Côte d’Ivoire : dans les entrailles du barrage géant de Soubré

Le plus important barrage hydroélectrique de Côte d’Ivoire, avec une capacité totale de 275 MW, va être officiellement inauguré ce jeudi 2 novembre. Il y a six mois, Jeune Afrique vous plongeait au cœur de ce chantier monumental.

Le barrage de Soubré, construit et financé par la Chine. © Julien Clémençot pour JA

Le barrage de Soubré, construit et financé par la Chine. © Julien Clémençot pour JA

Julien_Clemencot

Publié le 18 mai 2017 Lecture : 6 minutes.

À Soubré, le barrage sur le fleuve Sassandra est très, très longtemps resté un éléphant blanc. Les premières études lancées dans les années 1960 avaient presque débouché sur sa construction vingt ans plus tard, avant que le projet ne soit finalement repoussé. Mais d’ici à quelques mois, le chef-lieu de la région de Nawa, à 130 km au nord de San Pedro, pourra enfin revendiquer la plus importante centrale hydroélectrique de Côte d’Ivoire.

Fin avril, les ouvriers s’affairaient dans l’usine, vingt mètres en contrebas du sommet du tablier en béton, autour des trois immenses turbines, dont les rotors pèsent 330 tonnes chacun. La production d’électricité démarrera au plus tard début juin avec la mise en route d’une première unité. Elle sera suivie par l’entrée en service d’une deuxième turbine en juillet, puis d’une troisième en septembre.

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Une capacité de 275 MW

Toutes ont été fabriquées par le groupe français Alstom, qui assurera leur maintenance pendant un an. Au total, le barrage possédera une capacité de 275 MW quand l’ensemble des ouvrages hydroélectriques ivoiriens représentent actuellement 609 MW.

Trois autres centrales seront construites dans les années à venir en aval de Soubré pour tirer pleinement parti du potentiel du fleuve Sassandra. En 2016, Adama Toungara, alors ministre de l’Énergie, avait annoncé l’intention du gouvernement de doubler la capacité du pays (2 000 MW) à l’horizon 2020.

Rempli entre le 6 et 29 mars, le réservoir qui alimentera l’usine hydroélectrique recouvre 17 km2. Si une partie des arbres immergés ont été abattus pour faciliter la navigation sur le plan d’eau et limiter le nombre de troncs entraînés par le courant vers l’usine, des centaines de cimes déplumées dépassent encore de la surface, donnant un air de désolation au lac nouvellement créé.

le débit du fleuve garantit la disponibilité de l’eau, y compris dans un contexte de changement climatique

« C’est un barrage “au fil de l’eau” : la retenue est relativement modeste, dix fois moins importante que celle du projet arrêté dans les années 1980, car le réservoir principal est assuré par le barrage de Buyo, en amont. Mais le débit du fleuve garantit la disponibilité de l’eau, y compris dans un contexte de changement climatique », estime Olivier Maxime Dibahi Balet, chef de mission de CI-Énergies à Soubré.

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L’entreprise publique, qui supervise pour le compte de l’État l’avancement du chantier avec l’appui du cabinet d’ingénierie Tractebel, filiale d’Engie, sera ensuite chargée de son exploitation. L’électricité sera acheminée vers Abidjan au moyen d’une ligne à haute tension qui existait déjà mais a été doublée.

Des équipes y travaillent jour et nuit

Prévu pour être achevé en cinquante-cinq mois, le barrage va finalement être livré avec plus d’un an d’avance. Pressée d’enrichir la liste de ses réalisations, la présidence a demandé à l’entreprise chinoise Sinohydro, vainqueur de l’appel d’offres, de doubler les équipes pour qu’elles travaillent jour et nuit à partir de mi-2014. Fin avril, le chantier était achevé à plus de 95 %. Au plus fort de l’activité, près de 3 000 personnes y travaillaient.

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« L’effectif était composé à 80 % d’Ivoiriens et à 20 % de techniciens et d’ingénieurs étrangers, afin de favoriser les retombées pour l’économie nationale. La majorité des matériaux de base comme les fers à béton ou le ciment ont été achetés en Côte d’Ivoire ou extraits sur place », explique Olivier Maxime Dibahi Balet.

Sur le site même, Sinohydro a construit une cimenterie et a installé un laboratoire où l’ensemble des éléments utilisés ont été testés. Étirement, compression, immersion, toutes les contraintes physiques subies par les matériaux ont été reproduites pour garantir la solidité de l’ouvrage. Rien n’est laissé au hasard.

