Russie : la vie secrète de Vladimir Poutine
Il est au pouvoir depuis dix-huit ans et brigue un quatrième mandat. Pourtant, l’ex-agent du KGB, Vladimir Poutine, protège aussi jalousement son intimité qu’il exhibe ses pectoraux et ses exploits sportifs.
«Tel la Reine des neiges du conte d’Andersen, Poutine séduit, mais on le distingue à peine derrière le givre de la fenêtre : il disparaît dans les tourbillons neigeux, et chacun est contraint de dessiner son portrait à sa guise. La raison en est simple : l’école du KGB a enseigné au président à passer inaperçu, à se dépersonnaliser pour prendre toujours le visage que les circonstances exigent, à agir à couvert, à s’immiscer dans le camp de l’ennemi en se présentant comme un allié.
Mais si, durant son séjour au KGB, Poutine exécutait la volonté de ses chefs, désormais, c’est lui qui donne les ordres », écrivait joliment la poétesse et journaliste russe Tatiana Chtcherbina dans La Revue, en 2004, alors que l’intéressé s’acheminait vers un deuxième mandat. Ne déparant pas la galerie des romanciers de sa nation, souvent prophètes en leur pays, Chtcherbina concluait en prédisant : « Personne ne doute que Poutine sera réélu président pour les quatre ans à venir. Certains soupçonnent qu’il le restera éternellement. »
Quatorze ans plus tard, il règne toujours sur un pays de 147 millions d’âmes et devrait entamer, en mars prochain, son quatrième mandat. Une élection sans suspense car sans opposant : le seul qui eût pu lui faire un peu d’ombre, Alexeï Navalny, a été disqualifié.
Silencieux
À 65 ans, grâce à un régime d’ascète – nourriture frugale, sport intensif –, l’inoxydable dirigeant continue, du haut d’une virilité soigneusement affichée, à mater les tigres et à surfer sur les torrents. Il châtie les oligarques corrompus, promet de terrasser les terroristes, joue un rôle clé dans le conflit syrien et, bien que ni l’économie nationale ni le pouvoir d’achat de ses concitoyens ne soient franchement pimpants, se voit gratifié d’une cote de popularité à faire pâlir d’envie le despote le plus chevronné.
Et pourtant, contrairement aux présidents twitteurs qui nous font part de leur moindre rototo, Poutine est silencieux. Mystérieux. Indéchiffrable. Rien ne filtre de sa vie privée. En dix-huit ans de pouvoir, jamais l’homme de bronze n’a fendu l’armure, visage fermé, regard figé, sans affect.
De même que ce jour dramatique de 2000 où, pressé par des journalistes de dire ce qu’il était advenu du sous-marin Koursk et de ses 118 hommes d’équipage, il avait répondu par trois mots lapidaires (« Il a coulé »), il pourrait résumer son rôle à la tête de la Russie par trois mots tout aussi expéditifs : « Il a régné. »
« Fantasmes érotiques »
Refusant que ceux qu’il a qualifiés de « nez morveux avec des fantasmes érotiques » se mêlent de « la vie des autres » (entendez : la sienne), il vit loin des regards, dans sa résidence de Novo-Ogarevo, à environ trente kilomètres de Moscou. Une demeure de style néogothique anglais, ceinte d’un parc et de forêts, et protégée par un mur de 6 mètres de hauteur. Piscine, salles de sport, rien ne manque à son confort, pas même la piste d’hélicoptère, qu’il utilise pour se rendre au Kremlin afin d’éviter les embouteillages.
Le président Poutine disposerait d’une vingtaine d’autres résidences, de 43 avions, de 15 hélicoptères, de 4 yachts
Selon son opposant Boris Nemtsov, assassiné en 2015 et coauteur en 2012 d’un rapport ironiquement intitulé La vie d’un esclave aux galères (après que Poutine eut qualifié ainsi son mode de vie), le président disposerait d’une vingtaine d’autres résidences, de 43 avions, de 15 hélicoptères, de 4 yachts ainsi que d’une flopée de voitures et de montres de luxe.
Un dissident (Stanislav Belkovsky) et un financier anglo-américain (Bill Browder) – lequel, après avoir fait du business en Russie, en a été expulsé et en nourrit depuis une haine inextinguible à l’endroit du président – affirment que Poutine a pillé les richesses de son pays grâce à un système bien rodé de prédation et à ses participations dans de grandes compagnies nationales. Sans preuves tangibles, évidemment.
Il semble mieux établi que le « galérien » se lève à 8 h 30 chaque matin et, après avoir réglé les affaires les plus urgentes de l’État, nage un kilomètre, ou bien opte pour l’équitation ou le judo (il est ceinture noire, 8e dan : Teddy Riner en est « seulement » au 5e dan…). Il plonge ensuite dans deux bains, l’un de relaxation (43 °C), l’autre d’endurance (12 °C), puis s’immerge dans ses dossiers jusqu’à 3 heures du matin, tantôt dans sa résidence privée, tantôt dans son bureau au Kremlin, dans un décor muséal (colonnes de marbre, cheminée en malachite, etc.), où l’ordinateur occupe une place très secondaire.
