Gabon : pouvoir et opposition se préparent au choc des législatives
L’opposition se prépare aux législatives d’avril et entend imposer une cohabitation à Ali Bongo Ondimba. Mais alors que Jean Ping refuse toujours de prendre part à la campagne, elle avance en ordre dispersé…
Gabon : Ali Bongo Ondimba peut-il être contraint à la cohabition ?
Les enjeux autour des élections législatives sont multiples. Si l’opposition peine à s’unir face à Ali Bongo Ondimba, le président cherche, quant à lui, à reprendre le contrôle de son pouvoir et ainsi à attirer de nouveau la confiance de la communauté internationale.
Il était temps de changer de sujet ! Annoncé pour le 28 avril, le premier tour des élections législatives signe la fin de l’interminable séquence commencée en août 2016 et prolongée par la contestation des résultats. Les Gabonais ne sont pas mécontents de sentir monter la fièvre électorale saisonnière, même si l’addiction de ce pays pour la dispute politique va probablement encore faire des ravages.
Pour les opposants, l’enjeu est de contrôler l’Assemblée afin de démontrer que, en dépit des résultats de la présidentielle, ils sont bel et bien majoritaires dans le pays. Mais pour le pouvoir, il est temps de faire cesser le procès en illégitimité : une majorité conforterait l’action du gouvernement, gêné dans sa quête d’investissements étrangers par cette image de pays politiquement instable.
Une quinzaine de partis politiques unis
La course aux 143 sièges de l’Assemblée nationale a déjà commencé. Dans cet univers impitoyable, les faibles devront dire adieu à leur carrière bien avant le scrutin. En coulisses, les textos fusent pour obtenir les investitures. Certains de ceux qui s’étaient exilés après les troubles postélectoraux ont pris l’avion du retour à Libreville. Mieux vaut être sur place pour défendre ses intérêts, d’autant que, lors de cette présélection, les candidats ont plus à craindre de leurs amis que des concurrents de l’autre bord.
Toujours convaincu de sa victoire à la présidentielle, Jean Ping ne veut pas entendre parler de ces législatives
Cette année, l’opposition est regroupée autour de la Coalition pour la nouvelle république (CNR), qui s’est constituée en 2016 autour de Jean Ping. La quinzaine de partis politiques qui la composent souhaite aller aux législatives sans se faire concurrence, mais le partage des circonscriptions ne sera pas une sinécure. Sur les 143 candidatures communes, près de 70 arbitrages pourraient faire couler du sang et des larmes. Il faut dire que la coalition a des problèmes de riches à cause de l’afflux des démissionnaires issus du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir).
Faire bloc contre ABO
De nombreux hauts fonctionnaires et anciens ministres jouent des coudes pour être sur la ligne de départ. Ils avaient quitté le parti à la veille de la présidentielle en espérant que la saignée affaiblirait le président sortant et aiderait à la victoire de Ping. Il n’en a rien été.
Ali Bongo Ondimba (ABO) est toujours président. Les voilà promis à un septennat de traversée du désert et tenaillés par la peur du déclassement. Les plus téméraires se voient donc déjà en gagnants du scrutin, prêts à constituer une majorité pour imposer une cohabitation au chef de l’État.
La dernière chance de Jean Ping
Mais Jean Ping refuse de lancer la campagne. Toujours obstinément convaincu de sa victoire à la présidentielle, il ne veut pas entendre parler de ces législatives, qui légitimeraient un pouvoir illégal à ses yeux. Les tractations en cours se font donc sans lui.
« Nous souhaiterions qu’il y participe en tant que chef de file, confie l’un de ses lieutenants. Mais s’il persiste dans sa volonté de boycotter l’Assemblée nationale, ceux d’entre nous qui seront élus ne lui seront redevables de rien du tout. J’ajoute que sa légitimité de leader tombera d’elle-même. »
Financer de la campagne sans Ping ?
D’autres lui rappellent que la communauté internationale a exhorté l’opposition à prendre part aux législatives. Or c’est sur elle que Ping compte pour se faire reconnaître comme président élu. « Il est de son intérêt de ne pas trop tarder à prendre la place qui est la sienne dans les préparatifs. Le plus tôt sera le mieux, car s’il s’impliquait tardivement, il se priverait de la possibilité de placer ses fidèles », décrypte un autre membre de la coalition.
Ping boude donc dans son coin, et ses alliés ne sont pas disposés à l’attendre. Mais s’il boycotte le scrutin, qui va payer l’addition ? Une telle campagne au Gabon coûte en moyenne 100 millions de F CFA (plus de 150 000 euros) par candidat.
Les autres leaders ne peuvent donc pas – ou ne veulent pas – financer la coalition. Si certains ont des revenus trop modestes, d’autres ont la réputation d’avoir des oursins dans les poches. Ainsi, en 2016, Ping fut contraint de tout payer lui-même.
Des adversaires divisés
Quoi qu’il en soit, avec ou sans Ping, l’attelage de la CNR est branlant. La faute aux querelles de personnes, comme celle qui oppose Guy Nzouba-Ndama et Alexandre Barro Chambrier. Pour l’entourage du premier, le second incarne la figure du « traître » en politique. On sait aujourd’hui que l’ancien président de l’Assemblée nationale cornaquait cet ex-député du 4e arrondissement de Libreville connu pour être à l’origine de la fronde au sein du parti au pouvoir.
