidiki et Fatoumata. Moi, j’ai un peu joué le rôle de commandant du navire.

Fatoumata Diawara : C’est l’album de tous les Maliens, d’un monde meilleur où, comme le dit Matthieu, nous serons tous une seule âme.

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Matthieu, ce projet est né chez vous, au cours de séances d’improvisation ?

M.C. : On s’offrait nos scènes avec Toumani et Sidiki depuis quelques années. C’est souvent des moments de communion, de méditation, grâce à cet instrument incroyable qu’est la kora. On s’est dit que ce serait bien d’aller plus loin…

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Il y a un an et demi, dans mon salon, en improvisant durant deux après-midi, on avait la trame mélodique de l’album. À partir de là, il a fallu créer un monde, des arrangements, des textes, des collaborations. Eux font une musique pure, traditionnelle, sans artifice. Moi j’ai assuré la réalisation, aidé notamment de Pierre Juarez, qui a proposé des arrangements plus modernes.

Sidiki Diabaté s’inscrit déjà dans une modernité.

M.C. : Oui, mais plus dans un créneau musique urbaine, hip-hop… Ça aurait été différent. Toumani avait formulé très clairement la chose, il m’avait dit : « Fais-nous un album avec “le son M”, avec ta couleur à toi. » Puis s’est imposée la voix de Fatoumata. Nous nous étions rencontrés à Marseille au concert Africa Express, organisé par Damon Albarn. Très vite, sur scène, nous avons joué ensemble… C’était un bonheur, alors que nous nous croisions pour la première fois.

Fatoumata, vous êtes une habituée des collaborations. C’était comment, de travailler avec M ?

F.D. : Comme une évidence. Nous avons enregistré quatre titres en quelques heures, le temps d’une soirée, alors que je n’avais jamais écouté les musiques. Ce disque, pour moi qui ai un rapport très maternel à la musique, c’est un peu mon bébé.

Un bébé français ? Malien ?

F.D. : Universel ! On y entend toutes les langues [anglais, français, arabe, hindi, portugais, chinois sur le titre « Solidarité », par exemple], beaucoup d’artistes [17 en plus des quatre interprètes principaux]. Matthieu est très modeste quand il décrit le projet, mais on y trouve une humanité, une générosité énorme qui n’existent que rarement dans cette industrie.

Lui et Youssou Ndour, présent sur l’album, auraient pu faire cinq albums tous les deux, ils n’avaient pas besoin de nous. Mais il y a cet amour, cette envie de partage à un moment où nous sommes à un tournant.

Cet album est né dans un contexte très particulier… entre les attentats de Charlie Hebdo et ceux du bar La Terrasse, à Bamako, en 2015.

M.C. : Forcément, cela a influencé l’écriture. Il y avait une nostalgie, la mélancolie d’une insouciance perdue. Nous avions conscience que nous ne pouvions plus faire que du divertissement.

J’imagine que dans votre public il y a assez peu de jihadistes… Quelle peut être la portée de votre musique ?

M.C. : Je vous renvoie à la citation de ma grand-mère, Andrée, qui est sur la couverture de l’album : « Toi, qui que tu sois, je te suis bien plus proche qu’étranger. » Il faut arrêter de diviser le monde entre gentils et méchants. Il y a dans les actes de violence beaucoup d’amour contrarié.

F.D. : Hier, nous avons fait un concert sauvage au jardin du Luxembourg, il y avait beaucoup d’enfants. Et tu sais qu’ils t’entendent, qu’ils t’écoutent, qu’ils ont besoin de ce message d’amour, comme si l’on confirmait quelque chose en eux.

M.C. : C’est aussi une manière de lutter contre le cynisme ambiant. Il n’y a pas de cynisme dans la musique.

Matthieu, ce sont Amadou et Mariam qui vous ont fait découvrir le Mali ?

M.C. : Oui, il y a presque vingt ans. Nous nous étions rencontrés à l’occasion d’une collaboration pour Real World, le label créé par Peter Gabriel pour promouvoir la world music. La connexion s’est faite immédiatement. Puis, quelques années plus tard, ils m’ont invité au Mali pour un festival, Les Paris Bamako, dans un institut pour jeunes aveugles.

