Sommet UA-UE : Sahara marocain, la bataille d’Abidjan
Peut-on concevoir un sommet entre l’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE) sans la participation de l’un des partenaires majeurs de l’Europe sur le continent africain mais avec celle d’une « République » dont ni l’UE ni l’ONU ne reconnaissent l’existence ? À moins d’un mois de la tenue à Abidjan, les 29 et 30 novembre, du cinquième sommet UA-UE, la question se pose pourtant.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 9 novembre 2017 Lecture : 6 minutes.
Maroc : le séisme comme outil politique
Tombées comme un couperet à la lumière du rapport sur l’exécution des projets d’Al Hoceima au Maroc, les sanctions extrêmement sévères décrétées par Mohammed VI illustrent un style de gouvernance aussi maîtrisé qu’imprévisible.
À l’origine de ce véritable casse-tête pour le président ivoirien, Alassane Ouattara, hôte de cette rencontre : le changement d’appellation du sommet. Depuis la première d’entre elles, au Caire, en 2000, ces réunions de chefs d’État avaient pour intitulé « sommet Afrique-Union européenne ». N’y participaient que des gouvernements internationalement reconnus, ce qui de facto en excluait la République arabe sahraouie démocratique (RASD).
Mais depuis que le Maroc a intégré l’UA, le 30 janvier 2017, la formulation a changé : rien en principe ne s’oppose désormais à l’appellation « sommet UA-UE ». Actée par les Européens, cette modification somme toute logique a un effet collatéral non négligeable, le grain de sable qui va bloquer la mécanique : membre de l’UA, la RASD peut désormais participer !
Changement symbolique
Or le Maroc, qui n’a accepté de siéger à Addis-Abeba aux côtés des Sahraouis que du bout des lèvres (et avec l’objectif sous-jacent d’obtenir le retrait de ce qu’il considère comme une aberration), ne l’entend pas de cette oreille. À ses yeux, comme à ceux de ses alliés sur le continent, mais aussi de la majorité des poids lourds de l’UE, dont la France, le changement d’appellation est symbolique et ne signifie pas que l’on change ipso facto de format.
Absente des quatre précédents sommets, la RASD doit l’être de celui d’Abidjan. Dans le cas contraire, on ouvrirait une boîte de Pandore qui permettrait à cet « État » de revendiquer une place partout où l’UA se réunira avec une autre entité multinationale.
Proche du Maroc, l’un des tout premiers investisseurs en Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara partage cette opinion. Fin septembre, le chef de la RASD et du Polisario, Brahim Ghali, ne figure donc pas parmi les destinataires des invitations adressées par le président ivoirien à ses pairs africains et européens.
Peur du désordre
Aussitôt, ceux qui en Afrique reconnaissent encore l’entité sahraouie et la portent à bout de bras montent au créneau. L’Algérie bien sûr, mais aussi et surtout l’Afrique du Sud et une demi-douzaine de pays d’Afrique australe et lusophone, lesquels agitent la menace d’un boycott. Le Nigeria, lui, envoie des signaux contradictoires, le président Buhari assurant les deux parties de son soutien.
Même si les « pro-RASD » ne sont pas les plus concernés par l’agenda du sommet, ni par la coopération avec l’Europe, leur absence ferait désordre. Pour le pays hôte, certes, mais aussi pour le président en exercice de l’UA, le Guinéen Alpha Condé, déjà accusé par les adversaires d’un retour du Maroc dans les instances panafricaines d’avoir fait entrer le loup dans la bergerie et qui se passerait volontiers d’un tel imbroglio, à trois mois de la fin de son mandat.
Tensions
Le 16 octobre, l’étau se resserre autour du président ivoirien. Réuni à Addis-Abeba, le conseil exécutif de l’UA, qui regroupe les ministres des Affaires étrangères, réaffirme après des débats houleux le droit des 55 pays membres à être invités au sommet d’Abidjan et donne dix jours au président de la Commission, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, pour trouver une solution. Faute de quoi ledit sommet sera délocalisé dans la capitale éthiopienne.
Alors que le compte à rebours est enclenché, les deux camps s’agitent en coulisses. Côté marocain, le très actif ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, effectue une tournée express en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest avant de se rendre à Bruxelles, alors que l’eurodéputée française (d’origine marocaine) Rachida Dati, lobbyiste assumée d’une cause qu’elle a faite sienne, fait l’aller-retour entre Rabat et Abidjan.