On a connu meilleure ambiance au sein d’une coalition censée se partager les circonscriptions
Avec quelques autres exclus du PDG et déchus de leur mandat à l’Assemblée, Barro Chambrier a créé le Rassemblement Héritage et Modernité, destiné – croyait-on – à soutenir la candidature de Nzouba. Mais l’ambitieux sexagénaire avait en réalité d’autres projets : pour lui, la présidentielle n’était qu’une étape qui nécessitait de placer un homme taillé pour un mandat intérimaire plutôt que Nzouba, qui aurait été suffisamment jeune pour effectuer deux mandats, c’est-à-dire une éternité.
Le mentor trahi a fini par lancer un autre parti, Les Démocrates, prenant ses distances avec son ex-protégé. Les deux hommes ne se parlent plus, et leurs états-majors s’ignorent. On a connu meilleure ambiance au sein d’une coalition censée se partager les circonscriptions.
De vieilles querelles toujours en place
Nzouba entretient par ailleurs une cordialité empreinte de méfiance réciproque avec le président de l’Union nationale, Zacharie Myboto. Entre eux deux perdure une inimitié de vingt ans, depuis que le premier fut instrumentalisé par Omar Bongo Ondimba pour évincer le second du leadership de l’ethnie nzébie.
S’ensuivra une belle carrière de près de vingt ans de perchoir pour Nzouba. Doyen de l’opposition, Myboto s’est chargé de coordonner les tractations d’avant-présidentielle pour la désignation du candidat unique de la coalition. La fille du patriarche, Chantal, avait annoncé la couleur : « Entre Nzouba et Ali, je choisis Ali. » La suite est connue. Et l’épisode a laissé des traces. « Ils sont faits pour ne pas s’entendre », soupire un cadre qui les connaît bien.
Coups bas
Dans la même veine, les malentendus se sédimentent entre Myboto et Casimir Oyé Mba. En 2016, le président de l’Union nationale a eu l’idée de rechercher un candidat unique alors que son vice-président était déjà investi par des congressistes appelés à voter au cours d’une primaire restreinte.
« Accepter de coordonner ce processus, c’était un coup bas contre Oyé Mba, estime l’un de ses proches. Pour sortir de toute cette affaire grandi, Myboto aurait dû n’être suspecté d’aucune manigance. »
La hantise de la trahison dans le camps d’ABO
Le parti au pouvoir n’ira pas non plus aux urnes en chantant. Les démissions d’avant-présidentielle hantent encore les esprits. Nommé secrétaire général du PDG le 15 août 2017, Eric Dodo Bounguendza sait que les premières balles contre le parti pourraient provenir de ses propres troupes. La priorité est donc de reprendre la main : « Il est hors de question d’accorder l’investiture du PDG à des personnes qui nous seront déloyales par la suite, dit-il. Il y a encore, dans nos effectifs, des gens insincères. »
Depuis l’immeuble-siège en réfection du parti, le nouveau patron veut avoir l’œil sur tout. Il a même décidé de ne pas solliciter de mandat à l’Assemblée nationale. « Je dois tout surveiller, se justifie-t-il. Je ne peux pas me permettre d’aller faire campagne sur le terrain pour mon propre compte tout en veillant au bon déroulement du scrutin dans le contexte que vous savez. »
Pressions au sein du PDG
Ses détracteurs prétendent qu’il redoute de monter au front. « On ne peut pas imaginer un SG du PDG, jeune qui plus est et qui n’a jamais eu de mandat auparavant, refusant de se confronter aux urnes. De quelle autorité se prévaudra-t-il sur les députés ? Quelle sera sa légitimité au sein du parti ? » s’agace un ministre.
En fait, s’il devait se présenter, ce serait dans la circonscription de Lastourville, dans l’Ogooué-Lolo, et il devrait faire face à deux poids lourds de la politique gabonaise : Paulette Missambo, vice-présidente de l’UN, et Régis Immongault, qui est le ministre de l’Économie et l’une des têtes d’affiche du gouvernement.
Préserver les acquis
Pendant ce temps, les alliés du pouvoir se demandent à quelle sauce ils seront mangés. Démocratie nouvelle, la formation du président du Conseil économique et social, René Ndemezo’o Obiang, le Parti social-démocrate du vice-président Pierre-Claver Maganga Moussavou, et le Parti pour le développement et la solidarité sociale (PDS) de Séraphin Ndaot Rembogo sont contraints de gagner des sièges pour préserver leurs acquis.
Mais, hégémonique par essence, le PDG ne leur fera pas de cadeaux. Au bout du compte, les tractations d’appareil peuvent se retourner contre leurs initiateurs. Tourner la page de la présidentielle n’implique pas d’en oublier les enseignements.
Trois détenus en campagne
Bien qu’en détention préventive à la prison centrale de Libreville pour des faits liés à la crise postélectorale de 2016, trois personnalités de l’opposition briguent un siège de député : Bertrand Zibi Abéghé, Pascal Oyougou et Frédéric Massavala. Ils n’ont pas encore été jugés et sont donc présumés innocents.
Un nouveau paysage électoral
Le 26 janvier, le nouveau découpage électoral a été adopté en Conseil des ministres. Le nombre de députés passe donc de 120 à 143.
On en retient également quelques particularités : l’Estuaire, où se trouve Libreville, compte désormais 26 députés, mais la capitale elle-même n’en aura pas plus de 12. Le Haut-Ogooué, moins peuplé, pourra se choisir tout de même 23 députés.
Autrement dit, les deux provinces enverront presque autant d’élus à l’Assemblée. En revanche, l’Ogooué- Maritime, qui accueille la ville traditionnellement frondeuse de Port-Gentil, devra se contenter de 13 députés
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