Côte d’Ivoire – Transports : duel serré de bateaux-bus sur la lagune Ébrié à Abidjan

Avec la libéralisation des bateaux-bus à Abidjan en Côte-d’Ivoire, la concurrence s’annonce vive entre la Société de transport lagunaire (STL) et Citrans, qui a lancé ses activités le 10 juin.

Citrans démarrera ses rotations le 1er juillet. © Sia KAMBOU/AFP

Citrans démarrera ses rotations le 1er juillet. © Sia KAMBOU/AFP

Publié le 28 juin 2017 Lecture : 5 minutes.

Sur la lagune Ébrié, à Abidjan, le glas a sonné pour le monopole d’État de la Société des transports abidjanais (Sotra). L’entreprise publique prend en charge actuellement 30 000 passagers par jour via son système de transport lagunaire. Un chiffre jugé bien insuffisant pour faire face à la demande. « À Abidjan, 1,2 million de personnes ont besoin de se déplacer tous les jours. L’État n’avait pas d’autre choix que de concéder le transport lagunaire pour compléter l’offre publique », explique un membre du gouvernement.

Le Conseil des ministres du 4 février 2015 a donc décidé la libéralisation du secteur. Deux entreprises se sont mises sur les rangs et investissent à coups de milliards de F CFA pour déployer leur stratégie, la Société de transport lagunaire (STL), qui a démarré ses opérations au mois d’avril grâce à une concession de l’État de trente ans sous forme de construction-exploitation-transfert (BOT), et Citrans, qui a signé pour vingt-cinq ans et a officiellement lancé ses activités le 10 juin.

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La STL prépare sa flotte

Filiale à 100 % du groupe Société nationale d’édition de documents administratifs et d’identification (Snedai) fondé par l’homme d’affaires Adama Bictogo, STL prévoit un investissement global de 45 milliards de F CFA (68,6 millions d’euros) sur cinq ans, financé à la fois par des fonds propres et par le secteur bancaire. L’entreprise, qui compte déjà deux gares opérationnelles à Treichville et à Cocody Riviera et doit en ouvrir au Plateau et à Yopougon, dessert depuis le 1er avril le tronçon Plateau-Treichville-Riviera, soit une rotation de trente minutes assurée par une dizaine de bateaux.

Nous devrions transporter 26 000 passagers par jour dans un premier temps, et nous monterons graduellement en puissance, pour atteindre 100 000 passagers à notre vitesse de croisière

Pour le moment, le taux de remplissage oscille entre 10 % et 25 %, mais STL espère monter rapidement à 80 %. Au 1er juillet, la desserte Yopougon-Plateau-Treichville sera opérationnelle avec une flotte de seize bateaux. Et STL ne compte pas s’arrêter là : la société devrait acquérir 15 nouveaux navires en 2018 et 14 en 2019, pour porter sa flotte à 45 appareils. La construction de six nouvelles gares dans les deux prochaines années est également planifiée. « Nous devrions transporter 26 000 passagers par jour dans un premier temps, et nous monterons graduellement en puissance, pour atteindre 100 000 passagers à notre vitesse de croisière », a confié à Jeune Afrique le directeur général de la STL, David Fofana.

Citrans veut un chantier naval

De son côté, Citrans prévoit de transporter dès le début 40 000 passagers par jour et d’exploiter six gares. La société, qui a présenté en juin ses 6 premiers bateaux en attendant le démarrage effectif du trafic, prévu en septembre, devrait porter sa flotte à 11 navires d’ici à la fin de l’année. Dès 2018, Citrans devrait passer à 23 bateaux, pour atteindre plus de 100 000 passagers pour un total de dix gares.

Si l’investissement de lancement est estimé à 14,5 milliards de F CFA, financé à hauteur de 10 milliards de F CFA par la Banque Atlantique de Côte d’Ivoire (Baci) et de 4,5 milliards de F CFA par les actionnaires, il devrait dépasser les 50 milliards de F CFA à partir de 2019, lorsque Citrans et Nautic, son partenaire sud-africain, créeront un joint-venture portant sur la réalisation d’un chantier naval à Abidjan pour fabriquer le reste de la flotte, soit 21 bateaux. La nouvelle entité élargira son offre grâce à la construction de bâtiments de pêche pour tous les pays de la sous-région.