Contrairement à Dmitri Medvedev, son Premier ministre, il n’est pas entiché de nouvelles technologies, dont il se méfie sans doute. Dans son Poutine de A à Z (Stock, 2017), l’ancien diplomate Vladimir Fédorovski, qui promut la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev à l’étranger avant la chute de l’URSS, assure que le tsar prend un brunch vers midi « en charmante compagnie » et se prépare « un cocktail roboratif et végétarien à base de raifort et de betterave », dont la recette exacte est bien entendu tenue secrète.
Je ne suis pas la bonne personne à épouser
Il utiliserait des couverts en plastique et, toujours pour des raisons de sécurité, il n’est pas rare que les bouches d’égout soient scellées le long de l’itinéraire qu’emprunte sa Mercedes S600 Pullman.
« Charmante compagnie »
Qui est donc la « charmante compagnie » qu’évoque Fédorovski ? Assurément pas Ludmilla, dont il a divorcé en 2014 après trente ans de mariage. Détestant apparaître en public et prendre l’avion (le comble pour une ex-hôtesse de l’air !), la mère de ses deux filles ne semblait plus en grâce depuis un certain temps déjà.
« Je ne suis pas la bonne personne à épouser », l’avait-il averti avant de lui demander sa main, en 1983, rapporte Masha Gessen, auteure de Poutine, l’homme sans visage (Fayard, 2012). Les divorcés se disent aujourd’hui en bons termes, et, lorsqu’on l’interroge sur son remariage éventuel, Poutine assure, avec le paternalisme goguenard qui le caractérise, qu’il doit « d’abord trouver un mari » à son ex-femme.
Les « nez morveux » ont prêté toutes sortes de liaisons au président, notamment avec la sublime cantatrice Anna Netrebko. Mais pour ses compatriotes, aucun doute : celle qui fait chanter le cœur de Vladimir Poutine est la belle Alina Kabaeva, de trente ans sa cadette, qui fut gymnaste (un titre olympique, neuf titres mondiaux), puis députée de Russie unie avant de rejoindre, en 2015, la direction du National Media Group, un organe de presse pro-gouvernemental. Un garçon et une fille, nés en 2008 et en 2012, seraient issus de cette union sans que cette information ait pu être vérifiée.
Poutine Pater familias
Le même silence de plomb entoure l’existence des deux filles qu’il a eues avec son ex-épouse : Maria, 33 ans, et Ekatarina, 32 ans. Après des études en endocrinologie, l’aînée est partie vivre aux Pays-Bas, près de La Haye. En 2015, le maire de Voorschoten avait révélé qu’elle et son mari, l’homme d’affaires néerlandais Jorrit Faasen, occupaient dans sa commune un penthouse estimé à plus de trois millions de dollars, mis en vente depuis.
La cadette, diplômée en mathématiques et danseuse acrobatique (5e aux championnats du monde de 2013), utilise pour plus de discrétion le patronyme de sa grand-mère maternelle, Tikhonova, et travaille pour le groupe de télévision RBC. Elle serait surtout chargée de la gestion d’Innopraktika, un programme de 1,7 milliard de dollars destiné à réformer l’université de Moscou, dont elle a été nommée vice-rectrice en toute discrétion. Avec son époux, Kiril Chamalov, fils d’un ami d’enfance du président et actionnaire de la Rossiya Bank, elle est propriétaire d’une résidence à Biarritz (valeur : 5,2 millions d’euros) et de parts dans la société pétrolière Sibur.
Sans doute la longévité de Poutine tient-elle au fait qu’il continue à exercer le pouvoir derrière cet écran de fumée
« Je n’ai jamais dit où travaillaient mes filles et je ne compte pas le faire, notamment pour des raisons de sécurité », avait déclaré Poutine, ajoutant que « chaque personne a le droit d’avoir son propre destin ».
Sans doute songeait-il à ce tour du sort qui le porta à la tête du pays : lui, l’enfant du miracle (ses deux frères aînés moururent en bas âge), le petit caïd de Leningrad qui aurait pu mal tourner, l’élève médiocre, l’agent secret sans relief qui, découragé par la chute de l’URSS, buvait trop de bière et se laissait aller, parvint à gagner la confiance d’Anatoli Sobtchak, le maire de Saint-Pétersbourg, puis à faire croire à l’oligarque Boris Berezovski, qui intriguait pour trouver un successeur à un Boris Eltsine bouffi d’alcool, qu’il serait sa marionnette. Ceux qui l’avaient fait tsar n’y virent que du feu. Sans doute la longévité de Poutine tient-elle au fait qu’il continue à exercer le pouvoir derrière cet écran de fumée.
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