Un investissement de 280 milliards de F CFA, soit près de 427 millions d’euros

L’inverse serait étonnant. La construction du barrage représente un investissement de 280 milliards de F CFA (près de 427 millions d’euros) financé à 85 % par la banque chinoise Exim Bank et à 15 % par l’État ivoirien. Le remboursement s’effectuera sur trente ans à partir de 2020. Abidjan a également déboursé 51 milliards de F CFA pour couvrir la totalité des études d’impacts sociaux et environnementaux, le contrat d’ingénierie de Tractebel, l’indemnisation et la réinstallation des personnes affectées par le projet.

S’il n’est pas très haut, le barrage de Soubré reste impressionnant. Pour détourner le cours du fleuve, Sinohydro a bâti une digue de 4,5 km de longueur qui, au sud, conduit à l’usine. Elle est constituée de plus de 1,3 million de mètres cubes de remblai, mais aussi de 200 000 m3 de ciment et 140 000 t de béton.

La particularité du projet est que le réservoir est doté d’un évacuateur permettant de lâcher le trop-plein d’eau dans le lit naturel du fleuve en cas de crue, jusqu’à 5 500 m3 par seconde. Pour résister à la pression, les murs et les piliers font jusqu’à 1,5 m d’épaisseur et sont par endroits ancrés dans le sol sur plus de 5 m de profondeur. À l’issue des derniers travaux, l’évacuateur alimentera aussi une petite turbine d’une puissance de 5 MW en complément des trois turbines de 90 MW installées dans l’usine principale.

Même si la communication avec les techniciens chinois  n’est pas toujours évidente, il n’y a eu aucun accident mortel sur le chantier

À quelques semaines du terme du chantier, le représentant de CI-Énergies est satisfait de la collaboration avec Sinohydro. « Il n’y a pas de bonnes entreprises, il n’y a que de bons clients, insiste-t‑il. Avant le démarrage du projet, nous avons visité plusieurs barrages construits par notre partenaire au Mali, au Ghana et au Congo pour avoir un retour d’expérience. Même si la communication avec les techniciens chinois [dont très peu parlent le français ou l’anglais] n’est pas toujours évidente, il n’y a eu aucun accident mortel sur le chantier », se félicite l’ingénieur.

Au-delà des réalisations techniques, Olivier Maxime Dibahi Balet a aussi consacré une grande partie de son temps à la gestion des impacts sociaux et environnementaux du projet. Selon l’étude réalisée en 2013, 8 000 personnes sont concernées, soit parce qu’elles habitaient l’un des trois villages déplacés – dont un partiellement –,soit parce que leurs champs ont été submergés.

392 ménages déplacés

Les expropriations ont été indemnisées en fonction de barèmes négociés avec les populations. De 2 à 2,5 millions de F CFA pour le paysan qui cultivait un hectare de cacaoyers et 4 millions pour le détenteur des droits coutumiers de la parcelle. Sur les 392 ménages déplacés, 158 vivent encore dans des logements provisoires.

Dans les lotissements déjà aménagés, où les petites villas de 2 à 5 pièces sont plantées en rangs serrés, les nouveaux habitants prennent progressivement leurs quartiers. Ici et là apparaissent des poulaillers faits de bric et de broc, quelques plants de tomates, des bancs…

Installé depuis deux semaines dans sa nouvelle maison avec les huit membres de sa famille, Olivier Gnonoto, ancien habitant du village de Kpehiri, est satisfait des mesures prises par les pouvoirs publics. « Je vivais dans une maison en terre battue. Maintenant, j’ai une habitation en dur raccordée à l’eau et à l’électricité », se félicite-t‑il.

Les champs disponibles sont rares, et je n’ai retrouvé que cinq hectares à cultiver, contre treize auparavant

Mais cet agriculteur sait qu’il va devoir adopter un nouveau mode de vie. « Les champs disponibles sont rares, et je n’ai retrouvé que cinq hectares à cultiver, contre treize auparavant. Je vais donc ouvrir un petit commerce grâce à l’indemnisation que j’ai reçue », explique-t‑il. D’autres devraient se tourner vers la pêche : un débarcadère et un marché aux poissons doivent être construits.

Dans son bureau, installé à quelques centaines de mètres du barrage, Olivier Maxime Dibahi Balet, lui-même originaire de la région, est conscient des bouleversements provoqués par le projet. Mais le chantier va aussi permettre d’électrifier plus de dix villages et de faire des forages pour répondre aux besoins en eau potable de Soubré pour les dix prochaines années. Loin d’être sacrifiées au nom du développement national, les populations vont largement en profiter, pronostique-t‑il.

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