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Si Citrans – filiale du groupe financier Conad détenue à 75 % par des privés ivoiriens et à 25 % par des partenaires institutionnels et financiers dont les noms n’ont pas été dévoilés – a choisi de s’associer au sud-africain, numéro un sur le continent, la STL a noué une alliance avec le groupe néerlandais Damen, l’un des spécialistes européens des chantiers navals, qui lui fournit des bateaux dont la capacité est de 150 places. Dans un deuxième temps, ce partenaire néerlandais devrait ouvrir un atelier de maintenance et de réparation à Abidjan.

Billetterie : deux écoles

Citrans a opté pour des bateaux de type catamaran de 240 places. « Nous avons choisi ces modèles pour tenir compte du plan d’eau, qui n’est pas profond par endroits et regorge de nombreuses salades d’eau qui peuvent emballer les moteurs », a confié Zoumana Bakayoko, son PDG. La compagnie a fait le pari du luxe, proposant une classe économique au prix de 200 F CFA, mais aussi des cabines VIP climatisées et équipées du wifi, pour un tarif de 500 F CFA. STL affiche la même fourchette de prix, mais échelonne les tickets en fonction de la longueur des trajets : 200 F CFA pour les plus courts et 500 F CFA pour les plus longs.

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Côté billetterie, STL a mis en place un système de ticketing qui facilite la gestion du trafic. « Notre modèle permet l’impression automatisée des tickets, qui peuvent être achetés en ligne à partir de notre site, ainsi que via le mobile money », explique David Fofana. Celui-ci précise que l’entreprise s’est associée au leader français de la billetterie informatisée et du contrôle d’accès Elisath, tandis que la gestion du trafic dans sa globalité a été confiée à une autre société hexagonale, Lumiplan.

Il faut éviter les longues files d’attente aux guichets des gares, tout se fera à partir d’un téléphone

De son côté, Citrans a choisi Ixxi, filiale de la Régie autonome des transports parisiens (RATP), pour son système de billetterie et Orange Côte d’Ivoire pour l’e-ticket via sa plateforme mobile money. « Il faut éviter les longues files d’attente aux guichets des gares, tout se fera à partir d’un téléphone », explique Zoumana Bakayoko.

Les deux entreprises envisagent en outre de développer un mode de transport multimodal pour compléter le parcours de leurs passagers. « Nous sommes en discussion pour créer des arrêts de bus autour de nos gares lagunaires », explique David Fofana, avant d’annoncer l’ambition de la STL de développer aussi des circuits touristiques sur la lagune. Si le tourisme ne constitue pas le cœur de métier de Citrans, l’entreprise ne compte pas se laisser distancer sur le sujet et l’a inscrit dans son business plan. L’un de ses bateaux VIP sera ainsi aménagé en bateau-mouche, doté notamment d’un bar-pub et affecté au tourisme. Pas de doute, le duel est bien lancé.

Deux redoutables hommes d’affaires face à face

  • Adama Bictogo, député-patron

Ce membre influent du Rassemblement des républicains (RDR) porte l’étiquette du parti au pouvoir à l’Assemblée nationale. Ancien ministre de l’Intégration africaine, il a réussi à mener de pair sa carrière politique et des affaires déjà florissantes.

Adama Bictogo pose pour une photo dans son bureau le 19 aout 2015 à Abidjan © Olivier pour JA

Adama Bictogo pose pour une photo dans son bureau le 19 aout 2015 à Abidjan © Olivier pour JA

Il est à la tête du groupe Snedai, actif dans le négoce et les services, qui revendique 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Outre STL, il envisage de lancer une centrale thermique d’électricité au charbon dans la deuxième ville ivoirienne.

  • Zoumana Bakayoko, serial entrepreneur

C’est un redoutable homme d’affaires qui a été député sous la bannière du RDR de 2011 à 2016. Ses activités vont de l’agrobusiness (négoce de cacao, d’anacarde, distribution d’engrais…) aux télécoms en passant l’immobilier et aujourd’hui le transport lagunaire.

Zoumana Bakayoko, serial entrepreneur © DR

Zoumana Bakayoko, serial entrepreneur © DR

Frère de l’influent ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Hamed Bakayoko, le patron de Conad a su multiplier les partenariats mais a dû renoncer à son mandat de parlementaire pour se consacrer au business.

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