Côté RASD, c’est sans nul doute dans ce contexte tendu qu’il convient de placer les ahurissantes déclarations antimarocaines de l’homologue algérien de Nasser Bourita, Abdelkader Messahel, lors d’un forum de chefs d’entreprise qu’il exhortait à investir en Afrique, le 20 octobre. Déclarations qui peuvent se résumer ainsi : comment un « narco-État » peut-il prétendre être l’ami des Africains ?
L’UA qui invite
La solution – ou plutôt le compromis provisoire – est l’œuvre de Moussa Faki Mahamat. Avalisée par Alpha Condé et Alassane Ouattara le 26 octobre à l’issue d’une courte visite de ce dernier à Conakry, elle relève en réalité d’un stratagème destiné à escamoter l’échéance du 27, mais qui ne règle rien dans le fond.
Ce que le « ministère de l’Information » de la RASD, mais aussi la porte-parole du président de la Commission et belle-sœur du président namibien Hage Geingob, Ebba Kalondo, ainsi que plusieurs médias occidentaux présentent alors comme la preuve que la République sahraouie est bel et bien invitée à Abidjan n’est en réalité qu’une simple note verbale émanant de la mission permanente ivoirienne auprès de l’UA. Or cette note, dans laquelle la Côte d’Ivoire réitère son « engagement à faciliter la participation de tous les États membres de l’UA à ce sommet », est ambiguë : elle ne vaut pas invitation en bonne et due forme, laquelle doit en principe porter la double signature du président Ouattara et du président de la Commission.
Il est donc probable que le roi décide d’être sous-représenté au sommet afin de marquer son mécontentement », avance un haut diplomate français
À l’heure où ces lignes étaient écrites, Brahim Ghali n’avait toujours pas reçu une telle missive et il n’est pas sûr qu’il en reçoive jamais, la Côte d’Ivoire ne reconnaissant pas la RASD. À moins que l’invitation adressée au chef du Polisario ne porte qu’un seul paraphe, celui de Moussa Faki Mahamat. Hypothèse confirmée par un chef d’État impliqué dans les négociations et qui ne cache pas son agacement devant la tournure des événements : « Ce n’est plus la Côte d’Ivoire qui invite, c’est l’UA, confie-t-il, donc la seule signature de Moussa Faki suffit. »
Que fera le royaume au cas où le président de la « république de Tindouf » serait non seulement convié au sommet d’Abidjan, mais siégerait physiquement aux côtés de ses « pairs » africains et européens ? « Le Maroc sait qu’il n’est pas pour l’instant en position d’obtenir l’exclusion de la RASD. Seuls sept ou huit pays le suivraient sur cette voie, avance un haut diplomate français en poste dans la région. Il est donc probable que le roi décide d’être sous-représenté au sommet afin de marquer son mécontentement. »
Déni de réalité
On tourne en rond, donc, et le spectacle n’est guère reluisant, la partie européenne se gardant bien de prendre position – à l’exception notable des Français, dont le curseur est depuis longtemps posé sur la ligne marocaine. Quant à l’agenda du sommet d’Abidjan – migrations, sécurité, développement… –, personne ou presque n’en parle tant cette polémique l’a occulté*. Il fallait être bien naïf pour croire que le retour du royaume au sein des instances panafricaines allait en quelque sorte vitrifier le contentieux ouvert il y a plus de trente-cinq ans par l’admission de la RASD comme État membre.
Il l’a au contraire exacerbé. Le problème posé par le sommet d’Abidjan risquant à coup sûr de se reproduire à chaque rendez-vous de ce type, il faudra donc qu’un jour ou l’autre l’UA ait le courage de faire un choix douloureux. Entre l’un des pays fondateurs de l’OUA, cinquième économie du continent, et une « joumhouriya » onirique, pur produit de la mésentente quasi congénitale entre les deux frères ennemis du Maghreb, le dilemme ne devrait pas être trop difficile à trancher. Tout le reste n’est que déni de réalité.
* À noter que la justice espagnole a rouvert en novembre 2016 l’instruction de plaintes pour « tortures et disparitions » déposées contre Brahim Ghali par d’anciens détenus des camps du Polisario (les faits remonteraient à l’époque où Ghali était « ministre de la Défense » du Front). Le président de la RASD, qui ne bénéficie pas de l’immunité diplomatique dans l’espace Schengen, évite depuis de se rendre en Espagne.
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