En janvier, vous avez joué des morceaux de Lamomali pour l’Institut français de Bamako. Vous avez un public au Mali ?

M.C. : Oui, je dirais même que les Maliens sont plus intéressés que les Français. D’abord la démarche les touche profondément, ensuite ils voient bien que c’est un projet sincère. Mon rêve à moi, c’est évidemment d’y retourner.

F.D. : Pour l’instant, à cause des problèmes de sécurité, c’est compliqué, on ne peut pas mettre Matthieu en danger.

M.C. : Le projet, c’est aussi de porter la vibration, l’âme malienne ailleurs, en France par exemple. Lamomali, c’est un monde idéal où tout est possible, où Philippe Jaroussky, chanteur haute-contre, peut faire un duo avec le griot guinéen Kerfala Kanté, tout ça avec du balafon et un quatuor à cordes.

Où la kora peut faire une suite mélodique à partir de laquelle on peut esquisser une chanson plus pop, comme dans « Une âme »… Pour ce titre, je me souviens que Fatoumata improvisait pendant l’enregistrement avec son fils sur le dos ! On entend d’ailleurs un peu son bébé à la fin de la chanson.

Matthieu, par votre grand-mère, vous avez des racines égyptiennes, libanaises… Vous avez été attiré par une musique plus orientale ?

M.C. : En fait je connais mal les gammes orientales. Je suis plus à l’aise dans du blues-rock, qui fonctionne bien avec la musique malienne. On y utilise la même gamme pentatonique, à cinq notes, et je me connecte surtout à une vibration, ce n’est pas intellectualisé. Je n’ai pas la culture, le lexique de cette musique, mais j’ai l’âme.

Vous n’aviez pas peur de tomber dans le cliché ? Vous faites référence à une certaine sensualité africaine, vous parlez d’une Afrique qui danse…

M.C. : J’y ai pensé. Mais je crois à l’intention qui accompagne l’acte. La mienne était pure, sans calcul… Au pire, je dis des conneries, mais avec le cœur ça passe. Cet album, on l’a créé pour les Maliens. C’est Toumani qui m’a demandé avec émotion de le faire, parce que pour lui ce projet était « vital », qu’il permettait de créer des ponts.

F.D. : Alors que nous échangeons beaucoup entre la France et le Mali au niveau social, politique, au niveau culturel ça reste faible. On a plus de collaborations avec des anglophones… Björk, Damon Albarn, beaucoup de bluesmen sont venus chez nous.

M.C. : Je pense qu’en France, en Europe, on a aussi énormément besoin de cette énergie qu’apporte la musique malienne. Il y a quelque chose d’initiatique. On ouvre des portes. Ce n’est pas anodin, surtout dans cette période d’élections que nous vivons.

Or naïf

«On a connu Tintin au Congo, et voilà M au Mali. » Dans sa chronique, un journaliste du quotidien Libération a eu la main lourde, dénonçant la « cruelle naïveté » de Lamomali, beaucoup de « bons sentiments » qui au fond ne raconteraient rien. C’est se tromper sur plusieurs points. D’abord Lamomali n’est pas un album de M, mais un projet collectif.

Y voir un disque du Français est paradoxalement une lecture très coloniale de l’aventure. Ensuite, la naïveté est totalement revendiquée. Pour Matthieu Chedid, il faut même la cultiver : « Je trouve d’ailleurs très rassurant que l’album plaise aux enfants, explique l’artiste. Cela prouve que ça ne passe pas par de l’intellect, que c’est vibratoire. »

Si dans son écriture M fantasme un Mali érotisé, « dévêtu », parfois cliché, les fusions provoquées dans l’album font souvent mouche. Par exemple lorsqu’il chante, en griot blanc, accompagné de Sidiki Diabaté, les louanges de Toumani, ou qu’il interprète le nostalgique « Cet air » avec Fatoumata Diawara entre kora, orgue, cordes et sons électro. Le méli-mélo mélancolique de Lamomali nous emmène loin, réchauffe l’âme, et c’est déjà pas mal.

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