Rien ne doit entraver la mobilité africaine

Pour cet ingénieur général des Ponts et chaussées, l’important est moins de se demander combien il y aura d’habitants en Afrique dans vingt ans que de chercher à prévoir où ils seront.

La population de Mbuji Mayi réunie au marché le 31 juillet 2006 en pleine période d’élection, RDC. © SCHALK VAN ZUYDAM/AP/SIPA

La population de Mbuji Mayi réunie au marché le 31 juillet 2006 en pleine période d’élection, RDC. © SCHALK VAN ZUYDAM/AP/SIPA

Jean-Marie Cour Jean-Marie Cour (France), économiste et spécialiste de l’aménagement du territoire. A Ville-d’Avray, le 10.03.2015. © Vincent Fournier/J.A/

Publié le 13 février 2018 Lecture : 5 minutes.

Il n’y a jamais eu et il n’y aura pas dans le futur d’explosion démographique ni d’urbanisation galopante en Afrique subsaharienne. La multiplication par quatre de la population totale et par huit de la population urbaine au cours du demi-siècle passé était prévisible, comme le seront le doublement de la population totale et le triplement de la population urbaine d’ici à 2050.

Il faut simplement et calmement comprendre les raisons et les implications de ce processus de repeuplement, et agir en conséquence. Le poids de l’Afrique subsaharienne dans la population mondiale a certes doublé depuis les années 1900, mais il ne fait que retrouver aujourd’hui son niveau d’avant l’ère coloniale, après avoir chuté de moitié en raison notamment de la traite, et il faut s’attendre à ce que ce poids relatif se stabilise à quelque deux fois son niveau actuel avant 2100.

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L’important est moins de se demander combien il y aura d’habitants en Afrique dans vingt ans, que de chercher à prévoir où ils seront.

L’urbanisation comme condition à un peuplement durable

La forme la plus frappante de la redistribution démographique est l’agglomération d’une fraction croissante de la population dans des lieux à forte densité. On ne peut ici décrire les implications de ce processus en milieu rural, urbain, sur les relations entre les villes et l’hinterland rural, sur la croissance économique… Ce processus d’urbanisation est l’une des conditions du peuplement durable.

Ce n’est pourtant pas ce que continuent de penser nombre d’experts pour qui l’Afrique subsaharienne aurait une vocation essentiellement rurale, et pour qui la croissance urbaine y serait artificielle et aggraverait l’insécurité alimentaire, la pauvreté et le désordre.

La deuxième condition du peuplement durable est la redistribution de la population entre zones enclavées

Cette attitude un rien condescendante, qui condamne à aborder ce processus d’urbanisation à reculons, montre à quel point le paradigme actuel de l’économie du développement empêche de rendre compte des faits et a fortiori de penser au futur.

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Frontières articificielles

La deuxième condition du peuplement durable est la redistribution de la population entre zones enclavées, à faibles potentialités ou surpeuplées par rapport à ce potentiel, et zones à fortes potentialités.

Dans ce continent balkanisé en une cinquantaine d’États hérités de la colonisation et aux frontières artificielles, l’ajustement du peuplement aux contraintes et aux potentialités physiques, mais aussi et surtout aux forces du marché devrait conduire à des taux de migration entre pays de l’ordre de 1 % par an et qui devraient croître avec le développement.

La Côte d’Ivoire et la Mauritanie reçoivent un flux net de 20 000 personnes par an

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Pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, on devrait donc s’attendre à des flux migratoires nets de l’ordre de plusieurs millions de personnes par an en provenance des pays d’émigration tels que le Niger ou le Burundi vers une douzaine de pays d’immigration comme la Côte d’Ivoire ou la RD Congo.

Six pays d’immigration

Qu’en est-il ? La dernière édition des projections démographiques réalisées par les Nations unies (World Population Prospects) ne mentionne en Afrique de l’Ouest que deux pays d’immigration : la Côte d’Ivoire et la Mauritanie, recevant un flux net de 20 000 personnes par an, équivalant à 0,08 % de leur population.

Le continent africain entier ne comprendrait que six pays d’immigration de plus de 10 millions d’habitants : RD Congo, Afrique du Sud, Angola, Côte d’Ivoire, Tchad et Soudan du Sud. Les flux réels sont en fait très mal connus, mais ils sont pour le moment sans doute inférieurs au dixième des ordres de grandeur évoqués précédemment.

Parmi les multiples obstacles à la mobilité, il faut mentionner le rôle ambigu des partenaires du Nord, qui transposent en Afrique subsaharienne leurs angoisses à l’égard des migrations et de l’exode rural. Cette attitude antimigratoire contribue en fait à aggraver la pauvreté, la désertification et les risques de conflit, et retarde la transition démographique.

La gestion du peuplement est une question essentielle à laquelle doivent s’atteler les gouvernements

La croissance future de la population totale de cette partie du continent dépend en effet moins des politiques démographiques proprement dites que du développement et donc de l’urbanisation et des migrations, notamment entre pays enclavés et pays côtiers.

Établir une stratégie

Les projections à long terme de la population par pays établies par les Nations unies, en faisant l’hypothèse de flux migratoires nets quasi nuls, conduisent par exemple à anticiper 55 millions d’habitants au Burundi et 192 millions au Niger à la fin du siècle. À quoi peuvent bien servir de telles projections sinon à faire peur et à détourner l’attention de l’essentiel ?

Dans cette phase de transition démographique que traverse l’Afrique, la gestion du peuplement est une question essentielle, sinon la question numéro un, à laquelle doivent s’atteler les gouvernements, les institutions régionales et leurs partenaires extérieurs. Aucune solution durable ne pourra être trouvée à ces défis en l’absence de toute stratégie de gestion du peuplement. Pour changer la donne, il faut :

reconnaître que l’aide apportée par les bailleurs de fonds présente une attention insuffisante apportée à la dimension spatiale du développement, qu’elle est trop « désincarnée », et trop démostatique, c’est-à-dire avec une prise en compte insuffisante de la dynamique de peuplement, pour servir de guide à l’action dans des pays africains ;

remettre le peuplement au centre de tous les raisonnements, et en pousser le plus loin possible les implications en matière de systèmes explicatifs, de prévisions, de politiques, de conception des rapports Nord-Sud et d’organisation de l’économie mondiale ;

tout faire pour faciliter la mobilité au sein de l’Afrique subsaharienne et surtout ne rien faire (à l’échelle mondiale, régionale, nationale, locale) qui entrave ce processus ;

– prévenir les conflits en tenant compte des impératifs du peuplement : le môle de peuplement très dense des pays des Grands Lacs qui voisine avec le Maniema et les provinces orientales de la RD Congo, quasiment vides, et le Sahel qui voisine avec la zone forestière et le littoral, restés longtemps sous-­peuplés, sont deux exemples de régions où cette question se pose avec acuité ;

– enfin, garantir les pays d’immigration contre les risques encourus et les dissuader de faire machine arrière en cas de retournement de la conjoncture, comme cela est arrivé en Côte d’Ivoire faute d’avoir su gérer les flux migratoires et l’aide financière qui devait lui être apportée.

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